Vie et avenir des orques au Marineland d'Antibes, selon un expert : "nous avons beaucoup de choses à apprendre d'elles"

Les représentations avec les grands cétacés devaient reprendre le 30 mars dans le parc d'attraction. Mais une nouvelle orque, Inouk, mâle de 25 ans, est décédée. France 3 Côte d'Azur a demandé son expertise sur cette espèce de mammifères marins hors du commun à celui qui les étudie depuis 25 ans : Pierre Robert de Latour.

À l'annonce de la mort du grand mâle Inouk, Pierre Robert de Latour a envoyé ces quelques mots à France 3 :

 Je viens de voir passer l'annonce. Inouk du Marineland vient de mourir. C'est l'orque qui m'a été présenté par les soigneurs lors de notre visite, Tony et moi, en 2018. Je suis dévasté.

Pierre Robert de Latour

On l'appelle le "Frère des orques" ou le chuchoteur "The Orqua Whisperer". Pierre Robert de Latour plonge depuis plus de deux décennies dans les eaux glacées de Norvège. Avec plus de 7 500 plongées sous-marines, sa connaissance des orques est unique au monde.

À l'âge de 9 ans, il découvre les fonds marins en Corse et ne les quittera plus jamais. Apnéiste chevronné, triathlète, conférencier hors pair, la liste de ses compétences est longue, mais converge vers le même centre d'intérêt : les grands cétacés à livrée blanche et noire qui sillonnent les océans.

Il les rencontre pour la première fois lors d'une compétition de chasse sous-marine. Sans les voir. Il entend juste leur cri et n'aura alors de cesse d'aller à leur rencontre.

En 2012, il fonde l'association "Orques sans frontières" qui œuvre pour l'étude, la protection et la connaissance des orques. 

Après toutes ces années passées à faire de la plongée en apnée avec ces cétacés, la seule chose dont je suis sûr aujourd'hui, c'est que nous avons beaucoup de choses à apprendre d'eux.

Pierre Robert de Latour, fondateur de "Orques sans frontières"

Comportementaliste aguerri, il a coécrit un article scientifique sur le comportement des orques face aux plongeurs. À 65 ans, cette personnalité singulière et attachante répète inlassablement que la captivité est une maltraitance, "qu’on le veuille ou non".

Lorsque j'observe des orques en bassin, leurs dents sont abîmées parce qu'elles "bouffent" le béton. L'aileron dorsal des femelles s'est affaissé. Elles sont apathiques alors qu'en milieu naturel, ce sont des animaux très vifs.

Pierre Robert de Latour

Marineland et le documentaire qui ne verra jamais le jour

Pierre Robert de Latour connaît Marineland. En 2018, il est venu visiter le parc et a tenté avec son ami, le vidéaste Tony Meyer, de réaliser un documentaire autour de la parole des soigneurs. En vain. Depuis sa création, le parc antibois s'est forgé une très solide réputation : "ici, personne ne parle".

Pour celui qui a passé des milliers d'heures à observer les orques en milieu naturel, leur comportement en bassin est totalement différent et montre, à l'évidence, qu'elles sont en souffrance selon lui. Tout d'abord, leurs productions sonores ne ressemblent "en rien" à celles produites en mer.

Elles bougent peu et leur nageoire caudale est affaissée faute notamment de pression exercée par l'eau. Il est difficile de savoir, selon cet expert, si elles sont en manque d'activités physiques, ou si elles sont sous sédatifs.

Dans leur milieu naturel, les orques dorment dans une position horizontale parfaite. Dès que l'on voit leur corps penché à 45°, comme le plus souvent en captivité, c'est un problème.

Lorsque l'association One Voice a publié en janvier dernier la vidéo de l'exercice d'évacuation de Inouk, Keijo, et Wikie, son constat est toujours le même. Tout indique un stress très important chez les cétacés : "le plus jeune tente de rester entre les deux orques plus âgés".  

