Il y a 100 ans était créée la base d'hydravions du port d’Antibes dans les Alpes-Maritimes. Pour cet anniversaire, Elisabeth et Claude Antonini Basset-Terrusse, petits-enfants du dernier commandant de la base, publient un livre où ils racontent cette extraordinaire aventure tombée dans l'oubli
Si vous vous promenez, aujourd’hui, sur la route qui longe le port d'Antibes dans les Alpes-Maritimes, vous n'avez aucune chance de retrouver le paysage que pouvaient contempler ces trois cyclistes au début du siècle dernier.
Encore plus extraordinaire, imaginez que face à l’anse Saint-Roch et au pied des remparts du port d'Antibes, il ait pu exister une base d'hydravions, il y a tout juste 100 ans !
Et pourtant, c'est bien là, devant la masse des bateaux de plaisance de toute taille qui mouillent, aujourd'hui, au port d'Antibes que décollaient jadis des hydravions.
De la base navale de la marine nationale à la base d'hydravions
Au port d'Antibes, durant les dernières années de la Grande Guerre, il existe une base navale de la marine nationale. Les bâtiments se situent juste au-dessus du navire comme le montre cette photo :
L'armistice signé le 11 novembre 1918 à 5h15, met fin aux combats de la Première Guerre mondiale (1914-1918), reconnaissant de facto la victoire des Alliés et la défaite de l'Allemagne.
C'est ainsi, qu'au tout début de l’année 1920, le service de navigation aérienne décide de transformer la base navale de la marine d'Antibes en base aérienne marchande équipée d'hydravions.
Après inventaire, il existe sur cette base un hangar démontable de 30,50 mètres sur 20,50 mètres, appelé hangar "Bessonneau" du nom de son constructeur, un petit local faisant office de colombier, un bureau et un réduit pour le gardien.
Très insuffisant pour réaliser le projet de base aérienne marchande équipée d'hydravions.
Indispensable donc d’agrandir la future base. Ce qui est fait, en peu de temps, d'ailleurs.
Ainsi, comme on peut le voir, sur la photo ci-dessus, deux hangars de 30,50 mètres sur 34 mètres pour abriter les hydravions sont construits.
Une station météorologique, un système performant de TSF et de radio navigation (poste E13, longueur d’onde 1.400 mètres), un mât d’antenne, des bureaux, des logements de fonction, une infirmerie, des cuisines, un dortoir, des ateliers de mécanique et de menuiserie et un garage complètent cette nouvelle base.
Une base d'hydravions, des hommes et une femme
Pour recruter les membres du service-radio de cette nouvelle station aéronavale, les officiers de la Marine nationale font appel à d'anciens spécialistes démobilisés de la région.
Le 22 juin 1920, M. Jacquot est nommé chef de la base d’Antibes.
Dans la foulée, une équipe de spécialistes est recrutée pour faire fonctionner ces nouvelles installations. Parmi eux, deux antibois : les frères Terrusse. Albert qui sera commandant de la base jusqu'à la fin de son exploitation et François-Joseph, opérateur radio.
Au cours de l’été 1920, arrivent un opérateur radio, deux météorologistes, cinq radioélectriciens et une dactylographe.
Premiers indicatifs T.S.F. : Antibes Ak
Le 17 août 1920, la base reçoit les indicatifs T.S.F:
- Antibes AK
- Ajaccio AJ
- Marignane AX
- Le Bourget ZM.
Le 1er janvier 1923, de nouveaux indicatifs radio sont mis en application : Antibes FNK, Ajaccio FNJ, Marignane FNIM.
A cette époque, la région sud comprend 7 bases : Ajaccio, Bayonne, Montélimar, Marignane, Nice, Toulouse et donc Antibes.
L'Aéronavale s'installe à Antibes
Fernand Lioré qui vient de créer une compagnie aérienne la "Société maritime des transports aériens" s’intéresse à la municipalité d'Antibes grace à son histoire aéronavale.
Le 30 novembre 1921, la société est rebaptisée. "L’Aéronavale" s’installe à Antibes.
Après les premiers essais, la ligne Antibes-Ajaccio débute fin 1921 avec trois hydravions Donnet-Denhaut.
A ses débuts, un seul voyage par jour; Antibes à Ajaccio. Le retour se faisant le lendemain.
Quand "l'Aéronavale" devient "Air Union" elle quitte Antibes en 1929 pour s’installer à Marignane.
La compagnie Lioré et Olivier, elle, continue de monter sur la base d'Antibes des appareils et de procéder à d'autres essais.
L'acheminement des hydravions au plan d'eau : petite grue devient …. Titan
Mettre les hydravions à l’eau, n'est pas une mince affaire. Qu'importe, le génie civil vient à la rescousse.
Les appareils sont alors acheminés sur des chariots jusqu’à un appontement pour les rapprocher d’une grue qui les soulève et enfin les dépose sur l’eau.
