Alors que les Alpes-Maritimes étaient placées en vigilance "orange" depuis la mi-journée de ce 3 octobre 2015, ni la maire Biot de l'époque ni son responsable des risques naturels n'ont alerté la maison de retraite comme le prévoyait pourtant une procédure. Cette question a animé les débats au matin du deuxième jour du procès de l'inondation mortelle.
Il est presque midi lorsque le procureur Alain Guimbard, après quasiment trois heures de débats stériles, lève son imposante silhouette.
Ce mercredi 17 janvier, tout au long de la deuxième matinée du procès des inondations mortelles de Biot, qui ont coûté la vie à trois résidentes de l'Ehpad du Clos Saint-Grégoire à Biot, il a été question de la vigilance "orange" émise par Météo France et transmise par la préfecture des Alpes-Maritimes à 12h44, des six bulletins météo qui ont suivi, des données du système de suivi des précipitations Rainpol...
"Pas de raison d’être inquiets"
L'accusation insiste sur les préconisations du Plan communal de sauvegarde (PCS) en cas de vigilance météo "orange", la défense souligne que l'observation du ciel et les prévisions n'avaient rien d'alarmant.
Yann Pastierik, le responsable des risques naturels (qui doit répondre d'homicide involontaire comme les trois autres prévenus de cette affaire), déclare à la barre : "Les éléments que j’ai [durant l'après-midi] c’est que nous avons affaire à un orage classique". Plus tôt, il avait rappelé : "J'appelle le maire et lui dit qu’on n’a pas de raison d’être inquiets".
"Vous avez l'obligation d'appeler l'Ehpad !"
Me Philippe Soussi, avocat de parties civiles, avait tenté, en vain, d'obtenir une réponse claire en demandant à l'ancienne maire de Biot, Guilaine Debras :"Est-ce que si vous aviez déclenché la pré-alerte en appelant l’Ehpad, est-ce que vous auriez pu empêcher l’exposition des résidents au risque ? Vous avez l’obligation légale de les appeler à 13h. Vous ne faites rien concrètement avant 21h30 !"
Le procureur, très discret depuis l'ouverture des débats mardi matin, revient donc sur le sujet et demande à Guilaine Debras : "Est-ce que vous reconnaissez que vous n’avez pas mis en pré-alerte le PCS (Plan communal de sauvegarde) ?"
Un PCS "de papier"
"Ce PCS était inopérant puisqu’on n’avait pas d’appel en masse". Cette explication semble au cœur de la défense de la prévenue : le PCS avait été adopté dans l'urgence en 2009, alors qu'elle était dans l'opposition. Il n'était, dit-elle, qu'un "PCS de papier" !
Et depuis son élection, en 2014, Guilaine Debras se serait attelée à le réviser... mais rien ne semblait prêt ce funeste 3 octobre 2015 : aucun système d'appel ou d'envoi de message de prévention à la population n'existait dans la commune, les sirènes d'alerte étaient en panne...
"Sur l’Ehpad, que prévoyait la pré-alerte ?" relance le procureur.
"On n’était pas en pré-alerte"
"Quels moyens vous faisaient défaut pour prévenir l’Ehpad d’une alerte orange ?"
Silence de Guilaine Debras. Le procureur repose sa question.
"Vous voulez dire que j’aurais dû prévenir que l’Ehpad ?"
"Il n’y a qu’un établissement mentionné dans le PCS" tranche le procureur.
"Ce qui m’empêchait de le prévenir, c’était de savoir qu’on allait avoir un épisode grave"
"Vous ne reconnaissez pas le message Viappel"
"Dans ma tête, ce jour-là, ça n’était pas comme ça"
"Je ne vais pas insister, il y a un déni sur ce point" conclut le procureur.
"Pourquoi cet oubli ?"
Me Michel Valiergue, l'avocat du groupe Orpea, propriétaire de l'Ehpad, et de la directrice de l'établissement, tous deux poursuivis également, revient à son tour sur le sujet : "Pourquoi cet oubli ?". "À aucun moment on ne pensait passer en alerte" assure l'ancienne maire.
L'avocat de la défense évoque alors le maintien de manifestations attirant un public important ce 3 octobre 2015 : festival du livre de Mouans-Sartoux (auquel Guilaine Debras s’est d’ailleurs rendue le jour des faits), match de l'OGC Nice à l’Allianz Riviera, concert de Johnny Hallyday au Palais Nikaïa...
Pour Guilaine Debras, le fait que la préfecture des Alpes-Maritimes n'annule aucun de ces événements, "ça a contribué à créer un contexte rassurant".
L'audience se poursuit ce mercredi après-midi avec la diffusion d'images filmées le soir des faits et l'audition d'un expert hydrologue.