Emincer, fleurer, sabler, abaisser une pâte ou crever le riz… Cent mots. Cent gestes culinaires que les futurs cuisiniers vont devoir apprendre dans une langue qui n’est pas la leur. Un traiteur solidaire, les Cuistots migrateurs, vient d'inaugurer une école ouverte aux réfugiés.
Hiba, Qadarkhan, Lobsang... Ils sont dix à faire partie de la toute première promotion pilote de l’école de cuisine des Cuistots Migrateurs, un traiteur solidaire. Ils viennent d’Afghanistan, de Libye ou du Soudan et tous, ont le statut de réfugié.
Au programme de ce cinquième jour de formation sous la houlette du Chef Fabrice Corbonnois : soupe à l’orge perlée, tourin, flan de courgettes sautées, une tarte tatin au boudin. “A tomber !”, sourit le Chef formateur.
L’idée a germé dans la tête des deux fondateurs des Cuistots migrateurs, Sébastien Prunier et Louis Jacquot, qui envisagent la cuisine comme facteur d’insertion pour les réfugiés et d’ouverture aux autres cultures. Avec cette école, ils ont voulu renforcer le caractère social de leur entreprise de traiteur fondée en 2016 qui emploie des réfugiés et valorise la cuisine venue d'ailleurs.
La formation ouverte aux réfugiés dure 4 mois. Elle commence par 180 heures de Français, principal obstacle pour trouver un emploi. "Il y a tout un travail qui est fait pour comprendre les instructions qui sont données en cuisine", explique Imaad Ali, le Responsable pédagogique de l'école des Cuistots migrateurs.
La partie pratique se déroule à l’Institut culinaire de Paris dans l’est parisien. Après avoir été initiés à la langue Française, les apprentis cuistots se consacrent à travailler leurs papilles. Ils bénéficient de 400 heures de cours de cuisine. Ils y apprennent les principales techniques culinaires en préparant eux même leur repas qu'ils partagent ensuite ensemble chaque midi. Le cursus se poursuit avec un stage en entreprise dans un restaurant partenaire et se terminera par un examen pour obtenir le certificat de qualification professionnelle de commis de cuisine, un diplôme reconnu par la profession.
"Je ne travaillais pas dans le secteur de la cuisine", éclate de rire Hiba Gaafar. Cette architecte d’intérieur a quitté le Soudan, son pays natal à cause de la guerre et a dû tirer un trait sur son passé professionnel ne parlant pas assez bien le Français pour l'exercer ici. Pour elle la cuisine française s’apparente à de l’art.
"Le plus difficile pour moi, c’est la langue, pas le travail", témoigne Qadarkhan Safi qui a laissé son pays d’origine, l’Afghanistan, gangréné par le chômage. Il a déjà travaillé dans la restauration et les gestes n’ont pas trop de secrets pour lui mais il souhaite obtenir un diplôme afin d'exercer son métier dans une brasserie.
A l’apprentissage de la langue et de la cuisine s’ajoute un suivi individuel. "Nous proposons un temps de développement des compétences en fonction de leur projet professionnel. Il y a un accompagnement psychologique individuel pour comprendre et vivre les moments de tensions qui peuvent arriver en cuisine et avoir les ressources nécessaires pour désamorcer les éventuels conflits", ajoute Imaad Ali, n’oubliant pas les parcours de vie difficiles que certains ont pu vivre en quittant leur pays.
Côté emploi, pas trop d’inquiétudes, le secteur embauche, même si la crise de la covid a changé la donne. "Certes le secteur est en difficulté mais certains restaurateurs se sont organisés avec de la vente à emporter et il y a la restauration collective qui est demandeuse", affirme Fatem Zahra Berrada, Responsable de l’école. "Lors de la mise en place du cursus nous avons pris en compte l’expression des besoins des restaurateurs. Ils ont toujours besoin de main-d’œuvre. Et c’est pour ça que nous avons pu ouvrir légitimement cette formation", ajoute Imaad Ali.
L’école des Cuistots migrateurs bénéficie d’un financement public du ministère du Travail, de mécénats privés mais aussi d'un financement participatif. Lancée début novembre, la campagne de crowdfunding menée sur la plate-forme Ulule a permis de rassembler 103 632 euros.
Pour aider l'école des Cuistots migrateurs, il est possible de faire un don sur le site d' Helloasso.
La deuxième promotion des apprentis cuistots débutera le cursus en mars prochain.