Cinq ans après le lancement du plan Action cœur de ville (ACV) dans 19 villes moyennes situées en grande couronne, qu'en est-il des résultats de ce programme national censé redynamiser nos centres-villes ? Comment en sauver ses commerces, lorsqu'à cela s'ajoute la crise sanitaire, et aujourd'hui les mobilisations contre la réforme des retraites ? Le président de la Fédération française des associations de commerçants (FFAC) livre un constat sans équivoque sur ce secteur en crise "depuis des années".
Quel bilan tirez-vous de la première phase du plan Action cœur de ville (ACV), qui vient de s’achever ? Bernard Morvan, grand défenseur des commerces indépendants, nous a témoigné de de sa “grande déception” avec un volet commerce pas suffisamment abordé.
Oui, je suis assez d'accord avec lui. À l’époque, le lancement du plan Action cœur de ville paraissait comme étant un bon signal en proposant une gestion transversale des centres-villes. En réalité, nous nous sommes vite aperçus que dans beaucoup de villes, cet outil était utilisé pour financer les projets des collectivités locales. Il s’agissait manifestement d’un levier financier qu’ont utilisé les collectivités locales pour financer leurs propres projets, très orientés sur l’habitat, au détriment d’actions spécifiques pour le commerce.
"En réalité, nous nous sommes vite aperçus que cet outil était utilisé pour financer les projets des collectivités locales (...) au détriment d'actions spécifiques pour le commerce"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
C’est lié à la gouvernance des instances du plan Action cœur de ville, dans lesquelles on retrouve les services de l’État et de grands acteurs institutionnels comme Action Logement. Il y a peu d’acteurs du commerce. Cela explique cette coloration davantage orientée vers les projets des collectivités et l’habitat, mais qui sont évidemment des sujets à traiter. Pour revitaliser les centres-villes, il faut intervenir sur différents leviers, dont les leviers périphériques au commerce. Nous étions très satisfaits de ce type de démarche avec des moyens financiers dédiés, ce qui n’existait jusqu’à présent pas. C’était un bon signal. Nous regrettons que les actions spécifiquement dédiées au commerce ne sont à ce jour pas à la hauteur des enjeux.
Que pensez-vous de la création du Conseil national du commerce le 25 avril dernier par la ministre Olivia Grégoire ? Pensez-vous que les commerçants indépendants de centre-ville seront entendus ?
Nous ne pouvons que nous satisfaire de la création d’une instance qui était attendue et qui va enfin prendre en compte ce secteur d’activité qu’est le commerce. Je suis également vice-président de la Confédération des commerçants de France, qui représente les commerces indépendants et participe aux travaux de ce Conseil national du commerce. Il s’agit quand même d’un gros pourvoyeur d'emplois et d'un secteur d’activité économique majeur pour les territoires. Pendant très longtemps, nous avons eu des plans sectoriels sur l’industrie, mais rien sur le commerce.
"Pendant très longtemps, nous avons eu des plans sectoriels sur l’industrie, mais rien sur le commerce"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
Ce Conseil national du commerce est plutôt une bonne nouvelle. Néanmoins, nous restons très attentifs à ce qu’il va en ressortir. S’il s’agit d’une énième commission sans effet concret, ce sera effectivement une déception. Nous restons vigilants. Les rapports, les commissions ou encore les groupes de réflexion sur le commerce ne manquent pas. J’attends à ce que ce sujet de revitalisation des centres-villes soit au cœur des échanges au sein du Conseil national du commerce, et pas uniquement le sujet des soldes ou de la fiscalité. La revitalisation des centres-villes est un sujet structurant et d’avenir pour les territoires.
Observez-vous une amplification de ce phénomène de dévitalisation des centres-villes depuis ces dernières années ?
La dévitalisation des centres-villes est un sujet dont on parle depuis des années. Le constat est clair. Il y a eu la problématique de l’équilibre entre les différentes formes de commerce : la grande distribution, les pôles commerciaux périphériques, les centres-villes et l’avènement du numérique. La concurrence de grandes plateformes internationales comme Amazon est venue percuter l’activité commerciale française, et de manière plus générale, le changement de comportement des consommateurs également.
"La concurrence de grandes plateformes internationales comme Amazon est venue percuter l’activité commerciale française"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
À cela s’ajoute aussi un contexte économique, sanitaire et social difficile depuis quelques années. Les excès de violence qui ont été constatés dans les récentes manifestations ont créé de grandes difficultés pour les commerçants. On parle beaucoup de Paris, mais à Lyon, une avenue a été ravagée le 1er mai dernier. Une cinquantaine de commerces ont été anéantis sur tout un axe commercial.
"Les excès de violence qui ont été constatés dans les récentes manifestations ont créé de grandes difficultés pour les commerçants"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
Nous, la Fédération française des associations de commerçants (FFAC), allons saisir l’État pour qu’il prenne ses responsabilités et accompagnent les commerçants par des mesures de soutien ou d’allègement de charges à la suite de ces manifestations.
