Plusieurs entreprises demandent à leurs salariés de revenir au travail, 2,5 jours et demi voire trois jours. Amadeus et Orange expérimentent un retour au bureau progressif, en douceur. Mais passer une semaine en présentiel semble inenvisageable pour les salariés. Au contraire, certains dirigeants de la technopole de Sophia-Antipolis pointent les risques du télétravail. On fait le point.
Tapoter l'ordinateur avec son chat qui ronronne près de la tasse de café latte fumant pourrait bien être de l'histoire ancienne. Est-ce le signe du retour à une certaine normalité ? À la vie d'avant le Covid ? Quatre ans après la fin de l'épidémie mondiale, la question se pose. Car ce virus a profondément modifié les habitudes de travail.
Aux États-Unis, dès 2022, les salariés d'Apple étaient revenus au bureau trois jours par semaine. Mais pas à 100 % en présentiel. Même changement pour le géant français du jeu vidéo Ubisoft basé à Villeurbanne.
L'annonce mi-septembre d'imposer au moins trois jours de présence au bureau par semaine "a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", a expliqué à l'AFP Clément Montigny, délégué du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo à Ubisoft Montpellier. Les salariés se sont mis en grève. La direction évoque un problème synergie et de collectif de travail : "la créativité est stimulée par les interactions interpersonnelles, les conversations informelles et la collaboration autour d'une même table", tout en promettant de ne pas revenir "à un modèle 100% présentiel".
Plus récemment, l'annonce d'Amazon a brisé un tabou dans les sociétés de la tech : la fin du télétravail pour les ingénieurs et le personnel administratif. Une annonce faite le 16 septembre par le PDG, Andy Jassy, pour "améliorer la culture d'entreprise" : "Nous comprenons que certains de nos coéquipiers peuvent avoir organisé leur vie personnelle de telle manière qu'un retour régulier au bureau cinq jours par semaine nécessitera quelques ajustements. Pour assurer une transition en douceur, nous allons faire en sorte que ce soit effectif le 2 janvier 2025." Une nouvelle qui fait grincer des dents en interne.
Qu'en est-il pour la technopole de Sophia-Antipolis qui abrite 2 500 entreprises et plus de 43 000 salariés ?
Retour au travail en présentiel à 50 % chez Amadeus
Contacté par France 3 Côte d'Azur, Aurélien* un ingénieur d'Amadeus, l'une des dix plus grandes sociétés de technologie de voyage au monde, explique comment ces aménagements sont vécus dans l'entreprise qui compte 4 500 salariés dans les Alpes-Maritimes. Cette société internationale fournit des solutions logicielles aux compagnies aériennes, hôtels et agences de voyages.
Chez Amadeus, les salariés étaient en télétravail trois jours sur cinq. Mais en début d'année, ça a changé : les salariés ont dû revenir une demi-journée de plus sur site, dans les bureaux de Sophia-Antipolis ou Villeneuve-Loubet. Désormais, la semaine est coupée en deux : 50 % du travail en présentiel et 50 % en télétravail.
La direction d'Orange ne pointe pas du doigt la productivité. Son argument : améliorer le collectif et réussir l'intégration des nouveaux embauchés. Aurélien remarque : "tout fonctionne plutôt bien. Il n'y a pas de remise en cause de cette organisation, ça s'est plutôt bien passé, c'est plutôt bien respecté."
Un retour en douceur... car dans cette entreprise, le télétravail, imposé par le Covid, a été plébiscité par l'ensemble des salariés. Même si, juste après le Covid, les salariés ont découvert qu'ils n'avaient plus de bureaux attitrés, ils sont passés en "flex office".
Les mardis et jeudis plébiscités pour le télétravail
Avec 50 % du temps au travail et 50 % à la maison, les salariés ont trouvé le fameux équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Pendant ces quatre années, tout le monde a finalement trouvé son rythme de croisière en utilisant des outils numériques comme la visioconférence "en mode hybride" : une partie des salariés est sur site pendant que l'autre partie est à son domicile. Les jours plébiscités pour le télétravail sont les mardis et jeudis. À l’inverse, certains privilégient les mercredis et vendredis pour éviter les embouteillages fréquents dans la technopole.
Évidemment, dans cette société présente dans plus de 190 pays, l'annonce du retour à cinq jours en présentiel chez Amazon n'est pas passée inaperçue. La crainte de certains salariés ? Que l'entreprise repasse à temps complet, petit à petit, par demi-journée en plus. L'ingénieur concède toutefois qu'un retour en présentiel à 100 % lui paraît dangereux, voire inenvisageable.
Tout le monde s'y est habitué et notamment les jeunes embauchés. Ils auraient du mal à en garder certains. Il y aurait de grosses réticences, il y a des gens qui partiraient.
Ingénieur chez AmadeusFrance 3 Côte d'Azur.
Les équipes ont pris l'habitude de s'organiser entre elles : "on vient le vendredi parce qu'il y a moins de monde sur les routes." Les jours en présentiel ou en télétravail sont modifiables, une organisation souple car "l'objectif, c'est de travailler ensemble."
Deux jours par semaine sur site chez Orange
À Sophia-Antipolis, les 350 salariés d'Orange ont vécu le Covid loin du bureau. Le télétravail s'est généralisé. Friedrich*, ingénieur en télécommunication, explique l'évolution du travail : "pendant deux ans, presque plus personne ne venait au bureau et progressivement, certains sont revenus pour voir les collègues".
