Témoignage. Son père a tué sa mère, la fille de Karine Esquivillon, Eva-Louise attend que la justice soit "très ferme"

Publié le Écrit par Fabienne Béranger
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Le 27 mars 2023, Karine Esquivillon disparait. Son corps sera retrouvé dans un bois situé à une dizaine de kilomètres de son domicile, sur les indications de son mari qui a avoué avoir tué son épouse et dissimulé son cadavre. Eva-Louise, leur fille âgée aujourd'hui de 21 ans, a accepté de se livrer sur cette affaire.

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Le 15 juin 2023, au terme de deux jours de garde à vue, Michel Pialle avoue avoir tué Karine Esquivillon, mère de cinq enfants, disparue fin mars à Maché, en Vendée.

Sur ses indications, les gendarmes retrouveront le corps de sa femme, dans un bois près de Challans, à 16 km environ du domicile conjugal.

Eva-Louise, âgée aujourd'hui de 21 ans, est l'une des filles du couple.

Elle a accepté de nous livrer son témoignage, elle qui a, depuis cette affaire, renié le nom de famille de son père pour ne garder que celui de sa mère.

Un an et demi après les faits, elle vit toujours "des hauts, des bas".

"On y pense tous les jours, il y a des jours où on aimerait qu'elle soit là, à nos côtés, présente. Il y a des jours où on aimerait l'appeler pour lui dire les bonnes nouvelles ou les mauvaises nouvelles, avoir des conseils".

Je dirais que ça peut aller, on avance avec ce qu'on a, mais là où ça ira mieux, je pense, ce sera quand il y aura justice qui sera faite.

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

Des faits incohérents

Fin mars 2023, Karine Esquivillon, est portée disparue. Eva-Louise l'apprend "au détour d'une journée totalement banale", par un appel téléphonique de son père.

"Il me dit : voilà, ta mère est partie, je ne sais pas où elle est (...) Il me dit qu'elle a pris une grosse somme d'argent, qu'elle a laissé un message, qu'elle a tout plaqué, que des choses comme ça".

Impossible pour Eva-Louise qui rétorque à son père, "si c'est une blague, arrête-toi là parce que ça commence vraiment à m'inquiéter. Et il me dit non, non, que c'est vrai, que ce n'est pas une blague, qu'elle est partie".

"Après, il raccroche, c'est là où je me dis qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Là, on est en train de basculer dans quelque chose qui ne va pas du tout".

"À ce moment-là, je suis surtout sous le choc, j'essaie de comprendre, j'essaie de lui envoyer des messages, j'essaie de l'appeler. C'est le premier réflexe qu'on a. J'en parle avec mes amis qui connaissent la famille, qui la connaissent depuis dix ans. Donc on en parle, on se dit qu'il y a quelque chose qui ne va pas".

Il n'y a rien qui va. Et à ce moment-là, je me dis qu'il y a quelque chose dont on n'est pas au courant, que soit il ne veut pas dire, soit elle n'est absolument pas partie du tout.

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

Une sensation "horrible"

Pour Eva-Louise, cette version des faits concernant la disparition de sa mère est "impossible dans son caractère, dans sa façon d'être". Elle commence aussitôt à avoir des doutes.

"Ma mère, c'est une personne qui est gentille, qui est adorable, qui s'entend avec tout le monde. Elle n'a jamais eu de problème, rien. Quant à lui, avec la maltraitance psychologique qui était présente..."

Fin mai 2023, Michel Pialle appelle sa mère à revenir, à donner signe de vie, devant notre caméra, une sensation "horrible" pour Eva-Louise.

La sensation, elle est telle qu'on a l'impression de subir une torture.

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

"Le fait de savoir cette vérité-là, qu'il la détienne, et que déjà il nous ment, à faire ce genre de quête aux médias, on a envie de lui hurler, on a envie de lui dire : dis la vérité, dis ce que tu sais, maintenant".

LIRE AUSSI. Disparition de Karine Esquivillon. "Je suis convaincu qu'elle est partie volontairement", le mari de la disparue témoigne

"Qu'il se montre comme ça, c'est encore pire et odieux, je dirais, parce que c'est joué, c'est arriver à un stade où c'est du sadisme, je le considère comme ça".

Eva-Louise fera à son tour une vidéo pour soutenir son père, comme "un moyen de détresse où il pourra faire une erreur", "il avait très bien compris qu'il était soupçonné de la part de tous, donc j'étais la seule à qui il se confiait beaucoup sur son état émotionnel".

