Castres : Fact & Furious, site indépendant de fact-checking, sauvé par les internautes

Le ministère de la Culture a refusé d'accorder une bourse de financement pour le média indépendant de vérification des faits Fact & Furious. L'un des co-fondateurs, le Castrais Antoine Daoust, s'est vu dans l'obligation de lancer une campagne de financement participatif pour sauver son média. Au total, 16 000 € ont été récoltés.

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L'aventure a commencé par un constat : "On a tous quelqu'un dans la famille qui est touché de près ou de loin par la désinformation ou le complotisme. On a voulu comprendre l'enjeu, le dénoncer". Dans le garage de sa maison de Castres, dans le Tarn, Antoine Daoust chapeaute Fact & Furious

Dos au mur après le refus du ministère de la Culture de le subventionner, ce média indépendant de vérification de faits (aussi appelé fact-checking) aurait fermé ses portes – virtuelles – à la fin du mois de novembre 2021. C'était sans compter la mobilisation des internautes. Récit. 

"Ce n'est pas normal que les gens puissent désinformer impunément"

Antoine Daoust, ancien militaire de 39 ans qui a notamment servi au 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres, n'est pas étranger à l'information. Il tenait déjà un blog d'actualité généraliste, appelé Instant Critique. Mais ça, c'était avant le Covid-19, la crise sanitaire, et le flot de fausses informations qui ont inondé les réseaux sociaux et les médias. Alors, avec deux amis rencontrés sur Twitter, Romain Aubert et Tiko Skep, il fonde en février 2021 le média Fact & Furious. 

"Ce n'est pas normal que les gens puissent désinformer impunément. On a voulu créer ce média pour leur répondre, leur dire "on sait que vous avez tort et on va vous le prouver'", explique Antoine Daoust. Les trois fondateurs commencent à rédiger des articles de vérification de faits et se lancent dans plusieurs enquêtes. 

Certaines, notamment celle sur l'agence de communication anti-Pfizer Fazze et ses liens avec la Russie, ont même été reprises dans différents médias nationaux. Fin mai, quatre mois après son lancement, le ministère de la Culture reconnaît Fact & Furious "en la qualité de presse en ligne".

Les enquêteurs de Fact & Furious prennent toujours soin de bien détailler leurs recherches et leurs méthodes. "On est dans la pédagogie, on explique aux gens comment fonctionne la désinformation, les mécanismes qui sont en jeu, comme les biais cognitifs ou le sophisme", continue Antoine Daoust. 

C'est compliqué de sortir les gens du complotisme. Mais, selon les premiers retours que nous avons eus, on a évité à beaucoup de gens de tomber dedans.

Antoine Daoust, co-fondateur de Fact & Furious

"Déçus" par le ministère de la Culture

Pourtant, l'aventure a bien failli s'arrêter là. 

Fact & Furious ne génère aucun retour financier. Et, entre les frais de fonctionnement du média et d'hébergement... "Certes, on ne fait pas cela pour l'argent, mais compte tenu du temps investi, c'est assez compliqué de vivre de notre activité", déplore Antoine Daoust. Les deux autres co-fondateurs, qui exercent en parallèle une autre activité professionnelle, ont dû arrêter pendant un temps leur contribution à Fact & Furious 

Quant à Antoine Daoust, grâce à ses quinze années passées dans l'armée, il touche encore son allocation chômage, ce qui lui permet de vivre. Mais ses droits se terminent fin octobre 2021. 

En juillet, il fait alors une demande de bourse pour les entreprises de presse émergentes, accordée par le ministère de la Culture. Celle-ci est refusée. Raisons invoquées : "Le plan financier est trop fragile", s'agace Antoine Daoust. "C'est lourd à encaisser".

Dans un nouvel appel au ministère, lundi 29 novembre, on justifie ce refus pour le motif qu'il n'a "pas de formation journalistique pour le fact-checking" et on l'invite à redéposer un dossier en juin 2022. Mais le Castrais l'avoue de lui-même : "Je n'attends plus rien du ministère de la Culture". 

Depuis le mois de février, j'ai tout consacré à la lutte contre la désinformation : mon argent, mon temps, ma famille. On s'est donné beaucoup de mal sur ce projet, on se sent déçu de ne pas être soutenu par le ministère de la Culture.

Antoine Daoust

co-fondateur de Fact & Furious

"Je suis au bout du bout, c'est la fin de Fact & Furious". Sans aide de la part du gouvernement, le média ne peut plus fonctionner. Sur Twitter, l'ancien militaire lance un appel de détresse, largement relayé. "Il y a eu beaucoup d'indignation", note-t-il, 

Plusieurs personnes lui conseillent alors de lancer une campagne de financement participative. Ce qu'il finit par faire, jeudi 25 novembre, sur la plateforme Okpal. En seulement trois jours, près de 16 000 € (sur les 6 500 € demandés initialement) sont récoltés.

 "Je ne m'attendais pas à ce que ça prenne autant", avoue Antoine Daoust. "C'est une vraie surprise. Le fait de savoir que nous avons une communauté qui nous soutient nous donne du baume au cœur. Nous avons envie de continuer"

Préparer l'avenir

Tous ces dons permettront de faire vivre Fact Furious "jusqu'au moins en 2022, ce qui laisse aussi le temps de réfléchir à un mode de fonctionnement viable". Mais, "dans les cartons", il y a d'autres projets. Pèle mêle : engager des journalistes indépendants, prolonger l'hébergement du site internet, poursuivre des enquêtes ou encore aménager les locaux (le garage d'Antoine Daoust n'a, entre autres, pas de chauffage).  

Le co-fondateur a décidé de fermer la cagnotte, dimanche 28 novembre, "par honnêteté vis-à-vis des lecteurs : 16 000 euros, c'est largement suffisant", glisse-t-il, d'autant plus que les lecteurs peuvent contribuer mensuellement au fonctionnement du média grâce à la plateforme Utip

Pour lui, cette mobilisation autour de ce financement participatif (qui a même réuni des personnes qui ne connaissaient pas le média auparavant) vient du fait que "de plus en plus de gens sont sensibles aux médias indépendants", à l'heure où de grands patrons étendent leur empire médiatique et s'emparent de plus en plus de titres de presse.

"La presse indépendante est un élément clef dans la vie démocratique", conclut Antoine Daoust. "Au-delà de la ligne éditoriale, lorsqu'un média indépendant est en difficulté, c'est tout le monde qui se sent concerné"

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