Découvrir Paris gratuitement, comme un habitant ou habitué du quartier, c’est possible en suivant un greeter. Ce dernier propose de révéler son quartier, pas à la manière de voyages organisés, mais avec des bons petits plans et des petites anecdotes du quotidien.
Jean-Claude Simhon habite le quartier de Montmartre depuis 40 ans. En cette belle matinée de juillet, il a rendez-vous avec un groupe de touristes belges, devant la station de métro Lamarck-Caulaincourt située sur la ligne 12.
"Je donne rendez-vous, toujours ici, car c’est juste à côté de chez moi, alors si le groupe a du retard où un empêchement, c’est pratique pour moi. Mais, c’est aussi dans l’esprit des greeters, de toujours donner rendez-vous aux touristes devant un point d’accès, arrêt de bus ou de station de métro, ou encore une gare, pour qu’ils n’aient pas de difficultés pour se repérer", précise Jean-Claude Simhon, Président de l’association Greeters Paris.
Venez en touristes, repartez en amis, c'est notre devise
Jean-Claude Simhon, Président de l’association Greeters.Paris
Suivre un Parisien
Depuis plus de 15 ans, Jean-Claude Simhon est greeter, mot qui signifie hôte en anglais. Il fait découvrir son quartier bénévolement.
C’est Samantha qui a tout organisé en s’inscrivant sur le site Greeters.Paris pour avoir une visite personnalisée de Paris, lorsqu’elle préparait ce week-end de Belgique. Elle ne savait pas quel quartier, elle allait découvrir avec son mari Etienne, et leur couple d’amis Valérie et Jo.
Avec Jean-Claude, c’est super ! On n’aurait pas osé s’aventurer tout seul dans ces petites rues
Samantha, touriste belge
"Je ne savais pas qu’on allait visiter Montmartre. On a compris que c’était ce quartier quand le rendez-vous a été fixé devant ce métro. C’est un rêve pour nous de découvrir ce quartier avec un habitant", dit Samantha enthousiaste, qui a adoré le film Jean-Pierre Jeunet "Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain".
Le cadre du film est déjà retrouvé devant le point de rendez-vous puisque l’accès de la station est visible dans le film.
Présentations faites, le groupe s’élance vers les hauteurs de Montmartre. Direction les vignes et halte devant le mythique cabaret, Au Lapin Agile, juste pour situer les lieux au groupe. Pas question de s’attarder, car cela fait partie du traditionnel circuit touristique et ce n’est pas l’esprit de cette balade découverte.
Le groupe poursuit sa visite vers l'avenue Junot et bifurque rapidement vers une impasse célèbre, la Villa Léandre, figée dans le temps, pittoresque et aux allures londoniennes à commencer par la célèbre porte du numéro 10 qui rappelle la résidence du Premier ministre britannique où est inscrit d’ailleurs le "10 Downing Street". L’impasse abrite des petites maisons aux végétations surprenantes en plein Paris, et les façades révèlent des sculptures méconnues du grand public.
Le groupe est conquis. "Avec Jean-Claude, c’est super ! On n’aurait pas osé s’aventurer tout seul dans ces petites rues", reconnaît Valérie qui en profite pour faire des photos. Jo, quant à lui, s’approche des demeures et tente de regarder cette flore exceptionnelle qui entoure les demeures."C’est incroyable, on oublie qu’on est à Paris, j’ai l’impression d’être à la campagne", dit-il, surpris.
Le groupe rejoint l'avenue Junot et s’arrête devant des demeures empreintes d’artistes renommés comme la maison de Tristan Tzara construite par l’architecte viennois Adolf Loos, précurseur de l’Art Nouveau et en rupture avec son temps. Une autre demeure voisine attire le regard : celle Francisque Poulbot qui s’est fait connaître à partir de 1900 pour ses dessins publiés dans la presse.
Installé sur la butte Montmartre avec son épouse, il fait partie des artistes montmartrois très attachés à ce village de Paris et ouvre un dispensaire destiné à venir en aide aux enfants pauvres de la butte, qu’il baptise "Au P’tit Poulbot", raconte Jean-Claude Simhon.
"Lorsqu’il se fait construire l’actuelle maison, Poulbot n’a pas manqué de rendre hommage à ces enfants avec la mosaïque en façade qui représente des têtes d’enfants", poursuit Jean-Claude Simhon qui entraîne son groupe vers un square qu’il affectionne particulièrement pour y avoir souvent emmené son fils quand il était enfant.
