Mort d'Emile : "Il nous faut vivre avec ça", comment les enquêteurs supportent la pression psychologique dans les disparitions d'enfants

Au Haut-Vernet, la mort d'Émile reste un mystère malgré les récentes découvertes de fragments osseux. L'enfant avait disparu au début de l'été 2023 et les gendarmes l’ont cherché sans relâche durant neuf mois. Entre culpabilité, frustration et émotion, le capitaine Marc Rollang évoque la pression psychologique que subissent les enquêteurs dans les disparitions d'enfants.

Un fragment d'os du petit Émile, disparu le 8 juillet, a été retrouvé la semaine dernière près du hameau du Haut-Vernet. Cette découverte, effectuée dans la zone où le crâne et des vêtements de l'enfant avaient déjà été mis au jour, ne permet toutefois pas pour l'instant de déterminer la cause du décès du petit garçon. L'enquête qui dure depuis neuf mois se poursuit, de rebondissements en nouvelles découvertes, auréolée de pression médiatique, sociétale et émotionnelle.

Le porte-parole de l'association Gendarmes et citoyens, Marc Rollang, revient sur ces douloureuses enquêtes de disparitions d'enfants, jalonnées de frustration, de doute, d'espoirs et de désillusions, qui marquent à jamais les professionnels de l'investigation.

France 3 Provence Alpes : les premières heures de recherches sont décisives, comment sont-elles vécues par les enquêteurs de terrain ?

Capitaine Marc RollangSi on nous annonce un enlèvement, on met tout de suite un pied sur le terrain judiciaire. Mais s'il s'agit d'une disparition, on cherche d'abord un enfant égaré, un accident domestique, un défaut de surveillance et on a de fortes chances de le retrouver en mettant les moyens. Tous les efforts sont axés sur l'opérationnel : chiens, hélicos, caméras thermiques, battues, enquête de voisinage, contrôles routiers. Au bout de 48 heures, on se dit qu’on a un problème et on commence à densifier le judiciaire. Au bout de huit jours, on doit faire face à la fatigue des enquêteurs et à une pression des médias qui réclament des explications que l'on n'a pas.

Un enfant porte une innocence dans laquelle se retrouvent beaucoup de gendarmes, eux-mêmes parents, qui s'identifient à la douleur de la famille. Au début cela les stimule.

Quelle plus belle fierté que d'être celui qui retrouve un enfant disparu au bout du chemin, de la rue, de la forêt ? C'est un challenge individuel et collectif.

Capitaine Marc Rollang, porte-parole de l'association Gendarmes et citoyens

France 3 Provence-Alpes

Mais lorsque le temps passe, on est peu à peu envahi par le doute et en rentrant à la maison, on se demande si on a vraiment tout fait ? Si on a tout vu ? L'échec est une frustration qui nous traverse. Je mesure par exemple la frustration de mes camarades qui enquêtent sur la disparition de Lina.  Qu'est-ce qu'on a loupé ?

C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Émile ?

Surtout avec ce petit bruit de fond actuel qui voudrait qu'il s'agisse d'un accident. La frustration est double, l'enquêteur se demande s'il a cherché au bon endroit, s'il a assez bien cherché, s'il ne fallait pas aller plus loin que le chien qui s'est arrêté au lavoir... Vous vous cognez aux murs partout, mais vous ne les percez pas pour autant. Quand vous répondez à une question, une autre s'ouvre et on n'avance pas.

Dans le cas du petit Grégory, il ne faut pas oublier que le juge Lambert s'est suicidé ! Contesté ou contestable, peu importe, cette affaire l'a tellement traumatisé qu’il s'est donné la mort. Et pourtant, malgré l'engagement matériel, humain, technique, scientifique, et bien, parfois, vous n'y arrivez pas.

Je pense à la petite Marion Wagon disparue en novembre 1996 à Agen, alors qu'elle rentrait de l'école. Pour la retrouver, son visage a été imprimé sur des millions de bouteilles de lait, une première en France, sans succès. Je connais beaucoup d'enquêteurs aujourd’hui à la retraite qui refusent d'en parler parce que c'est l'échec dont ils ne se sont pas remis.