Un marché de gré à gré est passé avec l’entreprise F. Lajoinie et Cie de Paris pour la construction du slip en ciment (c'est bien le terme technique usité) et la pose des rails.
A l’extrémité du ponton, une grue en bois. Une petite grue à main, de 3 tonnes, tout de même, mais qui rapidement, ne suffit plus.
Avec le temps et les progrès techniques, les hydravions deviennent de plus en plus lourds.
Exit la petite grue de bois. Une grue en fer, de 10 tonnes, avec un manche à air rabattable est montée. Nous sommes le 30 novembre 1923. Bienvenue à la grue Titan.
Cap la Corse et l'Afrique du Nord
L’objectif de "l'Aéronavale" est de développer, à travers la Méditerranée, des transports rapides au départ de Marseille et d’Antibes vers Ajaccio et de les prolonger, par la suite, vers Alger et Tunis.
Le but étant, à la demande de l’Etat Français, de pouvoir relier la métropole à son empire colonial d’Afrique du Nord (à l'époque : Algérie, Maroc et Tunisie) dans la journée, beaucoup plus rapidement qu’avec une longue traversée de plusieurs jours en bateau.
Pour atteindre ces territoires, il fallait voler plus de 1.000 km, dont 750 km au-dessus de la Méditerranée.
En 1919, les hydravions les plus performants ne possédaient pas cette capacité. C’est pour cette raison que les liaisons à travers la Méditerranée se développèrent lentement et par étapes.
En 1923 est mis en service un nouvel appareil, le LeO H-13, biplans, bimoteurs Hispano-Suiza, à coque de toile molle pour amortir les chocs sur l’eau aux décollages et aux amerrissages à grande vitesse, c’est-à-dire à plus de 100 km/h, pour le transport de 4 à 6 passagers.
A l'instar de la France, entre 1926 et 1929, de grandes compagnies aériennes nationales voient le jour un peu partout en Europe : Imperial Airways en Grande Bretagne, Sabena en Belgique, Lufthansa en Allemagne, A.B Aérotransport en Suède, Swissair en Suisse, Iberia en Espagne, L’Aeroflot en URSS, Ala Littoria en Italie, La Lot en Pologne.
En 1932, le réseau aérien français compte 14 lignes exploitées par 5 compagnies, dont celle d'Antibes. Air Union, la Compagnie Générale Aéropostale, la CIDNA, la Compagnie Internationale de Navigation Aérienne, la Société Générale des Transports Aériens, Air Orient.
Avec 258 hydravions et 123 pilotes, la France possède 40 122 km de lignes aériennes.
L'hydravion prend possession des grandes routes transocéaniques dès 1933, et domine tous les océans, même le plus dangereux, l'Atlantique Nord. L'hydravion est adopté par les compagnies aériennes de tous les pays.
A cette époque florissante, la base d'Antibes n'est pas en reste.
Comment imaginer, aujourd'hui, que de tels appareils pouvaient décoller du port d'Antibes pour traverser la Méditerranée ? C'est pourtant, à cette époque, belle est bien la réalité à Antibes.
Après la guerre, seuls quelques bombardiers sont disponibles pour démarrer ce nouveau type de transport. Mais ces appareils ne sont pas du tous adaptés à la traversée de la Méditerranée car ils ne peuvent pas couvrir plus de 500 km et ne sont pas conçus pour le transport de passagers.
Dans un premier temps, une équipe, employée par la firme Lioré et Olivier, transforme trois biplans Donnet-Denhaut en monomoteurs à quatre places découvertes. Pour alléger le poids des appareils, elle les équipe de fauteuils en rotin.
Mais ça, c'est une autre histoire.
Août 1939 : réquisition de la base
Bien avant la mobilisation générale du 2 septembre 1939, la guerre se profile à partir de la fin du mois d’août sur la base d'Antibes. Occupée le 25 août par une équipe de 15 marins, la station est réquisitionnée par la Marine le 29 août.
Le 3 septembre, le Commandant de la subdivision de Nice adresse un message au Commandant d’Armes de la place d’Antibes :
Dès cette nuit, vous tenir prêts à prendre dispositions prévues en cas d’alertes aériennes,
Le 1er octobre 1939, la base est mise à la disposition du Général Commandant en Chef des Armées Aériennes et le réseau de sécurité de l’Armée de l’Air prend le nom de "Réseau Radiogoniométrique de l’Armée de l’Air", indicatif radio FNK Antibes, numéro du réseau 17.
De l'occupation italienne à l'allemande
De novembre 1942 jusqu’en septembre 1943, les Italiens occupent la base. Les Allemands en prennent le contrôle en novembre 1942. Ils y règnent en maîtres jusqu’à leur départ en août 1944.
Durant cette période, une partie du personnel est mobilisée sur place.
A cette époque, c'est Albert Terrusse qui dirige la base et ce depuis 1934. A certaines périodes de l'Occupation, il n’a même plus le droit de faire fonctionner "le Centre de Télécommunications de l’Aéronautique Civile d’Antibes".