Depuis de nombreuses années, il y a un changement structurel, la montée du numérique, un changement des comportements d’achat et d’habitudes des consommateurs avec la seconde main ou le réflexe de moins dépenser dû à l’inflation qui commence à s’installer et les manifestations qui viennent perturber l’activité économique.
Les mobilisations contre la réforme des retraites sont-elles la goutte d’eau de trop pour les commerçants ?
Cela fait des années qu’on alerte sur la désertification des centres-villes. Mais tous les ans, nous avons un nouvel événement qui est la goutte d’eau. Nous avons eu la crise sanitaire, puis l’inflation, une nouvelle goutte d’eau. Aujourd’hui, les mobilisations contre la réforme des retraites, nouvelle goutte d’eau. Et en particulier dans les grandes métropoles, il y a aussi le sujet des zones à faibles émissions (ZFE) et des déplacements qui vient s’ajouter à un contexte extrêmement compliqué. Les politiques publiques locales impactent indirectement le commerce dans les cœurs de ville.
Pour la Fédération française des associations de commerçants (FFAC), et en tant que président, quelles sont les pistes pour la redynamisation des centres-villes ? Estimez-vous être entendus par les pouvoirs publics ?
Les pistes sont nombreuses. Il faut intervenir sur différents paramètres, c’est la difficulté de l’exercice. Ayant été adjoint au maire chargé du commerce à Saint-Étienne (Loire), je connais bien ces sujets. Je vois très bien les difficultés qu’ont les élus pour prendre en compte ces sujets. À l’occasion d’un rapport parlementaire sur le sujet, nous avions proposé de créer une instance de gouvernance locale, à l’image de ce qu’à fait le gouvernement avec le Conseil national du commerce, réunissant tous les acteurs - les commerçants et les élus - autour de la problématique de revitalisation des centres-villes. Cette problématique ne doit pas être uniquement le sujet des élus quand bien même ils ont des prérogatives importantes. Parfois, ils peuvent considérer avoir toutes les cartes en main et ainsi être les seuls à décider. Les élus locaux n’ont pas toujours la culture du commerce et la connaissance du monde de l’entreprise. Avec la FFAC, nous proposions ainsi partout en France des conseils consultatifs du commerce réunissant les élus locaux, les chambres consulaires, les associations de commerçants, les représentants du monde bancaire, de l’immobilier commercial, du monde de la franchise ou encore des centres commerciaux. Ce que l’État a repris à son compte avec le Conseil national du commerce, cela fait des années que nous le proposions à l’échelle locale.
Les collectivités locales ne sont pas outillées pour traiter des sujets très spécifiques du monde du commerce. À la FFAC, nous prônons le déploiement partout en France des managers de centre-ville. L’État, par le biais de la Banque des territoires et de la Caisse des dépôts et consignations, a soutenu les communes qui souhaitaient créer ce poste. C’est une bonne chose. Pour nous, l’État doit poursuivre cet effort de financement aux collectivités, qui ne dépasse pas deux ans. Cette politique doit s’inscrire dans la durée. On ne revitalise pas un centre-ville en quelques mois, car c’est multifactoriel.
"On ne revitalise pas un centre-ville en quelques mois, car c’est multifactoriel"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
Les élus aussi doivent prendre en compte qu’il faut une certaine cohérence. On ne peut pas, d’un côté, vouloir soutenir nos commerces de centre-ville et de l’autre, laisser filer des milliers de mètres carrés commerciaux en périphérie. À Saint-Étienne, j’ai dû moi-même démissionner des mes fonctions d’élu car le maire avait apporté un projet de centre commercial extrêmement destructurant pour le cœur de ville. J’étais chargé de la revitalisation du centre-ville, ce n’était pas cohérent pour moi de rester.
"On ne peut pas, d’un côté, vouloir soutenir nos commerces de centre-ville et de l’autre, laisser filer des milliers de mètres carrés commerciaux en périphérie"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
Il faut être cohérent sur tout ce qui doit composer un cœur de ville, tels que les services publics ou l’offre culturelle. Il faut recentrer un maximum d'activités dans nos cœurs de ville et limiter l’étalement urbain.
Vous disiez dans une interview que le numérique est une “obligation vitale, complémentaire de l’activité en magasin”, peut-il être une solution ?
Le numérique est un sujet essentiel, y compris pour le commerce de centre-ville. Avec la FFAC, nous sommes l’un des rares acteurs à avoir travaillé cette problématique via un partenariat avec les équipes de Google en France. Mais attention, nous ne sommes pas là pour faire la promotion des outils de Google. Nous souhaitons sensibiliser les commerçants sur le sujet du numérique au sens large. Cela se matérialise avec la mise en place d’une ligne téléphonique qui permet aux commerçants d’avoir des réponses à leurs questions sur la problématique du numérique, au-delà des outils spécifiques de Google.
