Des professionnels de santé ciblés qui n'arrivent pas à se faire vacciner, d'autres qui voient déferler des patients non prioritaires, le CHSCT du CHU de Toulouse qui lance une alerte pour mise danger grave et imminent pour les agents... La vaccination ne va pas sans heurts.
"Continuons à vacciner ceux qui vont mourir et oublions les vivants !". C'est avec colère que réagit ce lundi matin Bernard, un médecin du Tarn qui a souhaité garder l'anonymat. Âgé de plus de 50 ans, il souhaitait se faire vacciner dans la structure dans laquelle il exerce mais il n'y a plus de vaccin.
On l'a renvoyé vers l'hôpital d'Albi où un numéro a été dédié aux professionnels ciblés afin qu'ils accèdent aux vaccins. Il dit avoir appelé maintes et maintes fois. En vain. Nous avons nous-mêmes tenté de joindre quelqu'un au téléphone 10 fois sur cette ligne. Résultat : personne ne décroche effectivement. Un répondeur précise que l'appel a été transféré à une messagerie vocale qui, saturée, ne prend plus de message.
"Nous risquons vraiment d'attraper la Covid !"
Pour Bernard comme pour un certain nombre de soignants, la colère prend le dessus : "on vaccine de vieux déments dont le seul avenir, c'est de mourir là où ils sont. Quand il y a pénurie, il faut organiser les choses autrement. Les plus de 75 ans sont cantonnés dans des endroits clos mais nous soignants, qui risquons vraiment d'attraper la Covid, on ne peut être vaccinés. On nous dit qu'il y a des quotas. Résultat : j'attends toujours d'être vacciné !".
Une désorganisation que dénonce aussi Marguerite Bayart, vice-présidente du syndicat de médecins MG France. "A chaque consultation, je constate un dysfonctionnement, affirme-t-elle. Je vois arriver des diabétiques de 45 ans qui ne sont pas prioritaires. Ils ont réussi à avoir un rendez-vous. Idem pour des gens plus âgés mais sans pathologie grave.
Il n'y a déjà pas beaucoup de vaccins mais en plus, on ne cible pas les bonnes personnes !
Les personnes prioritaires sont les personnels soignants de plus de 50 ans ou ceux qui ont des pathologies graves comme des cancers, du diabète. A partir de ce lundi, les personnes de plus de 75 ans sont les nouvelles cibles prioritaires après que les résidents et le personnel des maisons de retraite aient été eux-même vaccinés au cours des deux dernières semaines.
Rendez-vous injustifiés
Et la médecin de Réalmont (Tarn) de poursuivre : "Je suis très en colère. Mes patients qui sont prioritaires, je les connais, j'ai une liste. Il suffisait que je les appelle un par un, je donnais les rendez-vous en chaîne et c'était fait. Mais avec cette politique du chiffre, on est en train de louper la cible ! A force de gérer tout ça avec des automates, les doctolib et autres plateformes, voilà où on en est. Du coup, on a un afflux de patients qu'on renvoie chez eux car ils ne font pas partie de cette vague-là".
Marguerite Bayart s'est elle-même faite vacciner à la maison de retraite de Montdragon, où elle officiait la semaine dernière. Là aussi, surprise ! "Il restait 3 vaccins. Des pharmaciennes de 30 à 40 ans étaient là. Elles en ont bénéficié. Alors c'est bien, on ne les a pas jetés ces vaccins mais il en manque pour les personnes cibles. J'étais hors de moi !".
Personnel en danger
Du côté de Toulouse, la situation ne semble pas plus réjouissante. Les représentants du personnel au CHSCT (Comité hygiène et sécurité) du CHU lancent une procédure de "déclaration d'un danger grave et imminent concernants ses agents". "On a des collègues à bout, qui tombent comme des mouches", explique Pauline Salingue, déléguée CGT, secrétaire du CHSCT.
"Les infirmières sont censées vacciner en 5 minutes les personnels soignants et en 10 minutes les plus de 75 ans. Il faut dans ce laps de temps, accueillir la personne, rentrer ses données informatiques, faire le vaccin, s'assurer que tout va bien. Tout ça sans pause. Les infirmières chargées de la surveillance post-vaccinale sont en sous-effectif. Elles ont beaucoup trop de monde".
