C'est l'une de ces rares entreprises qui se revendiquent "libérées" : le groupe français Poult, fabricant de biscuits sucrés pour la grande distribution, mise sur "l'autonomie et la responsabilité" de ses salariés, depuis sept ans à Montauban. Un schéma qui essaie en permanence de se renouveler.
"L'homme est au coeur du système", affirme un schéma placardé dès l'entrée de l'usine du Tarn-et-Garonne, d'où sortent chaque jour 120 tonnes de barquettes, nappés chocolat ou mini-tartelettes. Sur les neuf lignes de production qui tournent 24 heures sur 24, les ouvriers voient aussi défiler toutes sortes de chercheurs et d'entrepreneurs, curieux d'étudier le "système participatif d'amélioration continue" appliqué depuis 2007. "Pour résumer, on ne considère plus les ouvriers comme des exécutants, ils décident eux-mêmes ce qu'ils doivent faire sur les lignes, sans attendre un chef", commente Sylvain Pineau, 35 ans, rebaptisé "animateur", plutôt que "directeur" d'une des quatre unités de production.
"On est plus intelligent à 450 salariés que tout seul dans un bureau à décider, lance cet ingénieur. C'est comme ça qu'on a développé l'innovation et qu'on a une croissance à deux chiffres" (12% en 2013). A son arrivée, il y a neuf ans, cet ancien de chez Lu avait été surpris d'entendre des salariés lui dire : "on n'a pas le droit de vous parler ni de vous tutoyer, vous êtes cadre."
A présent, les ouvriers, visiblement confiants, racontent comment c'était, "avant", du temps où le patron habitait derrière l'usine et surveillait les lignes par caméras. "Quand il arrivait, c'était le roi soleil. Fallait pas rester les mains dans les poches", rapporte Philippe Gevrey, machiniste de 39 ans. "Certains avaient la boule au ventre ou pleuraient avant de venir. Je préfère maintenant, on a plus d'autonomie et de responsabilité", explique-t-il, disert, tout en pesant quelques "goûters fourrés".
Etre volontaire pour la planification des horaires lui vaut "80 euros de prime" (sur 1.600 euros net mensuels) et de "ne plus rester tout le temps derrière sa machine".
Plus de grève
En 2001, le nouveau PDG Carlos Verkaeren "avait dû commencer par exécuter un plan social et ça l'avait un peu traumatisé", raconte M. Pineau. En 2005, une consultation avait été lancée dans le groupe sur le thème "Quelles sont nos valeurs ?". Puis 25 salariés, dont seulement deux cadres, avaient réfléchi six mois à une réorganisation du site de Montauban.Résultat : deux échelons de hiérarchie avaient été supprimés dont les "chefs de ligne", la méga-usine avait été divisée en quatre unités autonomes, le partage d'idées encouragé à tous les niveaux. Une équipe "projet d'entreprise", avec un tiers d'ouvriers, remplace désormais le "comité de direction" du groupe.
Dans une salle de réunion, une quinzaine de "volontaires", guillerets, discutent ainsi de la meilleure façon d'"améliorer les performances" de leur ligne où un nouveau biscuit s'élabore en secret. "Alors qu'avant, le matin, les chefs nous disaient "tu vas là, tu fais ça" et "au revoir, terminé"", dit la machiniste Karine Aurientis. "Il y a encore des tensions, mais beaucoup plus de respect entre la direction et le personnel, et on ne connaît plus de grève", assure Fabrice Mouillerac, "technicien de progrès" de 35 ans.
Ici, cependant, pas d'autogestion ni de participation aux bénéfices. Les salariés ne détiennent pas la majorité du capital comme ceux des Sociétés coopératives et participatives. L'été dernier, Poult a été revendu 170 millions d'euros par le fonds LBO France. Qualium Investissement, filiale de la Caisse des dépôts (établissement public), est le nouvel actionnaire majoritaire. Et le groupe (800 salariés, cinq usines) voudrait doubler en cinq ans son chiffre d'affaires (190 MEUR en 2013), en rachetant notamment des entreprises au Brésil ou en Chine.
L'usine ressemble toujours à une usine, avec travail à la chaîne : devant le tapis roulant, des opératrices y égalisent des rangées de biscuits fourrés, dans le bruit des machines d'empaquetage. Au bout de sept ans, on trouve que "l'organisation s'essouffle un peu", dit le machiniste Reda Boudjerou, 45 ans. Alors il a rejoint les 40 volontaires chargés de réfléchir à son amélioration. "Avant, ma vision s'arrêtait à l'entrée du four, sur ma ligne. Maintenant, je dialogue avec tout le monde dans l'usine", s'enthousiasme-t-il. "On ne peut pas dire qu'on est "libres", on a toujours des contraintes, mais tout est bien plus agréable".