Grâce au programme Famille Solidaire menée par l'association France Parrainages, Audrey, 15 ans, une jeune mineure isolée, venue de Madagascar, a trouvé un foyer en Essonne chez Claudette et Joël, un couple de sexagénaires à la retraite.
"Aujourd’hui, Audrey est toute souriante, mais ce n’était pas gagné lorsqu’elle est arrivée chez nous. Elle était très renfermée", raconte Claudette avec son joli accent du Sud-Ouest. "Accueillir, un mineur isolé, c’est l’adopter, pas de façon légale, mais l’adopter avec son cœur et il faut que ça matche des deux côtés", confie Joël, son époux.
Habitants du sud de l’Essonne, Claudette et Joël ont décidé de se lancer dans cette aventure Famille Solidaire, il y a plus d’un an. "Nous sommes originaires du Sud et cela s’entend quand on parle. Nous avons toujours été habitués à voir de nouvelles populations s’installer dans le Lot-et-Garonne, avant de venir en région parisienne. Accueillir, c’était une évidence pour nous, et je n’oublie pas que je suis fils d’immigré italien et que pour mon papa, venu d’Italie, tout seul, cela ne devait pas être facile", relate Joël, âgé de 68 ans, ingénieur en agroalimentaire à la retraite.
Idem pour Claudette, âgée de 69 ans, professeur à la retraite. Je suis une fille d’agriculteur. Étant jeune, j’ai toujours vu mes parents accueillir des saisonniers pour aider en période de moisson. Donc accueillir et héberger, c’était naturel dans notre famille", assure Claudette.
Un accueil encadré pour retrouver de la stabilité
Depuis septembre 2022, Claudette et Joël sont devenus la marraine et le parrain, d’Audrey, âgée de 15 ans, venue de Madagascar.
Nous faisons cela par solidarité et humanisme, nous ne sommes pas rémunérés et nous ne sommes pas des personnes formées. Nous sommes une famille qui tente d’élever un enfant, comme nous l’avons fait pour les nôtres
Joël, parrain d’Audrey
La relation s’est construite petit à petit. Le couple se rend au siège de France Parrainages, située au Kremlin-Bicêtre, dans le Val-de-Marne, pour rencontrer Audrey au mois de juillet la jeune fille. "C’était son anniversaire, plutôt surprenant comme cadeau pour elle, j’imagine, mais pour nous, c’était comme un signe", dit Claudette, touchée.
S’ensuivent plusieurs autres visites qui donneront au couple, et à Audrey, l’envie de vivre sous le même toit. "Audrey est venue s’installer, officiellement le 9 octobre, le jour de mon anniversaire, comme pour faire référence au premier jour de notre rencontre", confie Claudette.
Mais avant, cette rencontre Claudette et Joël passent plusieurs entretiens avec l’ASE, l'Aide Sociale à l’Enfance, et les référents de France Parrainages.
"Nous ne confions pas au hasard les mineurs isolés. L’Aide Sociale à l’Enfance, nous demande de trouver une famille, prête à héberger bénévolement, des mineurs isolés, mais nous faisons une enquête, afin de savoir si la famille peut les accueillir dans de bonnes conditions. Lors de ces entretiens, où un psychologue est présent, on lui explique que les enfants viennent avec des histoires très fortes et parfois extrêmement douloureuses", explique Intissar Koussa, Directrice du Pôle Actions France pour France Parrainages.
Avant d’entreprendre cette démarche, Claudette et Joël, grands-parents de sept petits-enfants, ont tenu à demander l’avis de leurs quatre enfants, tous quadragénaires maintenant. À l’unanimité, ils adhèrent à ce projet en leur reprochant presque de ne pas l’avoir fait plus tôt, se souvient Claudette en riant. "C’était important d’avoir leur accord. Nos enfants sont grands maintenant, et même s’ils viennent nous voir, nous nous sommes retrouvés avec mon mari, dans une grande maison vide et un jour en lisant, un article dans une revue, j’ai fait la connaissance de France Parrainages. Pour mon mari et moi, on a trouvé normal de proposer de devenir Famille Solidaires."
