Pendant le festival Visa pour l'image, des photographes se prêtent au jeu du questions-réponses sur le lieu de leur exposition. Le public a pu interroger Meridith Kohut sur son expo, « Le Venezuela au bord du gouffre ». Pénuries, conditions de travail, statut de la femme…
Deuxième étage du couvent des Minimes, mardi, il est 16 h. Une quarantaine de visiteurs se pressent dans la salle pour (re)découvrir l’exposition de Meredith Kohut, « Le Venezuela au bord du gouffre ». Les rangs grossissent et la température augmente. La photographe américaine se rend au Venezuela depuis 2007 pour le New York Times. Son exposition est le fruit de plusieurs reportages, sur différentes thématiques (prisons, manifestations, hôpitaux, veillées funèbres, etc.).
Pénuries de tout
Les interprètes sont prêts, les non-anglophones mettent leurs écouteurs. La visite peut débuter. Première photo : une queue de centaines de personnes devant un commerce d’état. « Les Vénézuéliens luttent pour survivre malgré les pénuries de nourriture et de médicaments, un rationnement drastique de l’eau et de l’électricité, une criminalité en forte hausse et un gouvernement répressif », explique la photographe.
Un peu plus tard, un cliché pris dans un hôpital public interpelle un visiteur. Un patient ne peut pas passer de scanner, le matériel est manquant ou obsolète. « Comment-êtes vous parvenue à le convaincre de se laisser prendre en photo ? », demande-t-il. « Je lui ai simplement dit : ‘’Je ne pourrais pas t’aider à guérir, mais je peux raconter ton histoire au reste du monde. C’est ce que j’essaie de faire. »
Quand elles font par exemple la Une du New York Times, ses images peuvent avoir un impact positif. C’est ce qu’il s’est passé, raconte la photographe, avec cette photo de Une montrant une famille à côté de son frigo vide (New York Times, 21 juin 2016). Après parution, « la famille a reçu de nombreux dons de nourriture », assure Meridith Kohut.
Certaines photos prises dans les hôpitaux, les prisons, pendant des manifestations ou des veillées funèbres, sont dures. Pour Meridith Kohut, le reportage dans les hôpitaux publics (notamment psychiatriques) est « le plus marquant ». « J’ai passé plusieurs heures avec les patients avant de les photographier. Il fallait évidemment leur accord, mais aussi celui des docteurs, du gouverneur de l’État en question… »
« On ne me voit pas comme une menace »
Elle dit avoir été « détenue à l’aéroport plusieurs fois », mais on l’a toujours laissé entrer dans le pays. « Dans la rue, on dissimule les appareils photos dans des sacs. On se déplace à moto pour aller plus vite. Dès qu’on a fini, on repart aussi vite. » Au Vénézuela, Meredith Kohut a collaboré avec un correspondant du New York Times. La plupart du temps, elle préfère travailler seule sur le terrain, « c’est plus efficace ».
Plusieurs questions sur son statut de femme sont revenues pendant la visite. Un spectateur s’interroge : le fait d’être une femme, américaine – et blonde qui plus est – la dessert-elle ? « Le fait d’être occidentale peut me desservir, concède la photographe. Mais le Venezuela est un pays assez macho. On ne me voit pas comme une menace : je suis une femme, blonde… Mes collègues masculins ont plus de problèmes ! »
La dernière photo montre un manifestant lynché, en train de brûler. « Votre travail montre beaucoup de souffrance, observe un spectateur. Comment gérez-vous vos émotions et votre rôle de femme dans ces moments-là ? » Peut-être, avance-t-elle, que c’était plus facile parce que « j’étais présente en tant que professionnelle. Mais on ressent aussi les émotions de manière personnelle. Je côtoyais ces gens avant de les photographier. » Parfois, c’est impossible de ne pas craquer. L’Américaine ne le cache pas, il lui est arrivé de pleurer.
Sur le blog de l'ESJ Pro