Quatre salles de consommation à moindre risque (SCMR) devraient voir le jour dans certains quartiers au nord-est de Paris, dont deux dans le quartier des Grands Boulevards, dans le Xe arrondissement.
Le Premier ministre Jean Castex a donné ce mercredi son feu vert à la maire PS de Paris Anne Hidalgo pour aménager de nouveaux sites d'accueil des consommateurs de crack mais émet une réserve sur celui prévu près d'une école dans le XXe arrondissement, dans un courrier que l'AFP s'est procuré. "La création de nouveaux lieux dédiés à l'accueil et au repos sera soutenue par les services de l'Etat" sous réserve d'une offre et d'une localisation adaptées, écrit le Premier ministre qui veut "offrir aux consommateurs des lieux de repos et un parcours de sevrage de qualité" et souhaite poursuivre le déploiement de "l'offre de soins" dans le cadre du plan crack signé en 2019 entre l'Etat et la Ville.
Si le Premier ministre n'évoque pas explicitement l'aménagement de nouvelles salles de consommation à moindre risque (SCMR) — plus trivialement appelées "salles de shoot" —, sujet de crispation politique comme avec les riverains, les quatre nouveaux sites proposés fin août par Anne Hidalgo "ont ainsi vocation à s'inscrire dans le cadre expérimental offert par la loi du 24 janvier 2016, que le gouvernement prendra l'initiative de proroger" avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté en Conseil des ministres le 6 octobre.
Bilan "positif" à Paris et Strasbourg
Cette loi de 2016 a autorisé l'expérimentation des SCMR jusqu'en 2022. Deux structures de ce type ont été lancées depuis, à Strasbourg et à Paris. Au sein de la capitale, elle se situe dans le Xème arrondissement, rue Ambroise-Paré, au pied de l’hôpital Lariboisière, entre les stations Barbès-Rochechouart et Gare du Nord.
Jusqu’ici, la question de ces "salles de shoot" divisait jusqu'au sein du gouvernement, entre la ligne dure adoptée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et celle du ministre de la Santé Olivier Véran, dont le cabinet a jugé "positif" le bilan des deux structures.
Lire aussi : Salles de shoot : "objectif de santé et de tranquillité publique"
Des réserves sur le XXème
Le chef du gouvernement émet cependant des réserves sur l'un de ces quatre nouveaux sites envisagés par la mairie, situé à quelques mètres d'une école et sur lequel le maire du XXème arrondissement Eric Pliez doit s'expliquer ce mercredi soir avec les riverains lors d’une réunion. "J'appelle d'ores et déjà votre attention sur la difficulté évidente que représenterait la création d'un tel équipement sur un site mitoyen d'une école élémentaire", souligne le Premier ministre. Cette "salle de shoot" devrait voir le jour dans le quartier de Pelleport. Mais les riverains ne l’entendent pas de cette oreille et n’hésitent pas à descendre dans la rue et faire entendre leur opposition à un tel projet. Samedi, ils étaient 400 à avoir manifesté devant la mairie du XXème arrondissement.
Lire aussi : Dans le 20e arrondissement, l'opposition contre une nouvelle salle de shoot s'organise
Mardi, les députés Caroline Janvier (LREM) et Stéphane Viry (LR), chargés d'une mission flash sur le sujet, ont jugé les SMCR "utiles et efficaces", mais souligné qu'il fallait privilégier l'ouverture de nouvelles salles "au niveau de scènes déjà existantes", c'est-à-dire de quartiers où les consommateurs ont l'habitude de consommer dans la rue.
Inquiétude dans le Xème
Il n’y a toutefois pas que dans le XXème arrondissement que la colère gronde. Le Xème pourrait aussi s’embraser, surtout le Grands Boulevards. Parmi les quatre nouveaux sites envisagés par la mairie de Paris, deux devraient voir y le jour. Le premier devant le Musée du Chocolat — près du métro Bonne nouvelle — et le second, à une centaine de mètres de là, dans une ancienne station de métro, située devant le théâtre de la Renaissance, vers la Porte Saint-Martin.
Habitant le quartier de Bonne Nouvelle, Bénédicte est inquiète. "Le sentiment majeur qu’on ressent, c’est normal, c’est humain, c’est de l’inquiétude", nous confie-t-elle. "On est inquiets et blasés, parce qu’on voit déjà notre quartier se détériorer depuis quelques années. L’effet Covid a été ravageur. C’est plus violent et plus sale qu’avant. J’ai une petite fille qui, lorsqu’elle va jouer dans les parcs avoisinants, fait du toboggan avec les rats et elle est entourée de personnes fortement alcoolisées (…) On a déjà trouvé des seringues d'usagers dans des plantes à l’entrée de notre immeuble, des SDF dans nos étages et dans le hall…l’annonce de l’ouverture de cette 'salle de shoot' à eu un effet coup de massue", déplore Bénédicte.
J'ai la forte impression que cette 'salle de shoot' va devenir un point fixe de rencontres de deal et de nuisance.
Disant craindre "une deuxième Stalingrad (…) en termes de violences et de nuisances sonores", la mère de famille explique payer "une conséquente taxe d’habitation dans un quartier qui n’est plus trop nettoyé, on installe une 'salle de shoot' en bas de chez nous et on nous dit de la fermer (…) je suis inquiet en tant que mère, en tant que femme, et en tant que riveraine. On a sentiment qu’en tant que riverains, on n’est plus les bienvenus dans le quartier". "J'ai la forte impression que cette 'salle de shoot' va devenir un point fixe de rencontres de deal et de nuisance", estime-t-elle.
Le crack, source de tensions
Dérivé de la cocaïne, très addictif et bon marché, le crack — dont le nom vient du bruit qu’il produit en chauffant — est, depuis plusieurs mois au cœur de fortes tensions dans le nord-est parisien, où la consommation dans la rue, de jour comme de nuit, engendre de fortes nuisances pour le voisinage.
Mi-mai, la préfecture et la mairie s'étaient accordées pour regrouper les toxicomanes dans le nord des jardins d'Eole, site historique de consommation à la frontière des XVIIIe et XIXe arrondissements, afin de soulager les riverains du secteur voisin de Stalingrad. Mais fin juin, Anne Hidalgo a décidé de mettre fin à cette situation provisoire en interdisant les consommateurs de crack d'accès au parc, afin que les habitants en reprennent possession. Depuis, "les consommateurs et revendeurs de crack ont maintenu leur présence aux abords du site et les scènes de violence comme les nuisances à l'égard des riverains n'ont pas cessé", souligne Jean Castex.