"Si vous voulez que votre voix compte, levez-vous !" Coupures : une comédie satirique autour des antennes 5G qui revivifie le théâtre en cette rentrée

Le maire écologiste d'une petite commune rurale annonce l’installation prochaine d’antennes-relais 5G, sans consulter ses administrés. Les spectateurs, transformés en villageois, sont embarqués dans ce débat vif conduit avec humour. Un spectacle coup de coeur à découvrir au théâtre de l'Oeuvre. Une réflexion collective sur la prise de décision politique et ses conséquences sur les citoyens.

"Si vous voulez que votre voix compte, levez vous !" C'est par cette adresse au public que commence Coupures, une pièce de théâtre à l'énergie folle. Le spectateur se retrouve d'emblée convié à participer à la réunion d'un conseil municipal extraordinaire. Le thème du débat : le maire a-t-il le droit d'autoriser l'implantation d'antennes relais sur la commune sans concertation préalable de ses concitoyens ?

À l’échelle d’un village, l’arrivée des antennes relais constitue un bouleversement. Contrairement à celles posées sur les toits des grandes villes, on les voit  de loin, de très loin ! Dès lors, leur utilité se trouve plus facilement mise en balance avec leurs potentiels effets néfastes sur le paysage  - mais surtout sur la santé.

Pour raconter l'ébranlement suscité par la décision aussi inattendue qu'incongrue d'un maire élu sous une étiquette écologiste, l'intrigue de la pièce met en place une mécanique implacable. Le spectateur, médusé, se retrouve happé dans le tourbillon des argumentaires qui s'affrontent, jusqu'au retournement de situation finale - véritable piège qui entend dévoiler les contradictions implicites à l'oeuvre dans toute prise de décision politique. Il n'a alors pas d'autre choix que de se lever de son fauteuil et de participer à des applaudissements collectifs bien mérités.

L'écologie monte sur les planches

Le personnage principal de Coupures se nomme Frédéric. Il dirige une exploitation agricole, convertie au bio, avec son épouse Sahar et son beau-frère Elies. Il est aussi devenu le maire de sa commune. Il s'acquitte de sa fonction avec énergie, ses administrés sont jusque là contents de ses actions. Lorsque sa commune est choisie par un opérateur téléphonique pour implanter une antenne-relais 5 G, Frédéric se retrouve dans une situation qu'il n'avait pas du tout prévue. Farouchement hostile à cette implantation, il entend bien soutenir une position défendue par les habitants de son village. D'accord pour les antennes relais - la commune sera ainsi reliée à la modernité - mais pas la 5 G, technologie qui fait débat et ne rassure pas. Il pense qu'il sera soutenu par le préfet. A tort. Les pressions arriveront de toute part !

Frédéric - Je ne signerai pas ça. C’est un conflit d’intérêt. Sahar - Non, c’est de la corruption.

extrait de la pièce "Coupures" de Samuel Valensi & Paul-Eloi Forget

Dans  leur note d'intention, les deux auteurs et comédiens de la compagnie "La Poursuite du Bleu", Samuel Valensi (le maire) et Paul-Eloi Forget (son beau-frère) déclarent : "Coupures est une pièce qui aborde la place que le public occupe, ou plutôt celle qu’il n’occupe pas, dans le débat démocratique." Le scénario qu'ils ont imaginé met bien en lumière la verticalité des prises de décisions politiques, les incompréhensions et résistances qu'elles ne peuvent alors que générer, tant au niveau du simple citoyen que de l'élu qui leur est au plus proche : le maire. L'impression qui domine, dans la chaîne des décisions qui sont peu à peu prises au cours de l'intrigue, est celle d'un autoritarisme qui s'oppose aux choix éclairés parce qu'il est au service d'intérêts financiers qui ne reculent devant rien pour forcer la main des élus dans leurs prises de décisions.

"Des décisions prises par des cravates et des taille-crayons !"

"Comment continuer de s'ouvrir au monde moderne sans nuire notre environnement ? Avec des nouveaux récits aussi imaginatifs que celui ci, la culture nous donne des réponses !", constate un spectateur à la sortie du théâtre. Et une jeune femme complète :  " Une très bonne pièce, qui nous aide à mieux comprendre certains enjeux politiques dans des décisions locales."

"Indignez-vous !" proclamait dans un essai publié en 2010, Stéphane Hessel. Cet opuscule, d'une trentaine de pages, défendait l'idée selon laquelle l'indignation est le ferment de l'« esprit de résistance ». C'est peut-être bien cet état d'esprit que l'on retrouve chez les deux dramaturges, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget. Leur tour de force, c'est de nous conter cette histoire à hauteur d'hommes et de femmes, de rendre clair des enjeux citoyens dans un petit village, en nous montrant comment tous se retrouvent directement concernés par l'arrivée non voulue de la 5G à la campagne.

Toutefois, si le propos de cette pièce se veut réflexif, c'est bien à un moment de spectacle que nous convient les deux auteurs. Avec deux paravents pour tout décor, ils ont eu à coeur d'inventer des transitions ingénieuses pour passer d'un tableau à un autre. Une nappe peut ainsi se métamorphoser en un bébé ; une chaise devenir un ascenseur et donner l'illusion des étages parcourus ; deux draps vont mimer les moissons … Le tout nous entraîne dans un rythme endiablé, efficacement servi par une troupe de comédiens (June Assal, Michel Derville, Valérie Moinet, ainsi que les deux auteurs de la pièce), véritables caméléons au diapason de la violoniste Lison Favard qui interprète la musique en direct sur scène.

Un an après la création à Paris et les représentations "coup de coeur" du Off d'Avignon cet été, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget ont accepté de répondre à nos questions lors de la reprise de leur pièce au théâtre de l'Oeuvre - à voir jusqu'au 30 avril 2023.

  • Après avoir vu la pièce, le titre « Coupures » reste énigmatique, comment l’avez-vous choisi ?
    On avait l'impression d'une solitude commune. Les citoyens ne supportent plus le fait que les élus ne respectent pas leurs promesses, les élus se sentent démunis lorsqu'ils découvrent que des hauts fonctionnaires non-élus décident à leur place.
    C'est aussi la coupures entre les lieux de pouvoir et ceux qui sont en bout de chaîne, qui subissent des décisions qu'ils ne comprennent pas. C'est là qu'il y a des différences de langages, de l'incompréhension, de l'ironie, du conflit et donc du théâtre.
    C'est enfin la coupure entre l'image qu'on a de la fonction d'élu et la réalité du terrain : le fait même de devenir maire impose aux politiques des modes de décision qui les isolent des citoyens et, bien souvent, de leurs propres désirs.

  • En quoi, pour vous, la scène théâtrale est-elle un média pertinent pour proposer une réflexion sur le politique et aussi sur la politique ? 
    Il est certain que les questions politiques divisent. Aujourd'hui, nous vivons bien souvent cette division derrière nos écrans, à l'abri de nos claviers. Ce n'est pas inutile mais c'est une forme d'isolement.
    Le théâtre nous permet de nous diviser ensemble, c'est un lieu de communion même quand c'est un lieu de conflit. C'est ce lieu où l'on peut donner à voir comment une décision politique, un événement historique, un fait en apparence divers... peuvent créer le conflit entre moi et mon voisin, entre moi et mes parents, la personne que j'aime, celui ou celle qui, ce soir, est assis à côté de moi.
    Mais le conflit nous lie toujours solidairement, c'est une forme d'agora, idéale pour parler de ce qui nous divise - la politique - comme pour l'incarner - le politique. 

  • Selon vous, est-ce que le dilemme posé pourrait être celui de tout autre élu non-écologiste ?
    Notre thème est d'abord la démocratie. L'intérêt de l'écologie, c'est qu'elle apporte un lot de questionnements extraordinaires sur tout le fonctionnement de notre vie sociale, économique, de nos moeurs, de nos valeurs morales. Choisir le point de vue d'un maire écologiste nous promettait une source assez inépuisable de conflits et donc de récits, une incarnation qui peut toucher chacun.
    Les problèmes écologiques n'apparaissent pas avec les élus écologistes mais ces derniers les cristallisent, ils offrent quelqu'un à portée de gifle dès qu'il s'agit de remettre en question nos habitudes. Tous les rapports du GIEC sont unanimes sur le fait qu'il faut réduire notre consommation de viande - et en particulier de viande bovine - mais qu'un élu écologiste le dise et les conflits commencent, c'est là qu'il peut y avoir du théâtre. Parce que tout ça est incroyablement identitaire : ce n'est pas difficile de végétaliser une partie de son alimentation mais c'est très dur de renoncer au livre de recettes de sa grand-mère.

  • Quel est votre point de vue sur le rôle encore possible et l’utilité des élus de base ?
    Si la question est de savoir si les élus locaux sont utiles, la réponse est oui, plus que jamais. Cela dit, ils incarnent parfaitement la crise démocratique que nous traversons : ils sont pointés du doigt, ont souvent du mal à mobiliser, sont en grande partie dépossédés de leurs prérogatives - notamment par les décisions prises à la préfecture, dans les communautés de communes, etc - ... bref, le lien paraît rompu. On a donc, plus que jamais, besoin de retisser, de collectivement reconstruire ce dont ils décident et comment ils décident.
    On apprécie donc particulièrement que notre spectacle soit appelé par des communes, comme celle de Fontenay-sous-bois (94) récemment, qui se servent de notre création comme l'opportunité d'une agora.
      
  • Comment vous est venue l’idée de cristalliser ce débat sur les citoyens et les convictions écologiques face au réel autour de l’implantation des antennes 5G ?
    Dans une petite commune, tout le monde se connaît, les enjeux humains prennent vite le pas sur les enjeux techniques. C’est pour ça que nous avons imaginé ce maire pris dans un dilemme moral, déchiré entre l’exploitation agricole de sa famille et les promesses faites à ses concitoyens, intérêts personnels et intérêt général, économie et écologie. Nous avons traité des antennes de dernière génération parce que ça nous semblait l'exemple parfait : aucun élu n'a été interrogé pour savoir s'il était pour ou contre cette technologie et la seule fois où les citoyens ont eu à se prononcer, ils ont demandé un moratoire qui n'a jamais eu lieu - c'était à la convention citoyenne pour le climat. En résumé, il n'y a eu ni débat démocratique sur les modalités de son déploiement comme sur les usages que nous aimerions en faire. 
    On peut donc dire que la 5G va nous permettre d'aller beaucoup plus vite mais on ne sait toujours pas où.
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