Le dernier film du réalisateur Jean-Michel Bertrand "Vivre avec les loups" a été déprogrammé le jour même. Le réalisateur dénonce une censure intolérable.
On le sait, le loup est un sujet sensible. Jean-Michel Bertrand, le réalisateur originaire du Champsaur dans le département des Hautes-Alpes, aborde justement cette problématique dans son dernier film : "Vivre avec les loups". Pour ou contre, là n'est pas la question, les spectateurs ne pourront pas se faire leur propre idée, car le film a été déprogrammé par deux maires.
Ils n'ont même pas vu le film qu'ils crient au scandale, ce sont des extrémistes.
Jean-Michel BertrandRéalisateur du film à France 3 Côte d'Azur
Son film est sorti en salles le 24 janvier dernier : "nous amenons de manière sensible et cinématographique à percevoir différemment la nature qui nous entoure et les animaux qui l’habitent : chevreuils, chamois, bouquetins… Un voyage de Jean-Michel Bertrand avec de surprenantes rencontres, humaines et animales, avec son style inimitable, le réalisateur nous entraîne dans des réflexions naturalistes et philosophiques sur la nature.", selon le site Allociné.
Déprogrammation soudaine dans la vallée de la Roya
Le 13 février dernier à Breil-sur-Roya et le 17 février à Fontan, les deux maires, annulent la représentation prévue du film dans la salle municipale de cinéma.
Contacté par France 3 Côte d'Azur, Sébastien Olharan, maire LR de Breil-sur-Roya se justifie ainsi : " la déprogrammation du film n'avait pas de rapport avec son contenu que je ne connais pas et qui relève de la liberté d'expression que je respecte en toute circonstance. La décision a été prise pour préserver l'ordre public face au risque de débordements au regard du contexte particulièrement tendu et du sujet qui a suscité des incidents par le passé lors de projection similaires. Je ne voulais pas courir le risque de voir se reproduire à Breil-sur-Roya ce qui s'est déroulé à Tende en 2020. La projection étant prévu dans la salle communale, ma responsabilité aurait pu être engagée."
De son côté Philippe Oudot, le maire de Fontan qui n'a pas encore répondu à nos sollicitations aurait expliqué à des confrères journalistes de Télérama: "je ne voulais pas envenimer une situation déjà tendue. Face au risque d’avoir des débordements, j’ai préféré annuler cette projection ».
Comble de l'ironie, le 30 janvier 2024, la programmation dans la salle de cinéma de la mairie de Breil-sur-Roya était une comédie française sur... la chasse.
Indignation
C'est cette annulation et ces justifications qui font bondir le réalisateur et son producteur.
C'est donc à celui qui sera le plus violent !? Les politiques courbent l'échine devant 3-4 extrémistes.
Jean-Michel Bertrandà France 3 Côte d'Azur
En 2020 effectivement, une séance avait dû être annulée suite à l'intervention de manifestants en colère : "à l'époque, j'avais dû être exfiltré de la salle" explique Jean-Michel Bertrand. "Les manifestants étaient violents et insultant, l'un de leurs slogans était "tes caméras mets les dans ta chambre pour filmer ta femme plutôt que dans nos montagnes" vous voyez le niveau...! "
Pour le réalisateur, le film invite au questionnement, il laisse la parole à tous, sans édulcorer la vérité ni nier ce que vivent les éleveurs. Montrer, débattre, mais sans donner de leçons.
Pour moi, c'est de la censure ! Quelques personnes sont dans la victimisation permanente c'est honteux.
Jean-Michel Bertrandà France 3 Côte d'Azur
Une équipe de France 3 Paca avait rencontré Jean-Michel Bertrand dans sa vallée, pour parler de sa passion et suivre les traces des animaux dans la forêt.
Pierre Bailly, producteur du film, est, lui aussi, choqué : "le film est encore à l'affiche dans plus de 340 salles. Sur les précédents volets, nous avions fait plus de 120 débats. On n'a jamais eu de problème comme ça. On peut éventuellement faire le choix de ne pas programmer le film, comme à Tende, mais là, déprogrammé le film parce qu'ils ont peur, c'est inédit."
Spectateurs sur le carreau
Voir un film dans la vallée de la Roya est assez compliqué, il y a peu de salles, les spectateurs font donc plusieurs kilomètres pour se rendre dans les salles communales et voir l'unique projection du jour.
Ce 13 février, beaucoup étaient déjà arrivés sur places lorsqu'ils ont appris l'annulation de la séance. Parmi eux, le réalisateur Rémy Masseglia : " je n'y croyais pas, je pensais que c'était un problème technique, j'ai moi-même fait un film sur les loups ici, qui s'est bien passé, donc je ne comprenais pas." Pour lui, il vaut mieux organiser le débat que de le censurer : "ça rajoute de la polémique alors que ce n'était pas l'objet du film".
Des pressions de lobbies ?
Au-delà de l'annulation arbitraire par les maires d'un film programmé, est-ce que l'argument de la sécurité est le seul ? Est-ce que des pressions ont eu lieu pour faire annuler la projection ?
C'est en tout cas, ce qui circule sur les réseaux sociaux. Une association se félicite d'avoir été "entendu par le maire de Fontan". Le compte de "Ll'asso de sauvegarde du pastoralisme dans les parcs nationaux en France" publie ainsi :
"Tous les membres de l’association tiennent à remercier le Maire de Fontan, Philippe Oudot qui, à notre demande a bien voulu faire annuler la projection du « documentaire » Vivre avec les loups, de Jean-Michel Bertrand prévu pour samedi 17/02 à 14h."
Sujet clivant, qui divise des vallées, se fait s'affronter les associations de tout bord, le loup n'en finit pas de faire parler. Pour une partie des éleveurs qui alertent régulièrement et souffrent des attaques de loups, le camp est choisi.
Sans prétendre répondre aux problèmes, ou prendre parti, les spectateurs dénoncent, avec cette déprogrammation, la confiscation du débat.