Une autre étape pour les enquêteurs, la confirmation de la mort de l’enfant, c’est un moment d'abattement ?

Je me souviens de l'affaire du petit Nicodème en 2010, un enfant de 22 mois retrouvé noyé dans une fosse à purin. On avait cherché partout, fait des battues, ratissé la nature, mais l'enfant avait réussi à soulever le couvercle et était tombé dans la fosse qui s'était refermée sur lui. Au moment précis où vous croisez le regard des grands-parents qui l'avaient sous leur surveillance, vous mesurez toute la détresse humaine et là, vous encaissez le coup.

 

Quand vous voyez des grands-parents s'effondrer physiquement au sol, hurler de douleur, se cogner la tête sur le carrelage, que vous mesurez leur détresse et votre impuissance... Elles sont là, les conséquences psychologiques, il nous faut vivre avec ça.

Capitaine Marc Rollang, gendarme en exercice

France 3 Provence-Alpes

Le vrai courage, c’est d'affronter la souffrance des autres, celle qui ne vous concerne pas. Mais si vous ne le faites pas, qui va le faire ?

Que se passe-t-il dans la tête du gendarme qui récupère entre ses mains, comme dans l'affaire Émile, les ossements retrouvés d’un enfant ?

Là, il faut se protéger immédiatement, rentrer dans la peau de l'enquêteur, avoir un regard "non humain" pour occulter l’émotion, si vous commencez à sombrer, c'est fini. Il faut garder la tête froide parce que l'enquête, à ce moment-là, bascule, la mort est certaine. La question est de savoir comment on reconsidère les acteurs du dossier : les membres de la famille, victimes, témoins, suspects ? Dans l'affaire du petit Yanis en 2017, le père éploré était une victime jusqu'à ce que l’on retrouve le corps de l'enfant dans un canal, battu à mort par ses parents pour avoir fait pipi au lit. Vous passez de la compassion, à la suspicion, puis au doute. Un gendarme est un humain et il est traversé par des émotions. Parfois, il faut s'en protéger, parfois s'en servir, pour recueillir des témoignages déterminants par exemple.

Comment les enquêteurs vivent-ils l'après, dans ces villages et ces petites communes marqués à jamais par la disparition d’un enfant ?

Le gendarme vit sur le même territoire que celui de l'enquête. Il va forcément recroiser un jour les protagonistes d'une affaire, en allant faire des courses, en accompagnant ses enfants à l'école ou au club de foot. Cette proximité avec la population peut être une véritable force pour aller vite dans les recherches. Les gendarmes sentent le pouls de la société locale, connaissent les familles tordues, les gamins à problèmes, les directeurs d'école, les sportifs, tout le monde. Vous avez le territoire dans les tripes. Alors, la nature humaine est ainsi faite : heureusement que l'on arrive à occulter les souvenirs tragiques, sinon on serait tous cinglés.

Un suivi psychologique est-il proposé aux enquêteurs sur ce genre d'affaire ?

Le suivi psychologique est disponible, mais pas proposé. Il y a encore une sorte de virilité, une part de testostérone chez les hommes qui perçoivent la consultation psy comme une faiblesse. Ce qui les sauve, c'est de parler entre eux. C'est la force du groupe et aussi pour beaucoup le recours à la religion. Les plus sages n'écoutent pas les infos.

Depuis le "foutoir" de l'affaire Grégory, beaucoup de choses ont changé, notamment en matière de communication. Le poids médiatique s'est déplacé du terrain vers les plateaux télé. Des associations professionnelles comme la nôtre prennent le relais de la communication, sous le contrôle des autorités officielles, telles que le SIRPA [service d'information et de relation publiques des armées]. La parole judiciaire est l'apanage des procureurs. Les enquêteurs gagnent en sérénité.

Mais ils n'ont, de toute façon, pas besoin qu'on leur mette la pression pour aller plus vite. Le temps de l'enquête est incompressible.

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