RECIT - Toulouse : victime d'un malaise lors de son expulsion, une migrante ukrainienne abandonnée à l'aéroport

Arrêtés par les gendarmes en Lozère, convoyés à Toulouse pour expulsion, les époux Okhomouch et leur fillette de 5 ans ont été laissés pour compte à l'aéroport après une crise de tétanie de la mère sur le tarmac. Dernier avatar de 4 années de démarches kafkaïennes en France pour obtenir l'asile.

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Tout était planifié, sauf la crise de tétanie d'Héléna.

Pour appliquer une Obligation à quitter le territoire français (OQTF), mercredi 5 juin au matin, une voiture de police la conduit, avec son mari Sergeï et sa fillette de 5 ans Christina, au pied de l'avion de 10h15 pour Paris d'où une correspondance est réservée pour Kiev. La veille, la famille avait été escortée depuis la Lozère par la gendarmerie au centre de rétention administratif de Cornebarrieu.

Terrassée par une crise de tétanie sur le tarmac de l'aéroport au pied de l'avion au moment de son expulsion

Mais la jeune maman Ukrainienne, âgée de 35 ans, tombe de la voiture de police, terrassée par une crise de tétanie, paralysée des deux mains.

Les instructions ne tardent alors pas à arriver. La Police de l'Air et des Frontières (PAF), qui a pris soin de conserver les extraits de naissance des parents et le carnet de santé de l'enfant, libère la famille, abandonnée à son sort dans l'aéroport, selon le témoignage de la traductrice du couple de migrants.

Finalement prise en charge par le poste de secours de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, alerté par son mari, Héléna est admise en début d'après-midi à l'hôpital Purpan, qui confirme la crise de tétanie.

Retour à la case Lozère

Hébergée dans la soirée par le Cercle des Voisins du Centre de Rétention de Cornebarrieu, une association dont l'objectif est de dénoncer le système mis en place pour l’expulsion des personnes privées de papiers, la famille Okhomouch, attendue par son réseau de solidarité, a rejoint le lendemain par Blablacar la Lozère.

C'est dans ce département, dans les monts de la Margeride, à Gandrieu, que la famille s'est installée depuis un an. Mais au mois de mai, après avoir épuisé tous les recours de demande d'asile, elle y a été assignée à résidence, avec obligation d'aller tous les jours se présenter à la gendarmerie de Langogne, à une demi-heure de route. 

Lorsqu'ils sont allés y pointer mardi 4 mai, les époux Okhomouch ont été interpellés. Des gendarmes ont accompagné Héléna récupérer sa fille Christina à l'école. D'autres gendarmes ont escorté Sergeï dans le logement famillial pour emporter vite fait deux valises. Direction Toulouse et le centre de rétention administratif de Cornebarrieu.

4 ans de gymkana administratif

Epilogue pour les Okhomouch depuis leur arrivée en France il y a quatre ans, par un vol Kiev-Paris, d'un véritable gymkana administratif. Leur tort ? Etre arrivés avec un visa touristique pour l'Espagne. Or, le règlement européen, dit de Dublin III, prévoit que la demande d'asile et son instruction doivent être faites dans le pays d'arrivée des demandeurs d'asile. C'est ce qui semblerait être la raison du refus de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) d'accorder à la famille le statut de réfugiés.

Depuis septembre 2015, après leur arrivée à Paris, Sergeï et Hénèna ont transité par l'Hérault et les Pyrénées-Orientales. Interpellés à Perpignan, ils ont été placés avec leur bébé de 18 mois une première fois au centre de rétention de Toulouse en vue d'une expulsion vers Madrid. Après leur refus d'embarquer dans l'avion, le juge des libertés ordonne leur remise en liberté.
Le couple demande l'asile en France, et est alors hébergé en Lozère, au Centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) de Chambon. Mais l'Ofpra refuse leur demande d'asile. Les époux ukrainiens font alors appel auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Leur dossier, selon la préfecture de la Lozère, serait arrivé hors délai. 

Assignée à résidence, la famille Okhomouch, qui fuyait depuis 4 ans l'Ukraine, la guerre, les viols, les persécutions et l’antisémitisme, commence à voir ses espoirs de trouver refuge en Lozère se dissoudre. 

Une fillette scolarisée, une famille bien intégrée localement

Leur fillette a beau s’épanouir à l’école maternelle.

La famille a beau être "très bien intégrée", selon Anne Deudon, du Réseau Education Sans Frontière (RESF) et "très appréciée de la population". Elle avait beau s'investir chez Emmaüs.

Un employeur a beau leur avoir fait une promesse d’embauche dans l’agro-alimentaire, qui manque de bras.

Ils ont beau faire une demande de régularisation par le travail.

Les services de la préfète du département le moins peuplé de France leur répond qu'il leur faut retourner en Ukraine pour obtenir auprès de l'Ambassade de France un visa de long séjour.

Dans une lettre à la préfète de Lozère, Héléna raconte son viol et la séquestration de sa famille au Donbass, sa région en guerre

Pour Héléna, c'en est trop. Elle s'effondre, puis se reprend et décide d'expliquer dans une correspondance à la préfète pourquoi elle ne peut pas retourner au Donbass, sa région en guerre, située à l'est de l'Ukraine, où s'opposent les forces gouvernementales et les séparatistes prorusses.

Dans une lettre édifiante, elle lui raconte le racisme et l'antisémitisme dont elle, de confession orthodoxe, et son mari, de confession juive ont fait l'objet.

Nous nous sommes mariés, explique-t-elle, nous n'aurions jamais cru que ces différences allaient transformer notre vie en enfer. Les humiliations, les injures vis-à-vis de notre couple, la porte d'entrée de notre appartement taguée de croix gammées, le refus d'embaucher un "sale juif"...

