Témoignages. Colère des agriculteurs : "On a réussi à faire croire au consommateur que c’est sur l’alimentation qu’il peut faire des économies !"

Publié le Mis à jour le Écrit par Hélène France
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Le modèle agricole français est en faillite et le monde paysan en colère a installé des barrages depuis plusieurs jours en direction de Paris. Des actions sont également menées en Province. Les Alpes-Maritimes n'y échappent pas. Des revendications locales s'ajoutent à celles de leurs collègues partout en France.

Dans les années 1970, le département des Alpes-Maritimes pouvait nourrir 70% de sa population. En 2006, ce taux était tombé à 25%. Aujourd'hui, l'autonomie alimentaire du département est de 1%. Le taux le plus bas de France !

"On met des panneaux solaires sur les surfaces agricoles et de l’herbe sur le toit des immeubles !" À Seranon, dans les Pré-Alpes grassoises, un éleveur bovin a dû réduire son cheptel parce qu’une partie de ses pâturages et une source ont été prises pour installer des panneaux ! On marche sur la tête ! ».  Quelques mots de Jérôme Payen, le porte-parole de la Confédération Paysanne des Alpes-Maritimes.

Ils résument l’incohérence qui prévaut dans l’hexagone sur le sort de la paysannerie. Ce jeudi, une grande manifestation s'est tenue notamment sur la Promenade des Anglais. 

Jérôme Payen est apiculteur dans la vallée de la Vésubie. Son discours est clair et même s’il reconnaît que tous rencontrent des difficultés, les revendications de son syndicat sont inconciliables, au regard de l’approche environnementale, avec celles du syndicat majoritaire.

Il y a peu de céréaliers et de producteurs d’oléagineux chez nous. Pas d’industrialisation. Nos exploitations sont à taille humaine, dans un système plus traditionnel.

Jérôme Payen est le porte-parole de la Confédération Paysanne des Alpes-Maritimes.

"Quand on diminue l’accessibilité à l’eau, on diminue la production"

Bien évidemment, la Confédération Paysanne et la FDSEA se rejoignent sur certains points dans le département comme le prix du foncier, la spéculation et l’étalement urbain. Les charges, les cotisations et contributions sociales aussi. Également sur les gros soucis d’irrigation et les énormes difficultés à subir les restrictions d’eau imposées : "les légumes, c'est 80 à 90 % d’eau, donc quand on diminue l’accessibilité à l’eau, on diminue la production. Pour beaucoup d’agriculteurs installés dans les zones montagneuses, il est impossible d’arroser la nuit, car le temps que les feuilles sèchent, des maladies comme le mildiou ou l’oïdium ont le temps de s’installer. C’est une spécificité du maraîchage de montagne et la réglementation n’en tient pas compte" explique Jérôme Payen.

Du côté de la FDSEA, dont le 1er vice-président dans les Alpes-Maritimes est aussi le Président de la Chambre d’agriculture 06, la mobilisation du monde paysan passe, ici, prioritairement par le problème de l’eau.

"S’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de paysans" explique Michel Dessus. La priorité doit être donnée aux agriculteurs.

Selon lui, "entre pelouse, jardins et villas, ce sont les terres agricoles qu’il faut privilégier. Il faut que l’on puisse faire des retenues collinaires. L’eau, il faut la prendre quand elle tombe du ciel. Il ne faut pas qu’elle se perde dans le Var puis dans la Méditerranée. On travaille sur de la technicité avec des systèmes de gouttes à gouttes par exemple, mais il faut absolument faire des choix et le préfet peut délibérer dans le sens d’une consommation raisonnée ! "

Les deux hommes se retrouvent dans leur attachement au métier de la terre, leur volonté d'obtenir un revenu digne et, si certaines de leurs revendications diffèrent, au 15ᵉ jour de la mobilisation, les deux mènent les actions qu’ils estiment nécessaires.

Jean-Pierre Clerissi est maraîcher dans la Plaine du Var, là où les terres agricoles sont de moins en moins nombreuses.... Ses deux fils ont emboîté le pas dans l'exploitation familiale, mais, en plus de 40 ans d’activités, il a vu ce qu’il appelle le glissement du consommateur : "avant, une famille faisait, dans son budget, une part de près de 50%  à son alimentation. Aujourd’hui, ce n’est plus que 15% et le reste profite aux biens intermédiaires comme le smartphone et autres… On a réussi à faire croire au consommateur  que c’est sur l’alimentation qu’il peut réaliser des économies ! Une hérésie ! "

Lorsqu’on aura fini par faire disparaître l’agriculture en France, à la 1ʳᵉ occasion,  par le phénomène de la concurrence étrangère qui va se dire, on est tout seul, on va augmenter les prix,  le consommateur paiera très cher de la marchandise que ne sera toujours pas de belle qualité.

Jean-Pierre Clerissi, maraîcher dans la Plaine du Var à Nice.

Pourtant, le maraîcher spécialiste des fraises reconnaît que dans ce département, la situation n’est pas aussi catastrophique qu’ailleurs.