Un accueil bénévole et bienveillant
Pour Joël, il est important de bien faire la différence entre une famille solidaire et une famille d’accueil. "Avant, je ne faisais pas la différence, mais ce n’est pas du tout pareil. Nous faisons cela par solidarité et humanisme, nous ne sommes pas rémunérés et nous ne sommes pas des personnes formées. Nous sommes une famille qui tente d’élever un enfant, comme nous l’avons fait pour les nôtres", tient-il à préciser.
"C’est très important de faire la différence, les familles solidaires ont une indemnité pour les frais liés à des charges courantes, comme l’eau et l’électricité, car elles ne peuvent pas rattacher l’enfant qu’elles accueillent à leur foyer fiscal. Mais il ne s’agit pas de rémunérer une famille", affirme la directrice.
Audrey, est arrivée en France en janvier 2022. Seule et isolée, l’Aide Sociale à l’Enfance, l’accueille dans un foyer où la jeune fille a du mal à se concentrer pour suivre ses études.
"L’aide Sociale à l’Enfance travaille avec nous et nous sollicite pour trouver une famille solidaire. Un suivi est réalisé au sein des familles accueillantes par le référent de l’ASE toutes les six semaines et le mineur vient régulièrement au siège dans nos locaux pour être suivies par nos équipes", explique la directrice de Pôle Actions France.
Depuis le lancement de ce programme d’accueil famille solidaire et bénévole en 2018, une cinquantaine de mineurs non accompagnés (MNA) ont bénéficié d’un hébergement d’au moins un an au sein d’un foyer français. Le soutien apporté par les bénévoles impliqués dans le dispositif Famille Solidaire est multiple. En nouant une relation privilégiée et désintéressée, car bénévole, avec le jeune accueilli, la famille solidaire apporte un cadre rassurant, propice au développement d’une relation de confiance et à un meilleur épanouissement explicite Intissar Koussa.
Une confiance à nouer pour réussir à tisser des liens
J’ai passé énormément de temps à lui expliquer, l’histoire de France, nos cultures, nos régions, car même si Audrey parle très bien le français, on a compris qu’elle était complètement perdue dans notre pays
Claudette, marraine d'Audrey
"Au début, quand Audrey est venue, elle était très silencieuse, secrète et pour elle, notre maison, c’était l’hôtel. Elle passait ses soirées, enfermée, dans sa chambre à discuter, avec sa mère et sa petite sœur, restées à Madagascar", se souvient Claudette. Pour le couple, c’était très difficile. Il demande de l’aide au référent d’Audrey à l’ASE qui intervient et explique à Audrey, tout l’intérêt d’essayer de s’intégrer à une vie de famille.
Craignant de devoir retourner dans un foyer, Audrey sort petit à petit de son mutisme et se rapproche de Claudette et Joël. Pour ces mineurs isolés, la plupart ont leur famille à l’autre bout du globe et un sentiment de culpabilité peut les envahir, s’ils tissent des liens avec une nouvelle famille, ajoute Intissar Koussa.
Nous accueillons des mineurs âgés de 14 à 17 ans, et c’est vrai que nous avons 75 % de garçons, sûrement que les familles craignent moins pour leur garçon que pour leur fille
Intissar Koussa, Directrice du Pôle Actions France pour France Parrainages.
"Nous avertissons toujours les familles quand ils veulent devenir Famille Solidaire, que nos mineurs ont tous un parcours lourd et complexe. Ce sont des histoires migratoires difficiles. Ce sont des jeunes qui font preuve de résilience. À cela, il faut ajouter la barrière de la langue, des repères quotidiens et culturels, complètement différents des leurs. Il faut beaucoup de temps et de patience. Alors, il faut un temps d’adaptation des deux côtés", insiste-t-elle. "Et nous demandons toujours aux adultes, donc aux familles accueillantes de faire encore plus d’efforts que le mineur qui leur est confié, car il reste un enfant, ou un ado avant tout, et que c’est lui qu’il faut préserver", rajoute la directrice.