Selon le dernier Baromètre du centre-ville et des commerces, l’attachement des Français à leur centre-ville reste fort, mais s’effrite depuis la crise sanitaire, sachant qu’aujourd’hui, seulement 1 Français sur 5 estime que son centre-ville est en développement. Peut-on changer cette perception des consommateurs ?
Le consommateur a une bonne partie des réponses. Quand vous faites vos achats, cela peut aussi être un acte militant. Soit le consommateur achète sur une plateforme en ligne où la plus-value pour son territoire n’existe pas, soit au contraire, il fait ses courses dans un commerce de proximité. Il alimente ainsi une économie locale, une dynamique territoriale qui sera au bénéfice des habitants. Derrière, c’est de la création d’emplois à la clé. C’est un cycle vertueux.
"Soit le consommateur achète sur une plateforme en ligne où la plus-value pour son territoire n’existe pas, soit au contraire, il fait ses courses dans un commerce de proximité"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération française des associations de commerçants
Nous souhaitons faire comprendre cela au consommateur. Mais attention, certes, des économies peuvent être réalisées par des achats sur une grande plateforme en ligne, mais nous leur demandons de toujours mesurer l’impact en matière de destruction d’emplois et de déstructuration de l’aménagement du territoire. Cela contribue ainsi à la vacance commerciale, c’est-à-dire ces commerces qui ferment en rez-de-chaussée d’immeubles. C'est là où le citoyen a du mal à faire ce lien qui devrait pourtant être assez naturel. Vous êtes propriétaire d’un appartement en centre-ville. Si vous avez en bas de chez vous un local d’activité commerciale dynamique, une belle enseigne indépendante, vous imaginez bien que votre logement prendra de la valeur. Un rez-de-chaussée vacant, ce n’est pas la même chose. C’est la force du commerce et son impact immédiat en termes de vitalité sur un centre-ville. À l’inverse, un centre-ville qui ne se porte pas bien, cela va se traduire par de la vacance commerciale et par le développement d’une activité de piètre qualité. Le maire a une responsabilité. S’il n’y prend pas garde, c’est tout son centre-ville qui va se transformer de manière très visible.
"Vous êtes propriétaire d’un appartement en centre-ville. Si vous avez en bas de chez vous un local d’activité commerciale dynamique, une belle enseigne indépendante, vous imaginez bien que votre logement prendra de la valeur"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération françaises des associations de commerçants
C'est une question de société. À travers le levier du porte-monnaie et sa consommation quotidienne, chacun peut avoir un impact sur l’avenir de son propre centre-ville ou de son village. Il s'agit juste de se demander quel centre-ville je souhaite avoir demain et en quoi je peux y contribuer. Le sujet de la revitalisation des centres-villes est intimement liée à la responsabilité individuelle, l'acte de consommation.
Avez-vous conscience que les commerces de proximité, généralement jugés plus chers, ne sont pas accessibles à tous les budgets ?
Nous avons conscience que le phénomène d’inflation et les difficultées économiques amènent les Français à devoir faire des choix. Pour autant, la qualité de l'alimentation revient au centre des discussions, notamment autour du manger bien et bon. Maintenir le commerce de proximité, c'est aussi un geste pour l'environnement en évitant de prendre sa voiture.
"Au marché, les prix ne sont pas démesurés par rapport à ceux pratiqués par la grande distribution"
Lionel Sauguesprésident de la Fédération françaises des associations de commerçants
Nos élus nationaux et locaux doivent comprendre que la revitalisation commerciale des centres-villes a des conséquences extrêmement vertueuses dont l'assurance d'un emploi local maintenu. Au marché, les prix ne sont pas démesurés par rapport à ceux pratiqués par la grande distribution. Il est vrai qu'il faut faire preuve de pédagogie. Aller dans son commerce de proximité, ce n'est pas toujours plus cher qu'ailleurs. La qualité des produits, le conseil et la relation humaine font partie de l’ADN des commerces de centre-ville. Cela fait la différence.
Les villes moyennes d'Île-de-France, principalement en grande-couronne, concernées par le plan Action cœur de ville :
- Sartrouville (78)
- Trappes (78)
- Mantes-la-Jolie (78) / Limay (78)
- Poissy (78)
- Rambouillet (78)
- Les Mureaux (78)
- Arpajon (91)
- Corbeil-Essonnes (91)
- Évry-Courcouronnes (91)
- Saint-Michel-sur-Orge (91)
- Étampes (91),
- Fontainebleau (77) / Avon (77)
- Montereau-Fault-Yonne (77)
- Coulommiers (77)
- Meaux (77)
- Nemours (77)
- Melun (77)
- Persan (95) / Beaumont (95)
- Gonesse (95)