Entre des anecdotes personnelles comme ce détour, Jean Claude Simhon répond aux questions du quatuor curieux du mode de vie des Parisiens.
"Les questions sont variées selon les groupes. Cela peut concerner le système scolaire français, les transports, les salaires, les loyers...mais aussi les travaux nombreux qu'ils croisent dans la capitale", énumère le président de l'association.
D’ailleurs à un moment, le groupe a été contraint de marcher sur la route, car les trottoirs sont en travaux.
"Avant on râlait toujours dès que des travaux de canalisation nous empêchaient d'emprunter le trottoir, mais depuis le drame qui a eu lieu rue Saint-Jacques, on est content et rassuré de voir que des travaux sont entrepris", explique Jean Claude Simhon à son groupe qui reprend le sujet de ce dramatique accident et répond aussi qu'en Belgique, régulièrement des travaux de voiries sont effectués.
Vivre entouré d’artistes
Le groupe poursuit sa promenade et au détour d’une ruelle découvre la demeure de Dalida.
"C’est vraiment incroyable, tout à l’heure, nous sommes passés devant la place Dalida où il y avait plein de touristes, et là Jean-Claude nous fait découvrir la maison cette immense artiste où il n’y a personne devant ! C’est génial, c’est vraiment qu’avec un habitant du quartier qu’on peut découvrir tout ça. Nous tous seuls, nous n’aurions jamais osé déambuler comme ça", avance Samantha.
"Je précise qu'un greeter n'est pas un guide touristique mais une personne qui connaît bien un quartier et qui a envie de guider un groupe de touristes noyés dans une foule ou un pays qu'ils ne connaissent pas. C'est ça l'esprit d'un greeter, comme son origine", rappelle Jean-Claude Simhon.
Le concept des greeters est né à New-York en 1992. Crée par Lynn Brooks, l’approche consistait à améliorer la réputation de New York considéré alors comme "dangereuse, chère et oppressante", en laissant les touristes la voir au travers des yeux de ses habitants.
Ensuite, cette approche s'est répandue dans le monde et a débarqué en France en 2006 à Paris.
À la recherche de greeters
Depuis plus de 15 ans, Jean-Claude Simhon organise bénévolement des visites de son quartier. Il suffit de s’inscrire en ligne pour une balade commentée. L’association à Paris compte 300 greeters et couvre tous les quartiers y compris ceux situés aux portes de Paris. Aujourd’hui retraité, il peut planifier plus de visites, mais il admet être victime de leur succès.
"J’ai 66 ans, la plupart des greeters sont des retraités, même si j’ai toujours fait visiter mon quartier quand je travaillais comme cadre bancaire. Nous peinons à recruter des jeunes, mais nous comptons certains étudiants", se réjouit le sexagénaire. L’association cherche à recruter d’autres personnes pour pouvoir satisfaire le nombre de demandes.
Les visites sont gratuites et limitées à 6 personnes, donc vite complètes prévient-il. Jean-Claude emprunte une petite rue et montre l'école élémentaire où son fils allait et l'école. Au passage, il les emmène ensuite dans le discret Square Suzanne Buisson, où jouait également son fils et où trône la statue de Saint-Denis devant une petite fontaine. Le groupe apprécie la pause rafraîchissante.
C’est vrai que nos balades n’ont rien de solennelle, c’est comme si on faisait visiter notre quartier à un cousin venu de province
Roselyne, Montmartroise et Greeter
En poursuivant leur balade, Jean-Claude Simhon tombe nez à nez avec Roselyne, une amie du quartier et aussi greeter. "Montmartre, c’est un village, tout le monde se connaît et c’est un quartier que j’adore ! Moi, je fais visiter le quartier de Montmartre autour de la ligne 2, métro Blanche. D’ailleurs, cet après-midi, j’ai une visite avec un ado et ça m’inquiète un peu, car je me demande ce que je pourrais lui montrer d’intéressant pour son âge", se demande-t-elle tout haut.
Jean-Claude la rassure et lui rappelle qu’elle est une des plus anciennes de l’association et qu’elle trouvera de quoi l’intéresser. Complice, elle rit de la remarque de son vieil ami et ajoute : "C’est vrai que nos balades n’ont rien de solennelle, c’est comme si on faisait visiter notre quartier à un cousin venu de province, je vais bien trouver quelque chose", et se lance dans une longue discussion avec Samantha, Valérie, Jo et Etienne.
"On a l’impression de faire partie de ce quartier en nous baladant avec Jean-Claude. Le fait de discuter avec des gens comme ça. On ne verra peut-être pas la place du Tertre ou le Sacrée Cœur, mais ce n’est pas grave, car ce qu’on vit là, c’est formidable. On vit la vie des Parisiens. C’est super", confie Samantha.
