En 2014, Rémi Fraisse a été tué par une grenade offensive lors d'affrontements avec les forces de l'ordre sur le chantier du barrage controversé de Sivens, dans le Tarn. Mardi 23 mars, la cour de cassation doit dire si elle confirme le non-lieu prononcé à l'encontre du gendarme auteur du tir.
Six ans après la mort de Rémi Fraisse à Sivens (Tarn), la Cour de cassation dira mardi 23 mars 2021 si elle confirme ou non le non-lieu rendu en faveur du gendarme auteur du tir de grenade, dans cette affaire devenue emblématique des violences policières.
C'était le 26 octobre 2014. Rémi Fraisse, botaniste et militant écologiste de 21 ans, succombe à l'explosion d'une grenade tirée par un gendarme lors de violents affrontements sur le chantier du barrage de Sivens où une ZAD (zone à défendre) a vu le jour. Le militaire responsable du tir mortel n'a pas été mis en examen. En janvier 2018, il bénéficie d'un non-lieu, confirmé par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse en janvier 2020.
C'est contre cette décision que la famille Fraisse a formé un pourvoi devant la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire, qui est le juge du droit et ne se prononce pas sur les faits. A l'audience du 16 février, l'avocat général avait préconisé le rejet du pourvoi. Les "faits ont déjà été soupesés par des juges d'instruction et en appel par la chambre de l'instruction" et leur décision était "motivée", avait estimé le magistrat.
La question du maintien de l'ordre et de l'usage des armes
Au coeur de cette affaire, l'adéquation des armes utilisées par les forces de l'ordre. Selon la loi, n'est pas responsable pénalement le fonctionnaire de police ou le militaire qui a fait un usage "absolument nécessaire" et "strictement proportionné" de son arme.
La famille de Rémi Fraisse reproche à la chambre de l'instruction de ne pas avoir "pris en considération" un certain nombre d'éléments avant de fonder sa décision.
Vous ne pouvez pas vous borner à un satisfecit des motifs rendus par la chambre de l'instruction sans être assurés que tous les éléments du dossier aient été vérifiés.
Le recours à une grande offensive OF-F1, soit une grenade par explosion, était-elle adaptée, en l'espèce ? Maître Spinosi estime que non car elle avait été choisie "faute de mieux", le gendarme n'étant alors pas doté d'autres types de grenades. "Dans une obscurité totale", le gendarme avait d'autre part tiré "en cloche" et non au sol, et la grenade s'était coincée entre la veste et le sac à dos du jeune militant, avant d'exploser, avait appuyé maître Spinosi.
Deux jours après la mort de Rémi Fraisse, le gouvernement avait suspendu l'utilisation des grenades offensives, avant de les interdire définitivement quelques mois plus tard.
Après cette décision, les grenades GLI-F4 - munitions à triple effet lacrymogène, sonore et de souffle - avaient été privilégiées. Avant de disparaître elles aussi de l'armement des forces de l'ordre car accusées de causer des mutilations.
"Mort pour rien"
"Rémi Fraisse est en réalité mort pour rien. Il a été victime de l'application déraisonnable d'une doctrine de maintien de l'ordre, qui par la suite va être de plus en plus contestée", avait déploré maître Patrice Spinosi, évoquant un "immense gâchis".
"Un homme est mort et (on ne peut) que le regretter", lui avait répondu l'avocat du gendarme, Emmanuel Piwnica. Mais "il n'y a rien à reprocher aux gendarmes. Leur attitude a été exemplaire", avait-il défendu. "Encerclés par des groupes qui lançaient sur eux des projectiles et des engins incendiaires", les gendarmes avaient dû répliquer, avait argumenté maître Piwnica, rappelant que les grenades offensives étaient alors autorisées et n'étaient pas classées dans la catégorie des armes létales.
Les gendarmes n'ont fait que respecter la loi et la chambre de l'instruction l'a constaté.
En cas de rejet de son pourvoi mardi, la famille de Rémi Fraisse verrait son espoir s'amenuiser, voire réduit à néant, d'obtenir le "procès public" qu'elle réclame. La mère et la soeur de Rémi Fraisse "ne se font pas beaucoup d'illusions", selon leur avocate Claire Dujardin.
C'est un dossier qui implique l'Etat.
La famille a d'ores et déjà prévenu que, si elle n'obtenait pas gain de cause en France, elle saisirait la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).