Qui est l’avocat d’Abdelkader Merah ? Portrait d’un personnage médiatique qui sait aussi se faire désirer.
Difficile d’échapper à sa profonde voix rauque de fumeur invétéré et à son physique qui en impose : Eric Dupond-Moretti, 56 ans, est une star du barreau, un pénaliste hors-pair, surnommé “acquitator” pour sa capacité à gagner des procès et à faire acquitter ses clients.
Tapie, Viguier, Benzema, Colonna, Kerviel, Merah. Ces clients, Maître Eric Dupont-Moretti semble les choisir dans le Bottin mondain. La notoriété des affaires qu’il défend rejaillit d’ailleurs largement sur sa propre exposition médiatique.
Il est de tous les plateaux télés, a tourné dans plusieurs films, jouant parfois son propre rôle, a rencontré sa première femme (et mère de ses deux enfants) lors d’un procès d’assises alors qu’elle était jurée et partage désormais sa vie avec la chanteuse Isabelle Boulay.
Mais ce serait se tromper de ne retenir de l’homme que les facettes publiques et médiatiques. L’avocat pénaliste est respecté et craint par ses confrères (et parfois opposants) et par l’accusation parce qu’il travaille dur, connaît parfaitement ses dossiers et sait, parfois avec délices, mettre la justice face à ses contradictions.
L'avocat a su attendre son heure avant de devenir l'un des meilleurs pénalistes français. Il a notamment fait ses classes dans l'ombre du Toulousain Alain Furbury, dont il dit avoir hérité de l'insolence et dont il porte la robe dans les prétoires.
Gouailleur, le natif de Maubeuge, engagé politiquement à gauche, adapte sa stratégie de défense à chaque dossier. Et également sa stratégie de communication. Dans le procès Merah, s’il bataille en permanence face aux parties civiles et à l’accusation, il est beaucoup plus discret face aux caméras et aux micros.
Une stratégie de la “parole rare” qui laisse volontairement le champ libre aux parties civiles, représentant les victimes, devant les journalistes. Il ne s’est exprimé publiquement qu’une seule fois depuis le début du procès, au sujet de l’anonymisation du témoignage des policiers, contre laquelle il bataille. Mais, chaque jour, il ferraille contre l’avocate générale et ses confrères des parties civiles, se plaignant aussi de ne pas être écouté, de ne pas pouvoir travailler face à un président de la Cour d’assises spéciale tatillon sur la procédure et le respect du calendrier de l'audience.
Il a fait récemment l’objet de menaces de mort ainsi que ses deux enfants, parce qu’il défend un Merah. “Je me sens plus que jamais avocat” a-t-il dit ce jour-là. “Les menaces, on fait avec, explique-t-il aujourd’hui, moi les gardes du corps je n’en veux pas”.
Pas question qu’il en dise plus en revanche sur le procès Merah. Aux suspensions d’audience, il multiplie les apartés, les gestes de complicité avec les journalistes mais c’est du off.
Sa stratégie, qui vise l’acquittement de son client, c’est de démonter minutieusement l’un après l’autre les éléments de l’accusation qui veut établir que son client Abdelkader Merah est complice des crimes terroristes de son frère Mohamed. Il sait que l’accusation ne repose que sur quelques éléments imprécis et quelques témoignages fragiles. Quand le seul témoin qui a vu Abelkader et Mohamed Merah ensemble le dimanche 11 mars 2012, jour du premier assassinat, “perd la mémoire” à l’audience et n’est plus aussi formel, Maître Eric Dupond-Moretti jubile sur son banc.
“Pouvez-vous prouver que vous n’êtes pas le complice de votre frère ?” avait-il lancé au début du procès à son client Abdelkader Merah. “Non”, a répondu ce dernier. L’avocat sait bien, et tout ce joue là, que c’est l’inverse que devra prouver l’accusation. Et que c’est une autre paire de manches.