La terre de la plaine du Var est parmi les plus fécondes de France, le climat permet de cultiver toute l’année et la production locale n’a pas de mal à s’écouler. Pourtant, alors que la loi Egalim le prévoyait, l’agriculture locale a beaucoup de mal à alimenter la restauration collective, essentiellement pour des questions de prix de revient des produits. "Ça fait plus de 40 ans qu’on se bat contre des moulins à vent. Le problème est lié à une hausse des charges exponentielle depuis des années qui fait que, fin 2023, on arrive au bout d’un système. On est incapable de continuer à absorber de telles charges et il est impossible de le répercuter sur le prix de vente."

Valeur-travail, effort, liberté d’entreprendre, au-delà de leurs différences, les syndicats se battent parce que c’est une question de survie.

Une manifestation s'est tenue à Nice le 26 janvier.

Plus de suicides

Selon une nouvelle étude de la MSA (Mutualité sociale agricole) les risques de mortalité par suicide montrent que les agriculteurs sont plus concernés que l'ensemble de la population.  

Pour l'année 2020, le risque de mortalité par suicide des assurés du régime agricole entre 15 et 64 ans est supérieur de 30,9 % à celui des assurés de tous les régimes sociaux.

 Mais l’absence de mesures concrètes depuis l’installation des premiers barrages d’agriculteurs fait craindre un méchant scénario à Michel Dessus. "On nous promène", dit-il.

J’ai un mauvais sentiment. Il n’y aura pas d’annonces, seulement des mesurettes. Le gouvernement va simplement gagner du temps pour nous avoir à l’usure et qu’on rentre sur nos exploitations. Que croyez-vous que nos collègues feront alors que leurs terres et leurs élevages ont besoin de leur force de travail pour se maintenir au quotidien ?"

Près de 1 000 exploitations s’accrochent et survivent dans le département tout entier. Mais ici, le prix du foncier, résultat d’une volonté politique d’aménagement du territoire essentiellement tournée vers le tourisme, ne permet pas le renouvellement de générations d’agriculteurs.

De plus, des centaines d’hectares, dans la plaine du Var, ont été détournées de leur usage agricole.

"Des choses sur les zones agricoles qui n’ont rien à y faire"

Thomas Barralis est le directeur départemental de la SAFER (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural).

Au regard du prix du foncier dans les Alpes-Maritimes, il sait combien il est difficile de procéder à des installations d’agriculteurs et donc d’assurer le renouvellement des générations de paysans.

Se greffe là-dessus la grosse problématique du détournement d’usage :"Sur la zone littorale du département, les plaines, les endroits accessibles, des personnes mettent en place des choses sur les zones agricoles qui n’ont rien à y faire : stockages de voitures, de camions, de déblais et tout ce qu’on peut imaginer sans lien avec un site de production. Ça s’est tellement développé dans les Alpes-Maritimes que ça concurrence vraiment les espaces agricoles et fait encore augmenter les prix."

Sans oublier...

Les spécificités du département réduisent, ici, les différences entre les syndicats comme dans le cas du dossier du loup. Pour la FDSEA, le loup qui a été imposé génère ce même constat après chaque attaque de bêtes qu’il y a trop de lourdeur administrative et trop de temps avant d’indemniser les éleveurs.

La Confédération Paysanne dénonce l’obligation d’examens auprès de vétérinaires qui ne sont nullement intéressés, pour avoir le droit d’être maître-chien et obtenir des chiens de protection contre les loups. Idem concernant les problèmes de contrôles et de tâches administratives importantes liés au Parc du Mercantour qui empêchent éleveurs et apiculteurs de travailler dans de bonnes conditions.

Michel Dessus accuse l'Espagne de concurrence déloyale. La réglementation et le coût de la main d'œuvre sont extrêmement différents. Il prévient : "Un de ses quatre matins, on prendra un camion en provenance de la péninsule ibérique et on le videra !"

Jérôme Payen dénonce la réglementation sur la charge du bétail à l’hectare, très handicapante dans le 06. "Cette nécessité d’avoir un certain nombre de brebis par hectare sans discernement de la topologie est aberrante, explique-t-il. Entre la plaine de Normandie et les contreforts du Mercantour où le climat est sec et la recherche d’herbacée déjà pauvre, rien à voir ! L’herbe diminuera encore avec les épisodes de sécheresse, ce qui obligera à davantage d’achats de nourriture, donc plus de frais, de rotations de poids lourds …. Un non-sens de plus.

Jean-Pierre Clerissi, lui, se souvient des premiers jours du Covid. Toutes les grandes surfaces, persuadées de ne pas arriver à nourrir les Niçois,  téléphonaient H.24 pour que les agriculteurs, les éleveurs, maraîchers et autres apiculteurs puissent les livrer !

Au final, malgré leurs contraintes, ils vont manifester. Un rassemblement de la FNSEA 06 est prévu ce jeudi 1er février. Il partira à 7h 30 du pont de la Manda et s’arrêtera 1 heure plus tard au MIN pour grossir les troupes et aller, avec camions plateaux et tracteurs, jusqu’à hauteur du Negresco où auront lieu des prises de paroles. 

Un autre cortège, celui de la Confédération Paysanne 06 démarrera samedi 3 février à 10h devant la gare Thiers de Nice-Ville pour remonter à pied jusqu’au marché de la Libération où les paysans iront à la rencontre des producteurs et des consommateurs.

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