19 août 1944 : bombardement de la base
Le 19 août 1944, à 1h30 du matin, le port d’Antibes, le phare, les installations de la base, la grue et le pylône TSF sont dynamités par les Allemands.
C’est le port qui a le plus souffert de la rage allemande [...]
"...Tous les quais du port ont été bouleversés par des explosions de mines : les brèches sont larges, la mer y pénètre. La courtine extérieure est en partie détruite, certaines travées ont sauté et le phare d’extrémité est rasé à sa base. Les chantiers navals ont subi des dégradations de couverture et de charpente...", toujours selon le comité.
(...) Les hangars d’aviation sont pratiquement détruits (...)
La grue qui soulevait les hydravions est effondrée. L'équipe arrive à remettre en fonction la station au fil des semaines et des mois qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le "Poste Libération"
Dès que possible, François-Joseph Terrusse (le frère d'Albert Terruse, le commandant de la base) et Marcel Jourdan remontent un poste émetteur-récepteur avec des pièces détachées provenant du matériel caché pendant la guerre par Albert Terrusse, et ses hommes.
Ce poste prend le nom de "Poste Libération".
Le 15 août, ce poste émétteur-récepteur permet la liaison avec les forces aériennes alliées débarquées dans le Var et par la suite avec les premiers vols civils.
Il est mis en service le 24 août 1944.
Ils se sont tous serrés les coudes pour se protéger les uns les autres. Ils étaient à peu près tous issu de la Marine donc leurs liens étaient déjà très fort. Au lendemain de la guerre, la base c'était une grande famille,
Le crève cœur de l'après-guerre
A la fin de la guerre, toutes les bases sont désarmées. L’hydravion n'est plus rentable. Il est remplacé par des avions plus fiables, plus légers, capables de survoler la mer plus longtemps et moins gourmand en carburant.
En 1946, la base d’Antibes est supprimée. Tout son personnel est muté au petit aéroport de Nice Californie.
D’après Marcel Terrusse, le fils de François-Joseph, le frère d'Albert Terrusse, il y a eut plusieurs étapes intermédiaires avant l’installation définitive dans le bâtiment technique de l’aéroport de Nice.
Dans un premier temps, l’ex-équipe radio de la base antiboise s’installe dans un wagon provenant des stocks de L’U.S Air Force, en bordure de l’aérodrome de Nice.
L'équipe emménage tout d’abord dans le bâtiment annexe de l’ancienne école primaire du chemin de l’Arénas à Nice, puis dans un local installé en bout de piste, sur les rives du Var, pour enfin occuper le bâtiment qui existe encore aujourd’hui.
Albert Terrusse est nommé Chef du Centre des Télécommunications Nice le Var. Promu ingénieur principal d’exploitation de la navigation aérienne. Il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur le 9 mai 1950 et devient le commandant en second de l’aéroport de Nice en 1951.
Un livre pour ne pas oublier, pour ne pas les oublier !
Jusqu’aux travaux de transformation du port d'Antibes, en 1969, seul le ponton et sa grue effondrée (après le bombardement allemand du 19 août 1944), sont encore les témoins de cette histoire aéronautique antiboise.
Aujourd'hui, 100 ans plus tard, ne subsistent que deux plaques (l’une, un peu effacée, prés de la Porte Marine, la seconde près du site de l’ancien aérodrome de la Brague), et deux noms de rue au quartier de la Fontonne.
De pâles fantômes de cette période florissante de l’Aéronautique Civile à Antibes.
Alors, pour le centenaire de cette fameuse base d'hydravions antiboise, Elisabeth et Claude Antonini Basset-Terrusse racontent, une nouvelle fois, cette histoire. Une histoire, plus complète, plus documentée, plus illustrée que celle de leur premier opus édité en 2005.
Pour que les radios, mécaniciens, pilotes, et tous ceux qui formaient une seule famille et travaillaient dans un esprit d’équipe pour améliorer sans cesse les transmissions entre l’appareil en vol et la terre de la base d'Antibes ne soient plus des oubliés.
Pour que les pionniers antibois aux commandes d’aéroplanes qui s’élevaient et amerrissaient dans l’Anse Saint-Roch, pour eux qui ont largement participé à l’amélioration des techniques et ce parfois au péril de leur vie, ne soient pas non plus des oubliés.
Qui sait, aujourd’hui, qu'au port d' Antibes, jusqu'en 1946, il y avait une base d'hydravion ? Plus grand monde, j'en ai bien peur.
Alors, pour que l'histoire, le travail de conservation et d'archivage de leur grand-père, Albert Terrusse, ne soient pas oubliés Elisabeth Basset-Terrusse et Claude Antonini ont écrit cette très belle aventure humaine et technologique, longue de près de 40 ans, bousculée par la guerre, les progrès de la science et le temps.