Publié le Écrit par Toky Nirhy-Lanto

L'attaque du domicile du maire de L'Haÿ-les-Roses, dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 juillet, rappelle que les élus locaux sont en première ligne. Certains maires sont actuellement visés par des attaques durant les émeutes suivant la mort de Nahel, mardi dernier. Leur rôle est d'autant plus important, qu'ils sont le lien entre leur commune et l'Etat.

Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 juillet, la maison de Vincent Jeanbrun a été attaquée avec une voiture-bélier incendiée. Dans ce déchaînement de haine, la compagne du maire (Les Républicains) de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) et l'une de ses filles ont été blessées.

Très vite, les condamnations ont fusé de toutes parts. Le soutien aussi. Ce dimanche 2 juillet, la Première ministre ainsi que plusieurs membres du gouvernement se sont rendus au domicile de l'élu pour témoigner de leur soutien. Une enquête a été ouverte pour "tentative d'homicide volontaire avec préméditation".

Depuis la mort de Nahel, et au-delà des événements organisés en hommage au jeune homme, des émeutes ont lieu. Des pillages, des destructions, notamment de mairies. Quand il ne s'agit pas d'attaques sur des élus municipaux, en particulier sur des maires. Ces élus de proximité voient leur rôle évoluer, durant ces émeutes. France 3 Paris-Île-de-France a recueilli leurs témoignages.

Au plus près avec la population

Pour Laurent Jeanne, maire (Libres !) de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), "les nuits sont courtes, on ne dort pas beaucoup". Il note que "c'est surtout la nuit que les choses se passent. Le matin, il nous faut en plus nettoyer ce qui s'est passé." Au niveau des dégradations, l'élu estime que sa commune "s'en sort pas trop mal, au regard de ce qui s'est passé". "Outre l'attaque du commissariat, il y a eu des feux de poubelles et de voitures. Et vendredi soir, nous avons pu avoir la BRI dans la commune, en plus de la police nationale", détaille l'édile. Laurent Jeanne précise que pour l'instant, la police municipale de sa commune n'est pas encore effective : "Elle sera opérationnelle en fin d'année."

Dans cette crise qui a commencé mardi soir, l'élu a vu son rôle évoluer. "En temps normal, nous sommes le lien entre les dispositifs publics et la population. Dans cette période, il se trouve que nous devons coordonner nos dispositifs notamment avec la police, en ce qui concerne la vidéoprotection par exemple, et maintenir aussi le lien avec la population. Il estime que "garder le contact avec le milieu associatif, les structures en matière de jeunesse, tout cela pour passer des messages d'apaisement. Cela permet aux habitants des quartiers qui ont confiance dans l'action municipale de passer le message de préserver le bien commun".

Devant cette situation perturbée, le maire en appelle à d'autres réponses : "Je pense qu'on n'a plus tellement d'autres solutions pour les prochains jours, que d'avoir la mobilisation de l'armée. On est plus que ravis d'avoir la BRI, mais elle ne pourra pas être là tous les soirs. Selon lui, "la situation était un peu mieux sur les deux dernières nuits, mais on voit qu'il y a des phases ou cela n'est pas le cas. On voit qu'on arrive aux limites de l'exercice. On voit bien que les forces de police font beaucoup mais ne sont pas en capacité de gérer ce qui se passe, par manque de moyens."

Gardiens du dialogue

Quelques kilomètres plus à l'ouest, à Châtillon (Hauts-de-Seine), les dégâts liés aux émeutes n'ont pas épargné la commune, non plus. Nadège Azzaz, maire (Parti socialiste) de la commune explique que son équipe "n'a absolument pas de répit, et nous sommes sur le pont quasiment 24 heures sur 24. Il faut veiller même de nuit, pour coordonner les actions de terrain avec les services de l'Etat. Faire le lien entre la préfecture et les sous-préfectures, notamment sur la présence des forces de l'ordre, mais aussi diriger notre police municipale sur les points qui peuvent être sensibles. Il faut coordonner aussi les services de la ville sur le nettoyage, prendre un arrêté pour que les particuliers ne laissent plus leurs poubelles sur la voie publique, et envoyer les agents ramasser ce qui peut faire danger."