La petite troupe enchaîne ensuite vers la rue Lepic, mais avant se retrouve nez à nez avec "Le passe muraille" personnage fantastique décliné dans le roman, du même nom, de Marcel Aymé et dont la place porte son nom. La sculpture est à peine entourée de quelques passants. Le groupe prend la pose pour une photo.
Avant de traverser pour se rendre vers la rue Lepic, Jean-Claude leur montre le célèbre Théâtre Lepic qui marque le début de l'avenue Junot, car il se situe au numéro 1.
La promenade se poursuit rue Lepic où le groupe s’arrête devant le moulin Radet sur le toit du restaurant dit "Moulin de la Galette". Brièvement, Jean-Claude précise que de nombreux films y ont été tournés et que de nombreux artistes comme Henri de Toulouse Lautrec, Auguste Renoir ou encore Vincent Van Gogh ont reproduit ce lieu dans des tableaux.
Le groupe descend la rue et se retrouve devant l'épicerie "Au Marché de la Butte" , où ont été tournées des scènes du film Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain. L’enseigne n'a pas bougé et on peut facilement imaginer Lucien (Jamel Debbouze) persécuté par son patron, Monsieur Collignon (Urbain Cancelier), dont le nom figure en haut de l'édifice. "Ici, il y a énormément de touristes, mais pour les habitants, c'est l'épicerie du coin", explique le Monmartrois.
Ses compagnons sont ravis par tous ces détours et ces nombreux passages découverts. "Aujourd'hui, les touristes ne veulent plus voyager en circuits organisés au pas de course, où tout le monde voit la même chose. Quand ils viennent à Paris, ils ne souhaitent plus seulement visiter le Sacré-Coeur ou la Tour Eiffel, mais aussi rencontrer des habitants, partager leur quotidien", enchaîne notre greeter.
Jean-Claude accepte une photo, mais il tient à montrer autre chose à son nouveau groupe d’amis et descend rapidement une ruelle qui amène le groupe devant Le Bateau-Lavoir, une cité d’artiste, connue pour avoir été, depuis 1904, un lieu de résidence, de réunion et de création de nombreux artistes français et étrangers.
Un incendie l'a gravement endommagée en mai 1970 (il n'en reste alors que la façade), et la cité est entièrement reconstruite à l’identique en 1978, mais cette fois en béton. Son cachet n'est plus le même, mais elle comporte toujours, sur sa façade arrière, vingt-cinq ateliers d'artistes vitrés qui contribuent à maintenir la notoriété du lieu.
"Beaucoup de gens passent devant et ignorent ce que ce lieu raconte",précise Jean-Claude Simhon.
Le groupe achève leur promenade, quii aura duré deux heures, devant le métro "Abesses" et le mur des "Je t’aime" dans toutes les langues. Essoufflés, assoiffés, ils tiennent à finir cette rencontre autour d’un bon déjeuner et veulent absolument inviter leur nouvel ami Jean-Claude.
"Venez en touristes, repartez en amis" c’est notre devise souligne Jean-Claude Simhon qui a rencontré de très belles personnes au cours de ces visites. D'ailleurs, il va bientôt se rendre aux Etats-Unis pour le mariage de la fille d'un touriste américain.
"J'ai rencontré cette famille, il y a plusieurs années et ils revenaient régulièrement. Une amitié est née et cette fois, je vais me rendre chez eux et ce seront mes greeters. Pour eux, je devais être présent avec mon épouse qu'ils connaissent aussi, au mariage de leur fille que j'ai promené dans mon quartier", raconte le greeter ravi et ému.
L’association vit de petits dons remis par les touristes dans un petit panier à la fin de la visite. "Les personnes donnent ce qu’elles veulent, c’est surtout pour nos frais de logistiques, comme les feuilles de papier, les cartouches d’encres. Mais parfois c’est une invitation à déjeuner quand le courant est bien passé et qu’on souhaite poursuivre nos échanges", explique le président. Aujourd’hui, on compte plus de 1700 greeters dans toute la France.
Tout le monde peut devenir greeter :habitants, salariés d'un quartier, étudiants… Il faut juste être majeur et avoir du temps libre... Étienne en tout cas, est charmé. "Je trouve ce concept superbe et pourquoi ne pas le faire chez nous, car la Belgique mérite le détour et recèle aussi de beaucoup de richesses", rappelle-t-il. La relève semble assurée.