"À ce moment-là, je me suis dit, le seul moyen de chercher cette erreur-là, en fait, c'est qu'il soit dans une confiance pleine, en fait, et je me suis dit, le seul moyen que j'ai, c'est de faire comme lui, de prendre place sur un grand écran, de le mettre en confiance, et à ce moment-là, est-ce qu'il va faire une erreur ou non ?"

Un pari osé, qui lui vaudra une vague de haine sur les réseaux sociaux, mais qui fonctionne.

"Par la suite, il a fait beaucoup plus d'erreurs, dans les incohérences, dans ses propos, ses dires."

"Quand on m'a annoncé qu'il était en garde à vue, qu'il y avait perquisition de partout, je me suis dit ok, là, ça avance, là c'est bon, il y a assez d'éléments, c'est un moment qui est décisif, c'est un moment qui va venir trancher énormément de choses".

Le temps s'arrête

La nuit du 16 au 17 juin 2023, Michel Pialle craque, il avoue avoir tué Karine Esquivillon. Eva-Louise l'apprendra par son frère aîné, Thomas.

"Il est très très tôt, il est 5 h du matin. Il m'explique qu'ils ont retrouvé son corps, donc moi à ce moment-là je m'effondre littéralement, le temps s'arrête en fait, c'est bête à dire mais le temps s'arrête, tout s'effondre sous mes pieds, on a l'impression qu'on ne tient plus, qu'on tombe dans une chute constante".

On sait où est le sol, on sait qu'on va atterrir, on sait où on va, mais c'est une chute qui va faire mal en fait.

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

C'est Eva-Louise qui se chargera d'appeler famille et amis, "c'est horrible c'est qu'en fait on revit l'annonce, mais je revis l'annonce peut-être sur 4 h, le temps d'appeler tout le monde, le temps de dire ça y est, on a la vérité, on l'a retrouvée, et on entend les cris des gens au téléphone, on entend les cris, on entend les pleurs, on entend la colère, on entend les questions".

"Une fois qu'on raccroche et qu'on n'a plus personne à appeler, c'est une colère rentrée en fait, mais c'est une colère où on serait capable de tout détruire, et à la fois on n'en a pas la force, tellement la tristesse est profonde".

"C'est un mélange d'émotions, aussi de soulagement, parce que de se dire qu'on l'a retrouvée, qu'on va pouvoir l'entourer une dernière fois de l'amour, qu'on va pouvoir l'amener vers quelque chose de paisible, d'avoir cette vérité-là, qui n'est pas complète, mais de savoir qu'il l'a fait, de savoir qu'il est en prison, de savoir qu'on l'a retrouvée, là où je pense à certaines familles qui n'ont jamais retrouvé le corps, par exemple".

On a eu un peu de chance dans ce malheur là, parce qu'il y a des familles qui ne retrouvent jamais le corps, il y a des familles qui n'ont jamais une réponse de qui est l'assassin.

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

La version de son père est de dire qu'en nettoyant son fusil pour le vendre, le coup est parti tout seul. Impossible pour Eva-Louise.

"C'est là où je me dis que c'est du sadisme jusqu'au bout, c’est-à-dire qu'il cache la vérité pendant deux mois et demi, et même avec toutes les preuves qui l'ont poussé à lâcher. On est sur une personne qui a une licence de tir, qui va en club de tir, le nettoyage d'une arme, normalement on la démonte complètement, on fait en sorte qu'une balle ne soit pas chambrée, déjà pour commencer, il y a des choses qui sont totalement incohérentes".

Du sadisme qui ne surprend pas Eva-Louise, habituée aux violences psychologiques de son père sur la famille.

Des violences psychologiques

"J'aime bien prendre l'exemple de la secte, c'est-à-dire que la violence psychologique qu'il mettait en place, c'était une violence qui était totalement à huis clos, elle était fermée, la famille était un clan".

"Ma mère n'a pas eu de compte bancaire pendant très longtemps, pas de voiture non plus, pas le droit de conduire, l'ordinateur était avec des mots de passe".

"Il jouait sur les enfants parce qu'il savait que ma mère c'était une maman poule, il faut le dire franchement, c'était une maman poule, ses enfants étaient tout pour elle, c'était sa raison de vivre".

Un temps séparé, les époux Esquivillon reviendront ensemble, "une sorte de colocation". Karine Esquivillon sera ainsi dépendante financièrement de son mari.

"Ma mère est restée mère au foyer pendant des années, surtout à la naissance de mon petit frère, pour pouvoir s'en occuper. Donc, c'est  très compliqué à un certain âge de retrouver un travail, sachant, en ayant eu aussi un cancer, les employeurs sont très frileux face à ça".

