"Ça me rend fou !" : dans les Alpes-Maritimes, l'autonomie alimentaire est d'une demi-journée contre parfois 20 jours ailleurs

Selon le Ministère de l’Agriculture, en France, l'autonomie alimentaire se définit par la capacité d'un territoire, par jour, à répondre aux besoins alimentaires de sa population par sa propre production et ses propres ressources. La moyenne nationale se situe entre 17 et 20 jours. Dans les Alpes-Maritimes, elle est d'une demi-journée ! Entretien avec le président de la FDSEA du département, Jean-Philippe Frère.

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Une demi-journée d’autonomie alimentaire pour le département des Alpes-Maritimes en 2024. Un chiffre qui laisse sans voix ! Mais à y regarder de plus près, l’évolution des différents indicateurs économiques du secteur de l’agriculture de notre département, nous met sur la voie.

Dans les années 1970, les Alpes-Maritimes pouvaient nourrir 70% de sa population. En 2006, ce taux est tombé à 25%. Aujourd'hui, l'autonomie alimentaire du département est de 1%. Le taux le plus bas de France.

Interrogé sur ce constat désarmant, Jean-Philippe Frère, le président de la FDSEA des Alpes-Maritimes a bien voulu répondre à nos questions :

France 3 Côte d’Azur : Une demi-journée d’autonomie alimentaire pour le département des Alpes-Maritimes en 2024, comment est-ce possible ?

Jean-Philippe Frère, président de la FDSEA 06 : "Pour faire simple, il y a 50 ans, la plaine du Var c’était le grenier de l’Europe … Il partait des trains entiers sur Rungis. Aujourd’hui, la plaine, c'est bientôt un centre commercial à perte de vue.

Cette donnée est à la hauteur de ce qu’il reste d’exploitations agricoles, tout simplement ! Ça paraît fou, mais c’est ainsi ! Même nos départements voisins sont largement au-dessus de nous ! Ici, nous n’avons plus rien. Pire, nous devons nous battre pour garder ce qu’il nous reste, en maraîchage, pour nourrir les Maralpins. C’est-à-dire les plaines d’alluvions du Var et de la Siagne, les greniers de notre département. 

À titre de comparaison, la moyenne nationale d’autonomie alimentaire se situe entre 17 et 20 jours. Dans la région de la Beauce, ils arrivent à 30 jours d’autonomie alimentaire. Alors nous, avec notre moitié de journée…

France 3 Côte d’Azur : Pensez-vous qu’il serait possible de nourrir toute la population du département ?

Jean-Philippe Frère : "Oui je pense. Il suffirait de multiplier par trois le nombre d’agriculteurs, toutes filières confondues.  Qui plus est, nous n’aurions aucun problème pour écouler notre marchandise. Je m’explique, en gros, nous sommes un million et demi de personnes dans le département. Et chaque année, nous recevons un peu plus de onze et demi de millions de touristes. Une aubaine, dans l’absolu, et c’est toute la différence avec les agriculteurs des autres départements qui vivent mal de leur métier parce qu’ils n’ont pas la manne de consommation qui existe dans les Alpes-Maritimes."

France 3 Côte d’Azur : Pouvez-vous nous brosser le tableau du secteur agricole de notre département ?

Jean-Philippe Frère : "Sur le plan humain, aujourd’hui, il ne reste plus que 1 125 exploitants, d’une moyenne d’âge de plus de 58 ans, pour 950 exploitations agricoles sur le littoral ou en montagne. Une véritable hémorragie. Il y a 60 ans, il y en avait plus de 9 000. En 2024, il y a deux fois plus de départs en retraite que d’installations. Si le secteur reste sur cette dynamique négative, dans 7 ans, il y aura moitié moins d’exploitants !

Pour ce qui est des exploitations agricoles, elle se compose de deux filières pilotes : le végétal et l’animal. Nous considérons comme végétal, tout ce qui est oléiculture, agrumiculture, plantes à parfum, un petit peu de viticulture et maraîchage. Cette dernière activité étant la principale.

Cette année, nous dénombrons environ 250 exploitations en maraîchages, dont une centaine en partie haute, c’est-à-dire à plus de 500 mètres d’altitude et dont la culture n’est possible que trois mois de l’année.

Le reste, soit approximativement 150 exploitations, est situé sur les plaines du Var et de la Siagne. À titre de comparaison, la production d’une ferme agricole d’un hectare dans les plaines, c'est 20 à 25 tonnes de légumes par an. En restanque, un hectare sur le moyen ou le haut pays, c'est quatre tonnes."

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Jean-Philippe Frère : "Là où est encore notre force, c’est que notre département est l’un des plus riches en variété de maraîchage. Nous produisons de tout, mais peu !