Puis, la direction d'Orange a demandé un retour au bureau minimum deux jours par semaine. Une demande d'abord informelle... qui s'est formalisée en mars par un avenant au contrat de travail. La vérification de la présence des employés se fait facilement en contrôlant les badges d'accès.
"Cocooner" les employés
Un retour sur site deux jours par semaine qui s'est fait en douceur grâce aussi au nouveau siège d'Orange à Sophia-Antipolis et à une certaine ambiance de travail. Des bureaux neufs, ultra-connectés,
avec des passerelles qui donnent sur la pinède, des jardins potagers et même un terrain de pétanque. Des cours de yoga, des petits déjeuners et des "happy hours" sont même organisés pour attirer les employés, favoriser le lien entre collègues. Bref, "cocooner" les employés.
Aujourd'hui, il constate que tout le monde s'est adapté sans difficulté :"beaucoup de gens viennent le matin et repartent l'après-midi pour travailler chez eux, mais ça ne signifie pas qu'ils travaillent moins."
L'ingénieur, présent depuis plus de 30 ans chez Orange, a assisté à l'évolution du télétravail. Et il est enthousiaste.
Ça ne change pas la productivité ni l'avancée des projets grâce aux outils numériques performants : ordinateur portable, casque antibruit et un réseau internet mobile ultra-rapide chez soi !
Ingénieur chez OrangeFrance 3 Côte d'Azur
La moitié des salariés vient du matin jusqu'au soir, maximum 18 heures, mais rarement la journée complète. Un télétravail favorisé déjà par une activité à distance avec beaucoup d'audio conférences. Pour lui, la clé c'est Microsoft teams : "Si je vais au bureau, je n'ai pas une réunion sur dix avec un participant sur place à Sophia. Mes intervenants sont basés à Rennes, Paris, Londres, en Égypte, ou en Inde."
Pour l'ingénieur, "le télétravail, c'est le compromis idéal". Un retour en présentiel à 100% lui paraît impensable : "les syndicats monteraient au créneau et les employés s'y opposeraient, la direction serait obligée de faire marche arrière".
Travel Planet : "chez nous, il n'y a pas de télétravail"
Betty Seroussi, PDG de Travel Planet qui emploie 80 salariés, est à contre-courant des pratiques en vigueur dans la technopole de Sophia Antipolis. Elle explique : "chez nous, il n'y a pas de télétravail parce que nos différents services sont très dépendants les uns des autres. Au retour du Covid, on avait pris de mauvaises habitudes, on faisait des visioconférences alors qu'on était à 1 mètre l'un de l’autre, ça nous a perturbés."
La fondatrice sait qu'elle a perdu des collaborateurs très compétents qui demandaient un jour minimum de télétravail : "je perds potentiellement des Niçois, car il n'y a pas les bons moyens de transport et ils ne sont pas tous motorisés. Elle ajoute :
On retrouve une qualité d'échange et de communication qu'on avait perdue pendant la période Covid.
Betty Seroussi, PDG de Traval PlanetFrance 3 Côte d'Azur
Elle a aussi récupéré des collaborateurs qui étaient en télétravail à 100 % qui lui ont dit : "j'en peux plus de parler devant mon ordinateur, je veux une ambiance conviviale !" Dernièrement, au salon "Talent in tech" organisé à l'Azur Arena, elle a reçu 60 CV : "la première chose que j'ai dite, c'est attention, chez Traval Planet, il n'y a pas de télétravail. 49 candidats m'ont dit ok super ! Donc, c'est plutôt positif."
𝐓𝐀𝐋𝐄𝐍𝐓 𝐈𝐍 𝐓𝐄𝐂𝐇 𝟐𝟎𝟐𝟒, le salon des métiers du numérique en Région Sud - Provence-Alpes-Côte d'Azur, a rassemblé 700 participants autour d'une programmation rythmée !
— CCI Nice Côte d'Azur (@CCIcotedazur) October 4, 2024
🎙 6 tables rondes
🗨 7 ateliers
💬 27 exposants 25 entreprises, 11 écoles/organismes de… pic.twitter.com/UGWZT7Y8qn
Pour créer de la synergie, la fondatrice de Traval Planet organise des petits-déjeuners pour chaque anniversaire. En revanche, quand les salariés ont besoin d'une journée pour enfant malade ou un imprévu, il n'y a pas de problème.
Moins de temps dans les embouteillages
Mais travailler à la maison ou au bureau, que souhaitent vraiment les salariés ?
En mars 2024, une enquête de satisfaction de l'APEC a fait le point sur les attentes des cadres sur le télétravail. L'enquête prouve que cette pratique gagne du terrain aussi dans les petites et moyennes entreprises, pas seulement dans les grands groupes.
Sans surprise, les cadres favorisent le présentiel pour les réunions de travail. L'argument numéro 1 reste le temps économisé dans les transports, suivi de près par le calme à la maison (contrairement aux bureaux en open space) et la gestion des imprévus familiaux. Les cadres n'imaginent pas de revenir en arrière et cherchent plutôt à augmenter le nombre de jours en télétravail. En revanche, certains dirigeants envisagent eux un retour à 100 % au bureau pour fluidifier les échanges. Le sujet reste sensible. Seule certitude, pour réussir cette transition majeure du 21ᵉ siècle, il faudra négocier et trouver des compromis.
(*les prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat)