A Albi, le magasin Ô Saveurs Paysannes va fêter ses 15 ans. Le plus ancien magasin de producteurs du Tarn défend les circuits-courts, la coopération, la qualité des produits et la juste rémunération pour les agriculteurs. Une réussite qui continue à attirer la clientèle malgré le Covid.#NousPaysans
Tout est dit dès l’entrée du magasin : "de la ferme à l’assiette". Depuis quinze ans les habitants d’Albi savent que derrière la façade jaune délavée située à l’entrée de la ville, le long de la rocade, se trouve le plus vieux magasin de circuit court du Tarn.
A l’intérieur, des fruits, des légumes, de la viande, des fromages, du pain, des confitures, du miel, du vin. Des produits provenant exclusivement de producteurs du département et celui voisin, l’Aveyron.
Vingt-deux producteurs-coopérateurs
Les débuts n’ont pas été faciles. Après de longs atermoiements de collectivités locales pour soutenir financièrement le projet, Ô Saveurs Paysannes ouvre finalement ses portes le 26 mai 2006, grâce notamment au soutien de l’Europe et de l’Etat.
Aujourd’hui, vingt-deux agriculteurs sont producteurs-coopérateurs du magasin. "C’est-à-dire qu’ils participent véritablement à la vie de la boutique, souligne l’initiateur et gérant du projet, Bernard Souleyreau, en assurant des permanences ». Car Ô Saveurs Paysannes ne se veut pas qu’un simple intermédiaire. C’est un prolongement de l’activité de l’agriculteur, dont les permanences sont calculées en fonction du chiffre d’affaires. Le mot d'ordre est coopération.
Parmi-eux Suzy. La productrice de fruits et de confitures est là depuis le début de l’aventure. "C’est vraiment très beau ce que l’on a réussi à faire à fédérer plein de producteurs, d’avoir un panel de produits vraiment super".
La vente à la ferme prend trop de temps
Toute sa production n’est pas vendue par Ô Saveurs Paysannes mais cela a pesé sur sa façon de l’écouler. "Je faisais le marché bio de Saint Juéry et d’Albi et j’ai décidé d’arrêter car je me suis rendue compte que mes clients se rendaient aux Saveurs. Je ne fais pas de vente à la ferme car c’est trop gourmand en temps".
Ce qu’elle vendait en un mois au début, désormais elle le vend à la semaine. "J’ai su répondre à la demande. Faire des pots plus gros, modifier mes pâtes de fruits. Mais il y a aussi une plus forte fréquentation".
Chaque jour, une centaine de clients viennent y faire leurs courses. Chacun pour des raisons différentes. Françoise, retraitée, veut "encourager les producteurs locaux" et "trouve ici des produits d’une qualité remarquable". Katjia, favorable au bio depuis de nombreuses années, s’arrête pour "les produits frais". Quant à Sandrine, elle en fait un acte militant "je fréquente le moins possible les supermarchés. C’est une volonté politique. Je viens d’un milieu d’agriculteur et je veux une juste rémunération pour eux".
"Au départ nous avions plutôt une clientèle sensible aux produits de la ferme qui avaient des racines familiales à la campagne, ou ceux qui étaient sensibilisés aux questions de santé et d’alimentation, raconte Bernard Souleyreau. Très rapidement on s’est rendu compte que notre clientèle était d’un certain niveau, avec des revenus élevés et d’un certain âge. Cette réalité a été battue en brèche très rapidement car on a désormais beaucoup de jeunes, notamment de jeunes couples avec enfants qui recherchent des produits de qualité, sains, bio."
Un effort pédagogique des consommateurs
La clientèle s’est ainsi adaptée aux contraintes du circuit-court car qui dit produits locaux, dit produit de saison, avec un approvisionnement parfois réduit. Un important effort pédagogique a été fait auprès des consommateurs mais aussi des producteurs eux-mêmes. "Certains ne voulaient pas que d’autres agriculteurs intègrent la boutique de peur que cela fasse concurrence. Mais nous nous sommes rendus rapidement compte qu’il fallait intégrer de nouveaux producteurs car cela permettait d’élargir la gamme et de fidéliser la fréquentation."
Une clientèle fidèle malgré des prix plus élevés. "On dit que nos produits sont plus chers mais à qualité égale nous ne sommes pas plus chers que les grandes surfaces. Mais c’est vrai qu’une salade on ne va pas les payer, 30 ou 60 centimes dans les hypermarchés. Parce que derrière, il y a un travail et une juste rémunération".
"C’est sûr que si l’on a une liste de course comme au supermarché cela ne va pas coller, renchérit Suzy. Il faut savoir cuisiner et prendre plaisir à découvrir de nouveaux produits. Au final, l’écart prix n’y est pas vraiment dans l’assiette. Ceux qui comparent le prix de la pomme de supermarché et celle d’ici, il y a en effet un écart. Mais elle n’arrive pas de Nouvelle-Zélande la nôtre. Actuellement, l’agriculture n’est pas payée à sa juste valeur."
"Se sortir un salaire qui ressemble à quelque chose"
Il n’y a que depuis deux ans que la productrice arrive à se "sortir un salaire qui ressemble à quelque chose". 1200 euros par mois. "Je trouve que c’est joli, se félicite-t-elle. Cela fait 17 ans que je fais de l’agriculture. Donc il faut de la patience."
Quatre-vingt pour cent des revenus engrangés par le magasin sont reversés aux producteurs. Le reste a permis d’embaucher trois salariés. La crise du Covid est loin d’avoir provoqué un coup d’arrêt à la structure. Certes le restaurant attenant a été obligé de fermer et son cuisinier de passer au chômage partiel, mais le chiffre d’affaires de la boutique a lui bondi de 30% en pour atteindre la barre des 750 000 euros en 2020.
"Avec le confinement nous avons eu beaucoup de nouveaux clients mais aussi une augmentation importante du panier moyen" détaille le gérant. De 30 euros en moyenne, la facture par client a atteint les 38 euros au cours des derniers mois. L’explication ? "Il n’y avait plus de cantines, il n’y avait plus de restaurants, constate Bernard Souleyreau. Il fallait plus cuisinier. Les gens se sont pris au jeu depuis le premier confinement. Il y a des mamans qui me disent « on n’a pas explosé le budget car le produit n’est plus cher une fois qu’on le transforme."
La crise du Covid booste le chiffre d'affaires
Une tendance loin d’être nouvelle pour Suzy : "A chaque fois qu’il y a une crise sanitaire on le ressent. La crise de la vache folle on a eu un afflux de public nouveau".
Une évolution des mentalités et du rapport à l’alimentation que l’équipe d’Ô Saveurs Paysannes constate chez les futurs agriculteurs. Dans le cadre du partenariat avec le Lycée de Fontlabour, le magasin accueille des BTS de première année dont la majorité sont des fils d’agriculteurs. Il y a quelques années la plupart d’entre eux pensaient que le "bio ce n’était pas rentable. Cela ne permettrait pas de nourrir toute la planète". Désormais c’est loin d’être le cas. Beaucoup s’étonnent de la réussite de ce magasin de producteurs et sont sensibilisés à ces pratiques.
"Après je ne dis pas que l’agriculture bio c’est la panacée, estime Bernard Souleyreau, mais il y a une place intéressante et rémunératrice. C’est aussi redonner un sens à son travail." Peut-être aussi le chemin le plus direct pour renouer le lien entre consommateur et agriculteur.
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