La colère des agriculteurs fait tâche d'huile, avec des actions de plus en plus nombreuses sur le territoire français. Alors que les Pays de la Loire commencent à être touchés par ce mouvement, les ferments y sont également bien présents. Entre les prix d'achats qui ne suivent plus l'inflation et la lourdeur des normes administratives, réactions dans la ruralité qui souffre.
Roch Chéraud n'est pas surpris par ce mouvement de colère qui enfle dans la France rurale. Il connait bien ce monde, il est le maire d'une petite commune, Saint-Viaud, à l'ouest de Nantes, en direction de Saint-Brévin-les-Pins.
Saint-Viaud, avec ses 2 800 habitants, et son maire qui gère bien des choses, de la demande de subventions, aux problèmes de voisinage.
Des petites communes abandonnées
Élu depuis 2014, Roch Chéraud a déjà, par le passé, exprimé sa colère vis-à-vis d'un pouvoir central bien loin des réalités de la France rurale. Notamment après un courrier envoyé aux maires de France par Emmanuel Macron, avant le congrès des maires de novembre 2018.
"Du foutage de gueule. Quatre pages de pommade d’un chef de l’État déconnecté de la réalité", avait-il déclaré à l'époque dans Ouest-France.
En mai 2023, c'est dans les colonnes du Courrier du Pays de Retz que le maire de Saint-Viaud évoque les difficultés des petites communes qui s'estiment "abandonnées" par les services de l'Etat.
Alors, le mouvement actuel dans les campagnes, après les Gilets Jaunes, pour lui, ce n'est pas une surprise.
"En fait, ça ne s'est jamais arrêté à la suite des Gilets Jaunes, constate Roch Chéraud. Après, il y a eu les fameux cahiers de doléances ... Le confinement a mis un peu sous cloche les problèmes de la ruralité. Il y a eu, certes, la création d'un secrétariat (d'Etat) à la ruralité, mais qui a duré très peu de temps. Alors qu'en même temps, on a des ministères à la ville. Cette symbolique des mots montre quelque chose par rapport aux pouvoirs publics."
Roch Chéraud rappelle que cela fait des années que ses collègues des petites communes et lui-même se battent pour empêcher les fermetures de classes dans les écoles ou pour la santé dans le monde rural, l'éloignement des services publics.
La pauvreté du monde rural
"Et dans le même temps, déplore l'élu, on nous abreuve de normes"
Ce sentiment de "déclassement" des habitants des campagnes est réel selon lui.
"On a une très grande pauvreté aujourd'hui dans le mode rural, dit-il. Vous avez des gens en grande souffrance et, par-derrière, il n'y a pas les infrastructures d'accompagnement qu'on peut avoir dans les villes. On va vers un gros problème de fond que nous, on sentait arriver."
Roch Chéraud est aussi le président de l'association des maires ruraux de Loire-Atlantique. Quand il dit "nous" c'est qu'il englobe nombre de ses collègues d'autres communes éloignées des métropoles. Bien qu'incapable de prédire l'avenir du mouvement de colère actuel des agriculteurs, il se dit inquiet.
"Ça fait longtemps qu'on alerte et je pense que de façon collective on n'a pas pris la mesure du phénomène" reconnait le maire de Saint-Viaud.
Les démissions d'élus qui s'enchaînent sont également un signe pour lui "du malaise des élus qui ne sont que des citoyens comme les autres et qui voient bien qu'ils n'ont pas les clés de la solution.
Des démissions qui sont le seul moyen pour ces élus de faire connaître leur désarroi.
"On n'a pas ces moyens de pression que peut avoir aujourd'hui le monde agricole", fait-il remarquer.
"On n'a plus le droit à l'erreur"
Adrien Moyon, est éleveur de bovins à Pontchâteau. Il voit bien ce qui dysfonctionne dans ce monde agricole. Se lever tôt, travailler jusqu'à 70 heures par semaine, très peu de congés, pour gagner de moins en moins, forcément, ça finit par épuiser.
"Les coûts de production ont vachement augmenté depuis le Covid, dit-il. Et l'inflation galopante fait qu'on n'a plus le droit à l'erreur."
Son lait lui est acheté à 41 centimes du litre par la coopérative avec qui il est en contrat. Mais le coût de production est à 46 centimes du litre. Le calcul est vite fait.
"Je travaille à perte, déclare Adrien qui a vu sa trésorerie fondre. Je suis passionné par mon métier, mais, malheureusement, la passion a une fin. Il y a des jours, on se pose la question : est-ce qu'on a fait le bon choix de faire ce métier-là."
La lourdeur administrative
Tout comme pour le maire de Saint-Viaud qui dénonce le manque de moyens et l'inflation administrative, Adrien Moyon dit être noyé lui aussi par la lourdeur des dossiers qu'il doit préparer dans son activité, notamment lorsqu'il lui a fallu agrandir la stabulation et demander une subvention.
"Sur l'exploitation, on est trois associés, il y a quasiment un temps plein qui fait de l'administratif, comptabilité, relations avec les partenaires. Le temps passé augmente" constate l'éleveur qui précise que pour monter de tels dossiers, l'aide d'un intervenant extérieur est devenue indispensable.
Il a dû aussi faire une demande de dérogation de "sols nus". Les fortes pluies de l'automne et du début d'hiver ne lui ont pas permis de semer ses céréales. Or, selon une directive européenne, on ne peut pas, sauf dérogation, laisser un sol sans le cultiver. Il n'aura donc pas de paille pour ses bovins et a dû, déjà, en commander pour plus de 7 000 euros.
Manifestations aux péages de Vendée
Des prix trop bas et des charges qui augmentent, c'est ce qui mobilise les agriculteurs en ce moment.
Depuis ce mardi soir, la Vendée a rejoint le mouvement national des agriculteurs. Ce mercredi matin, plusieurs péages étaient occupés pour des opérations" péage gratuit". Pas de blocage, mais des manifestations pour faire connaître les raisons de cette colère en invitant les automobilites/citoyens à consommer Français et local.
"Le carburant, l'électricité qui vont monter, c'est très difficile pour un jeune de voir l'avenir sereinement", déclarait ce matin Thibault Merlet, président des Jeunes Agriculteurs du canton des Herbiers, présent sur un péage de l'A87.
D'autres péages, à Saint-Hermine, à Fontenay-le-Comte, étaient également occupés ce mercredi. Des actions sont aussi prévues en soirée dans le Maine-et-Loire.
Outre la gratuité du passage, les agriculteurs procédaient aussi à des contrôles des marchandises dans les camions frigorifiques. De la sauce tomate espagnole et de la viande allemande ont ainsi été interceptées.
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