L'élue veut aussi préserver le contact avec les habitants. "Il faut aller constater les sinistres, parler avec les commerçants, rassurer la population et discuter avec les jeunes. J'ai croisé sur territoire de ma commune beaucoup de jeunes, qui pourraient être impliqués directement et d'autres en colère avec ce qui se passe. Je pense qu'il faut pouvoir avoir un échange : dans mon rôle d'élue, j'entends cette colère, mais je leur rappelle que la violence ne justifie rien. Avec les destructions, ce sont les plus fragiles qu'on impacte. On n'aurait pas l'idée de saccager sa propre maison. Il faut expliquer, réexpliquer, entendre la colère et dire que la violence ne justifie rien. Il faut à tout prix éviter la contagion, et que ces jeunes se fassent influencer", ajoute l'édile.

En dépit du contexte, elle a fait en sorte que "les manifestations sportives et festives puissent se maintenir, tout en assurant la sécurité". Histoire de préserver "le lien social".

"Casques bleus et pompiers"

Au sud de l'Île-de-France, se trouve Grigny (Essonne). À sa tête, le maire (Parti communiste) Philippe Rio. Il insiste sur le rôle important des maires, surtout en cette période de tensions. "Nous sommes les casques bleus de la république aujourd'hui. Nous sommes à la fois médiateurs, pompiers. Nous devons protéger les civils, les équipements publics, qui sont le patrimoine de ceux qui n'en ont pas", tonne-t-il. Sur sa commune, il n'y a pas à ce jour de dommages sur les bâtiments publics. "Une tentative d'incendie dans une école, des affrontements avec des véhicules brûlés et des feux de poubelles", précise l'édile.

Le maire de cette commune de l'Essonne en appelle aux plus hauts niveaux du pouvoir. Il estime que les maires ne sont pas considérés, y compris pendant cette crise. "Nous sommes des corps intermédiaires de la Republique, et ce gouvernement a peu de respect pour les corps intermédiaires. Pendant la gestion du Covid, nous nous sommes retrouvés bien seuls. Nous avons anticipé. Là, nous sommes traités de la même manière. Nous sommes bien utiles aujourd'hui, mais nous sommes fondamentalement peu entendus. Le rapport entre les maires et le président de la République est très difficile. Je l'appelle avec son gouvernement à écouter les élus locaux : la République, on va la faire ensemble. Nous ne sommes pas de simples exécutants", déplore-t-il.

Debout malgré les aléas

Invités à réagir sur la tentative d'incendie survenue au domicile du maire de l'Haÿ-les-Roses, tous trois sont unanimes. "Qu'on vienne contester le travail des maires, c'est le débat public. En venir à s'en prendre à des bâtiments publics, cela n'a aucun sens. S'en prendre physiquement à la famille d'un élu et à un élu, ce n'est pas entendable", lâche Laurent Jeanne, maire (Libres !) de Champigny (Val-de-Marne). "Une partie marginale de la population souhaite faire des élus une cible, car nous sommes à portée de main. J'ai pour habitude de déjeuner dans une brasserie près de la mairie avec mon équipe, mais ce vendredi, j'ai demandé qu’on soit en intérieur", concède l'élu.

Sa collègue de Châtillon (Hauts-de-Seine) soutient sans réserve son collègue : "On est tous impactés : ce sont les maires qui tiennent la République à bout de bras. Il y a une notion d'hyperproximité : le jour où j'ai peur pour moi et pour ma famille, si j'avais la boule au ventre en me promenant dans ma ville, j'arrêterais. Face à cette situation, elle choisit la résilience "Je n'ai pas envie de me laisser dépasser par la peur. J'apporte tout mon soutien à mon collègue : aucun d'entre nous ne mérite d'être blessé, violenté. On n'est plus maire en 2023, comme on l'était en 20 ans : être maire est un sacerdoce. Ce ne sont pas les indemnités qu'on touche qui justifient d'être maire. Bien souvent, nous sommes en fonction, on travaille à côté. J'ai repris fonctions à côté, je suis fonctionnaire. Je vis à Châtillon, je suis une enfant de cette ville, j'y ai fait ma scolarité. Je crois dans la capacité de la population à soutenir ces élus, qui sont les derniers à leurs côtés."

Philippe Rio, maire (Parti communiste) de Grigny, condamne cette violence. Il blâme aussi le contexte préexistant : "Dans une période de troubles insurrectionnels, les maires sont à portée de baffes et bien plus. Dans ce moment trouble, nous maires ne sommes pas à l'abri de ce que vivent les pompiers, les habitants des quartiers. Il y a de la violence accrue, et dans ce contexte-là, je la condamne évidemment. La crise actuelle est un accélérateur de cette violence qui existe déjà." Le maire appelle à "résister et à penser l'après".

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