Elle raconte aussi la guerre au Donbass, "les bombardements et les chars dans les rue de notre petite ville de Ukraïnst", leur enlèvement par l'armée ukrainienne, son mari "emmené pour creuser des tranchées" qui devient "un témoin gênant pour les autorités car il a vu l'arrivée des bataillons de mercenaires de différents pays" (...) ainsi que "des tirs ukrainiens visant des civils de la république auto-proclamée de la région de Donbass(...)"

Elle raconte encore sa séquestration et son viol.

Ma fille et moi avons été jetées dans une cave dans une maison particulière où il y avait déjà quatre hommes qui paraissaient très affaiblis et qui portaient des traces de tortures", écrit-elle. "J'ai été séquestrée pendant trois jours et j'ai vécu l'enfer. Violée, humiliée, menacée, j'avais une seule pensée en tête : "ils vont tuer ma fille". Quand les soldats me séparaient de ma fille, je perdais connaissance.

Elle raconte enfin la répression exercée par la police et la justice sur leurs familles après leur fuite. "Le 9 octobre 2017, recherchant mon mari des inconnus habillés en militaires tuent sa grand-mère de 87 ans. Sa mère est convoquée plusieurs fois chez les enquêteurs de la police nationale de la ville, hulimiée, traitée de "sale juive" , menacée et jugée pour avoir caché le fugitif (...).mes parents sont convoqués à leur tour et subissent les mêmes traitements (...).

La lettre d'Héléna à la préfète n'a pas reçu de réponse.

La préfecture estime avoir fait appliquer les règles

Jointe ce dimanche, la directrice de cabinet de la préfète explique que les règles ont été appliquées. "A partir du moment où les recours sont épuisés, la préfecture se doit de faire appliquer les OQTF. Il s'agissait de faire appliquer une mesure administrative", précise Sophie Boudot.

Notre rôle n'est pas de dire si les demandeurs d'asile peuvent bénéficier du statut de réfugié. C'est l'OFPRA qui décide. Ce sont des professionnels. A notre niveau, nous n'avons pas les moyens de refaire une enquête.

Alors pourquoi avoir sursis au renvoi de la famille Okhomouch ? "Ce n'est pas nous qui avons sursis au renvoi. Nous n'avons pas eu l'information du malaise. Nous avons été informés jusqu'à ce que l'escorte de gendarmerie arrive au Centre de rétention. A partir de là, nous n'avons plus suivi le dossier. Lorsque les personnes expulsées refusent d'être embarquées sur un vol commercial, on ne les embarque pas, mais cela ne met pas fin aux mesures".

Quant à la lettre d'Héléna à la préfète, sa directrice de cabinet assure qu'elle ne leur est pas parvenue. "La famille dit qu'elle n'a pas reçue de réponse. Le bureau des étrangers va vérifier."  

En l'état donc, la famille ukrainienne risque toujours l'expulsion vers son pays d'origine. Toutefois le cabinet de la préfète assure avoir demandé vendredi au bureau des étrangers "de refaire le point sur l'intégralité du dossier". "On va voir et quoi qu'il en soit, on transmettra à l'OFPRA"

De leur côté, les soutiens à la famille s'organisent. Il est désormais question d'associer les associations juives à cette mobilisation. 
Extraits du rapport 2018/2019 d'Amnesty International sur l'Ukraine
L’enquête sur les prisons clandestines administrées par le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) – les services secrets ukrainiens – était au point mort. Les responsables de l’application des lois continuaient d’avoir recours à la torture et,plus généralement, aux mauvais traitements.

Les autorités de fait des territoires sous contrôle séparatiste ont cette année encore arrêté et placé en détention leurs adversaires de manière illégale. Mise en place par le pouvoir contrôlant la région, la Cour suprême de Donetsk a ordonné en novembre la mise à mort d’un homme. En Crimée sous occupation russe, les personnes critiques à l’égard des autorités étaient la cible de manoeuvres d’intimidation, d’actes de harcèlement et de poursuites pénales.

Dans l’est de l’Ukraine, des affrontements ont continué d’opposer les forces séparatisteset l’armée régulière, en violation de l’accord de cessez-le-feu conclu en 2015. Le nombre de victimes a continué d’augmenter, aussi bien parmi les combattants que parmi les civils. L’ONU citait le chiffre de 10 225 mortsau 15 août, dont 2 505 civils. Le 27 décembre, les deux camps ont procédé à un échange de prisonniers, libérant au total 380 personnes.

Daria Mastikacheva a été arrêtée le 15 août par le SBU et détenue au secret pendant deux jours. Ressortissante ukrainienne résidant en Russie, la jeune femme était venue rendre visite à sa mère en Ukraine. Elle a été accusée de trahison et de détention illégale d’armes. Des photos d’elle prises par son avocat devant le tribunal montraient qu’elle avait été frappée, voire torturée, par des agents du SBU. Selon son avocat, Daria Mastikacheva aurait reçu des menaces visant sa mère et son fils, jusqu’à ce qu’elle accepte de lire devant une caméra une déclaration dans laquelle elle s’accusait des infractions qui lui étaient reprochées. Elle se trouvait toujours en détention à la fin de l’année,dans l’attente de son procès.

VIOLENCES SEXUELLES LIÉES AU CONFLIT

Dans un rapport publié en février, la Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine a fait état de plusieurs cas de violences sexuelles liées au conflit, reprochant au système judiciaire ukrainien de ne pas avoir permis aux victimes d’obtenir justice et dénonçant l’absence de prise en charge et d’accompagnement dignes de ce nom. La majorité des cas signalés concernaient des violences sexuelles perpétrées contre des hommes et des femmes détenus aussi bien par les forces gouvernementales que par des groupes armés.
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