"On voit arriver des intérimaires, des retraités bénévoles, on a même eu un service civique tellement on manque de personnel, affirme Pauline Salingue qui dénonce de l'abattage et du bricolage. Les gens n'ont pas de plannings, enchaînent les heures supplémentaires. Un agent d'accueil a même fait 14 heures d'affilée".
Guichet unique pour malades et personnes à risque ?
Pour la secrétaire du CHSCT, l'hôpital ne parvient pas à recruter car il ne proposerait que des CDD de quelques semaines sous payés. "Il faut des recrutements de fonctionnaires. La vaccination va durer dans le temps. On ne peut pas continuer comme ça avec ce bricolage... Les gens n'ont même pas de planning !". Ce à quoi le CHU répond que 20 personnes ont été recrutées pour les besoins spécifiques de la vaccination. "Le CHU est l'un des établissements français qui a le mieux organisé sa réponse en interne mais aussi en lien avec ses partenaires libéraux", rétorque Anne Ferrer, directrice générale adjointe du CHU.
L'autre point d'achoppement majeur pour le CHSCT, ce sont les locaux. "Que ce soit à Purpan, La Grave ou Rangueil, on accueille des personnes de plus de 75 ans au même endroit que des gens qui viennent se faire tester et sont donc susceptibles d'avoir la Covid... C'est catastrophique !".
Le CHU ne nie pas que l'accueil se fait au même endroit géographique. Mais le lien s'arrête là pour l'infectiologue Muriel Alvarez. "Les mesures barrières et les parcours patients sont respectés et ne sont pas du tout les mêmes" affirme-t-elle.
Y a-t-il pénurie pour les soignants ?
L'autre sujet de vindicte de la représentante du CHSCT : les demandes de passe-droit. "Nous avons vu de nos yeux des mails de membres de la direction qui demandent à faire bénéficier leurs familles des vaccins", s'indigne Pauline Salingue. Dernière nouvelle en date : les soignants qui ne se seront pas inscrits d'ici demain, mardi, pour se faire vacciner devront attendre le mois de mars, annonce la secrétaire du CHSCT qui vient de recevoir le message.
Y aurait-il pénurie de vaccins pour les soignants ? "Non, répond la directrice-adjointe du CHU Anne Ferrer. Les soignants de plus de 50 ans ou qui ont des risques de co-morbidité ont pu s'inscrire et le peuvent encore s'ils le souhaitent. Des vaccins sont réservés pour cette cohorte. Simplement, du fait des contraintes de conservation et de la quantité de patients en demande, le CHU a demandé aux professionnels de se manifester. Les vaccins qui n'auront pas été réservés seront réaffectés pour assurer une ventilation sur tout le territoire".
Mobilisation exceptionnelle des soignants
Du côté du Tarn, l'ARS certifie que l'organisation s'adapte pour accueillir les nouveaux publics prioritaires mais qu'il n'est en aucun cas question d'une suspension de la vaccination pour les soignants. "Les soignants peuvent se faire vacciner dans l'un des 10 centres de vaccination tarnais", mentionne encore l'ARS. Il semble que l'information ne soit pas parvenue aux premiers intéressés.
Au CHU, on se félicite de la mobilisation exceptionnelle des professionels de santé.
"Des infirmières viennent parfois d'autres services pour fluidifier le rythme des vaccinations, explique le Pr Jean-Marc Soulat, chef du service santé au travail du CHU. Il y a une vraie mobilisation. Le personnel n'est pas en refus, bien au contraire".
Des infirmières se proposent spontanément pour venir aider
Quant aux membres de la hiérarchie du CHU qui auraient tenté de faire vacciner leurs familles, le médecin répond : "les personnes de moins de 75 ans qui se présentent et ne font pas partie du personnel médical, on leur demande des justificatifs. Si elles arrivent sans, on n'honore pas la vaccination". Et d'ajouter : "Il y a une pression permanente sur le centre, pas interne mais externe, une pression exercée par toute la population qui souhaite se faire vacciner".