Claudette et Joël ont donc relevé leurs manches et ont fait connaissance avec Audrey. "J’ai passé énormément de temps à lui expliquer, l’histoire de France, nos cultures, nos régions, car même si Audrey parle très bien le français, on a compris qu’elle était complètement perdue dans notre pays et j’ai compris, ensuite, pourquoi tous les monuments parisiens qu’on lui montrait à son arrivée durant nos balades, la laissaient de marbre. Pour elle, cela n’avait pas d’écho, alors que nous, on voulait lui proposer des superbes balades culturelles que tout le monde aurait aimé découvrir", explique Claudette.
Après plusieurs mois, Audrey est métamorphosée et s’intègre à toute la famille. Elle obtient son brevet avec la mention "Très bien". "Cet été, c’était génial, elle s’est beaucoup amusée avec nos petits-enfants et mes enfants. Elle souhaite devenir pilote de chasse et vient de faire sa rentrée en seconde où elle poursuivra, c’est certain, dans une filière scientifique. Audrey nous apporte beaucoup de bonheur", se félicite Claudette.
Une maison pour réussir à se reconstruire
Autre réalité pour ces mineurs isolés, l’absolue nécessité pour eux de réussir et de rester en France. "Nous avons des ados qui sont venus parfois à travers des voyages très dangereux et qui sont missionnés, par leurs familles au pays, pour subvenir au besoin de tous. Il y a une survie de toute une famille, au loin, sur leurs épaules. C’est une pression mentale très lourde pour ces mineurs, que beaucoup d’adultes ne pourraient pas encaisser", souligne Intissar Koussa. Cela peut expliquer aussi, que la majorité des mineurs isolés soient des garçons. Audrey est presque une exception, ou plutôt elle fait partie du quart restant. "Nous accueillons des mineurs âgés de 14 à 17 ans, et c’est vrai que nous avons 75 % de garçons, sûrement que les familles craignent moins pour leur garçon que pour leur fille, même s’ils sont encore très jeunes", remarque la directrice.
La plupart des enfants accueillis et qui attendent une famille, viennent d’Afrique du Nord, d’Afrique Subsaharienne, d’Asie Mineure ou encore de Madagascar, rajoute la responsable du Pôle Actions Solidaires. Ces jeunes ont fui leur pays pour des raisons politiques, familiales ou humanitaires.
"Le programme Famille Solidaire donne la chance à des jeunes mineurs de réussir. Je peux citer l’exemple d’un jeune migrant de 15 ans, en situation de décrochage scolaire et d’isolement au sein du foyer dans lequel il avait été placé à son arrivée en France, qui a pu reprendre ses études, accompagné et aidé par sa Famille Solidaire dans sa recherche d’école hôtelière et d’un maître d’apprentissage. Je pense aussi à un autre jeune accueilli à 15 ans, passionné par la littérature et pour qui la Famille Solidaire s’est battue pour qu’il poursuive un cursus scolaire qui lui permette d’avoir le temps de choisir ce qu’il ferait plus tard. Il est aujourd’hui à l’université et souhaiterait devenir enseignant. Ou encore, celui d’un jeune, arrivé à 15 ans et qui est maintenant en cursus de mathématiques en Licence et qui continue à rendre visite à sa famille solidaire", énumère Intissar Koussa.
Claudette et Joël envisagent, déjà, de permettre à Audrey, de poursuivre ses études supérieures, en restant chez eux, comme l’ont fait leurs enfants.
France Parrainages recherche des familles
Aujourd’hui, France Parrainages Val-de-Marne, en partenariat avec le département, recherche une vingtaine de bénévoles pour accueillir un mineur isolé à leur domicile, dans les départements du Val-de-Marne, de Seine-Saint-Denis, de Paris, des Hauts-de-Seine mais aussi dans des départements limitrophes à l’Île-de-France. Des familles pour permettre aux mineurs isolés sur le territoire français, sans cadre familial ni soutien affectif de quitter les foyers d’hébergement et retrouver un cadre de vie accueillant et stable.
Deux réunions d'information sont prévues en visioconférence le mardi 26 septembre à 18h30 et le mardi 17 octobre à 18h30 pour permettre au grand public de découvrir le programme Famille Solidaire et d'échanger avec l’association.