Après le meurtre de sa mère, Eva-Louise reniera totalement son père, "déjà, je n'avais pas forcément d'excellent rapport avec lui".

Je l'ai renié intégralement de ma vie jusqu'au nom de famille, je l'ai totalement changé et pris celui de ma mère

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

"Déjà petite, je voulais le nom de ma mère. C'est quelque chose que je trouvais important parce que c'est un modèle pour moi".

"Elle était énormément bricoleuse, elle avait de l'or dans les mains, ça, c'était quelque chose que tout le monde disait, elle pouvait vous trouver un vieux tabouret à la déchèterie totalement abîmé ou une palette, elle en faisait des choses magnifiques. Elle retapait tout, elle avait ce don de voir la beauté dans chaque chose".

Une blessure ouverte

Comment se reconstruire, à 21 ans, après de tels événements ?

"On ne se reconstruit pas. C'est une blessure qui est ouverte. On apprend à vivre avec cette blessure-là, cette douleur-là, mais on ne se reconstruit pas. On avance avec, mais ça laisse des marques, ça laisse des séquelles, ça laisse des cauchemars, ça laisse des sentiments d'injustice, d'incompréhension, de faiblesse qui sont très présents".

Dans les moments les plus durs, Eva-Louise se refait le film des évènements "avec des signes". "Et si je n'avais pas vu quelque chose dans le passé, si j'avais vu si, si on avait fait ça et si elle m'avait peut-être parlé d'une chose en particulier".

"Lui, ça ne me dérange pas qu'il ne soit plus là et je ne veux plus qu'il  fasse du tout partie de cette vie-là, mais ma mère, j'aurais aimé qu'elle en fasse partie aujourd'hui".

Plusieurs lettres de son père

Michel Pialle a essayé de contacter Eva-Louise depuis la maison d'arrêt par le biais d'une lettre.

"On ne s'y attend pas. On ouvre notre courrier, comme d'habitude. On voit Eva-Louise Pialle-Esquivillon. Je me dis, "tiens, particulier". On retourne, on voit l'expéditeur, et là, c'est une douche froide. C'est une douche froide, on ne s'y attend pas".

Eva-Louise recevra ainsi deux lettres de son père. Il lui écrira : je t'aime, tu me manques, je sais que tu sais que je n'ai rien fait de mal, ce n'était pas ma volonté. De quoi provoquer la colère "énorme" de la jeune femme qui a demandé, par le biais de son avocat, de ne plus jamais rien recevoir de ce père.

Quand il dit "oui, je pense à toi". "Mais ne pense pas à moi, pense à elle, putain. Pense à ce que tu as fait"

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

"J'attends une justice très ferme"

Michel Vialle est toujours en détention provisoire. La date de son procès n'est pas encore connue.

"Je ne veux pas qu'il ait du sursis, je ne veux pas qu'il ait juste 6 mois de prison ferme ou 3 ans de prison ferme. Je veux qu'il y ait une vraie justice et qu'il reste très longtemps en prison, si possible toute sa vie, d'avoir aussi une certaine vérité, puisque certaines vérités vont pouvoir sortir".

J'attends beaucoup de vérité et une justice qui soit ferme et irréprochable, parce que juste cette année, on est déjà au centième féminicide

Eva-Louise

Fille de Karine Esquivillon

"J'attends une justice très ferme. J'attends que l'histoire de ma mère soit aussi un exemple, quelque part, pour certaines familles, poursuit Eva-Louise, que l'histoire de ma mère puisse aussi aider certaines femmes, que ce soit des filles, des grands-mères, des femmes, des mères, des soeurs, des cousines, qui sont dans ces situations-là, ou qui sont témoins de ces situations-là, et qu'elles puissent réagir et se dire que ça peut aller au stade de perdre cette personne, de se perdre soi-même".

Le rappel des faits

Karine Esquivillon, âgée de 54 ans, disparait le 27 mars 2023. Elle résidait sous le même toit que son mari dans le petit village de La Malnoue, près de Maché (Vendée), mais le couple était en réalité séparé.

Le maire de la commune de Maché avait retrouvé le téléphone de la quinquagénaire dans un fossé, deux semaines après sa disparition, encore chargé, mais dépourvu de carte SIM. 

Se sentant soupçonné, Michel Pialle avait rapidement accordé des entretiens à plusieurs médias, dont France 3 Pays de la Loire. Sa thèse était que sa femme avait volontairement quitté le domicile, ce dont doutaient les proches de Karine Esquivillon.

Propos recueillis par Quentin Carudel et Boris Vioche

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