Des spectacles publics pour leur santé

À l'annonce de la reprise des spectacles en prétextant la santé mentale et physique des pensionnaires des bassins, la première remarque de Pierre Robert de Latour tombe sous le sens : "On veut les stimuler ? On pourrait le faire sans le public. S'il y a des spectateurs, il y a de l'argent en jeu."

La reprise des spectacles des orques, prévue ce samedi, est reportée, a précisé ce mardi le parc zoologique dans un communiqué suite à la mort d'Inouk, un mâle de 25 ans.

Une fois rassasiés, ils jouent

Le rythme naturel de ces cétacés est, dans un premier temps, la recherche de nourriture. Une fois rassasiés, ils jouent : ils sortent la tête de l'eau, tapent la surface de l'eau avec la nageoire caudale ou pectorale, nagent à l'envers, etc. Ensuite, ils observent de courtes périodes de sommeil.

En captivité, les soigneurs les contraignent à un comportement, à l'opposé. D’abord, ils "doivent jouer" et dans un second temps, ils sont récompensés avec de la nourriture. Cela s'appelle le renforcement positif. Selon le comportementaliste, la captivité les empêche tout simplement de réaliser leur fonction dans le règne animal : être les prédateurs supérieurs de tous les écosystèmes océaniques. "La captivité doit s’arrêter."

Le sanctuaire : une bonne idée ? 

"Les sanctuaires pour les dauphins sont plus simples à mettre place. Pour les orques, c'est plus compliqué." répond Pierre Robert de Latour. Tout d'abord, il faut, dit-il, définir l'objectif poursuivi. Les orques doivent-elles vivre "le temps qu'elles ont à vivre" ? Doivent-elles réintégrer une famille ? 

En milieu naturel, ces grands cétacés sont très sociaux et organisés en lignées matrilinéaires, c'est-à-dire "des groupes très soudés et dirigés par des femelles". Ces familles peuvent varier de 5 à 30 individus et sont généralement très fermées. Impossible donc d'imaginer l'intégration d'un individu étranger.

Il faut de toutes manières d'abord placer ces géants des mers dans un sanctuaire. C'est un espace marin délimité par un filet qui permet à l'animal de rester sous surveillance jusqu'à atteindre un état sanitaire qui lui permette d'être relâché en pleine mer. Selon l'expert, il doit mesurer 1 km de long sur 1 km de large et avoir une profondeur d'au moins 100 m. 

Le spécialiste des orques rappelle qu'il existe des exemples de réintégration réussie. La première concerne Springer, une femelle prélevée car échouée et en très mauvais état. Après un traitement médical, elle sera la première orque à réintégrer son groupe avec succès après un temps en captivité.

Reportage en 2014 :

Le second cas ressemble plus à ce que pourrait être le sort des orques actuellement en captivité dans le monde. Il s'agit de Keiko, l'orque devenue célèbre grâce à son apparition dans le film Sauvez Willy. Prélevée en Islande, à l'âge de 3 ans, elle a été placée dans plusieurs parcs d'attractions. En 1998, ce mâle alors âgé de 25 ans, est remis en mer dans les eaux islandaises, dans un sanctuaire qui n'existe plus de nos jours. Les résultats ont été encourageants, l'animal a retrouvé son autonomie alimentaire et a été aperçu à 1.500 km de là en Norvège où il est décédé 5 ans plus tard.

Alors, Pierre Robert de Latour a, tout de même, réalisé des recherches pour trouver de possibles sanctuaires et en a trouvé deux. Le premier est un fjord près de Ketchkan, en Alaska, près de la frontière canadienne. Le second se situe près de Reine au Nord de la Norvège.

Il ne reste ce 28 mars désormais plus au Marineland d'Antibes que Wikie (22 ans) et Keijo (10 ans). Inouk était le frère de Wikie et Moana son fils, tout comme Keijo. Tous sont nés à Antibes.

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