Il est courant de constater la production d’une vingtaine de légumes sur une même parcelle en maraîchage. Dans les plaines, il ne gèle pas ! Donc sur le littoral, les cultures se font en rotation, toute l’année. C’est une de nos richesses.

Pour ce qui est de l’élevage, il y a 35 ans, on dénombrait 90.000 brebis mères (celles qui reproduisent) pour moins de 29.000 aujourd’hui. Après les ovins viennent les bovins, les caprins, les porcins et enfin un peu plus d'une vingtaine d'exploitations avicoles. 

Alors oui, il reste peu d’élevage, en revanche, ce qui est unique chez nous, c’est que nous avons extrêmement de diversité. Encore une force qui ne demande qu’à être développée pour être autonome en matière alimentaire.

France 3 Côte d’Azur : Comment expliquer cette métamorphose ?

Jean-Philippe Frère : "Tout simplement par deux phénomènes : Tout d’abord, la pression foncière. C’est elle, pour la plus grande partie, qui nous a tués. En comparaison, un hectare dans la Beauce cela correspond à 1.200 euros. Ici, ce n’est pas moins de 600.000 euros. Tout est dit ! À cela, s’ajoute la démobilisation à embrasser ce secteur d’activité. Pas besoin d’aller chercher plus loin pour expliquer la situation agricole des Alpes-Maritimes. Notre seul recours, aujourd’hui, essayer de faire un énorme lobbying pour convaincre les femmes et les hommes à s’investir dans ce secteur d’activité.

Pour que cela s’inverse ce ne serait vraiment pas très compliqué.

Rêvons un peu. Il faudrait, tout simplement des décisions politiques fortes et suivies. D’un, les terrains agricoles ne sont pas des terrains pour les constructions immobilières. Le peu qu’il nous reste, il faut le conserver. De deux, aider les jeunes, ou les moins jeunes, à s’installer et aider à la reprise des exploitations. Le foncier agricole doit redevenir accessible."

"Être paysan, c’est comme gérer n’importe quelle autre entreprise. Il y a des plus et des moins, des besoins de bâtis, un besoin d’être respecté et d'avoir accès à l’eau, à l’électricité. L’agriculteur, ce n’est pas un fou furieux au fond d’un vallon, sans route, sans eau et sans rien ! Souvent, les gens pensent que l’agriculteur, c'est un pollueur qui ne respecte pas les règles. C’est faux. Parce qu’aujourd’hui, c’est ça l’image qu'à la société de nous.

Je préférerais, en tant que président de la FDSEA, avoir beaucoup de petites entités que d’en avoir une très grosse. Notre métier, c'est le plus beau métier du monde. Nous mettons une petite graine en terre, la plante, elle pousse et nous nourrissons le monde."

France 3 Côte d’Azur : Une petite touche d’espoir tout de même ?

Jean-Philippe Frère : "Les Alpes-Maritimes, c’est un des départements les plus respectueux en France en termes d’agriculture responsable. C’est là encore, où il y a le plus d’exploitations en agriculture bio et environnementale. En 10 ans, nous avons augmenté de 150 % dans ces deux secteurs ! Nous sommes les seuls en France à avoir fait ça. Et c’est normal. Cela s’explique le plus logiquement du monde. Nos exploitations sont à taille humaine. Nous vivons dedans, donc nous n’allons pas y mettre des produits toxiques pour nous empoisonner. En plus, nous ne faisons pratiquement que de la vente directe. La surface moyenne d’un maraîchage maralpin est très petite. Un hectare, un hectare et demi.  Avec la vente directe, comme je vous l’expliquais plus tôt, c’est un schéma économique viable pour l’exploitant."

France 3 Côte d’Azur : Enfin, puisque c’est d’actualité que pensez-vous de l'accord Mercosur ?

Jean-Philippe Frère : "Alors nous, très franchement, dans le département, nous ne sommes pas touchés. Mais je suis pleinement solidaire. Une fois de plus, on ouvre à la concurrence des secteurs qui n’ont pas les mêmes règles que nous. Pour nous, agriculteurs français, c'est de la concurrence déloyale. Il faut que les règles soient les mêmes pour tout le monde. À un moment donné, il va falloir bien se rendre compte que l’agriculture, c'est une cause d’intérêt général et c’est stratégique pour un pays. Bien évidemment, le moment venu, nous nous mobiliserons, si une action générale qui est menée. Les agriculteurs du 06 sont solidaires de tous les autres agriculteurs de France, cela va de soi. Et cela va mieux en le disant !"

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et défendent un "revenu " décent.

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