Canua Island : paradis flottant pour les uns, enfer écologique pour les autres. On vous résume la polémique en 7 épisodes

Malgré des oppositions nombreuses, jusqu'au Ministère de la Transition écologique, la justice administrative vient d'enjoindre le Préfet des Alpes-Maritimes à délivrer un permis d'armement au navire. Voilà qui relance le projet d'île flottante au large de Mandelieu, véritable feuilleton politico-écologique.

"Tel un refuge au cœur de la mer, cette île flottante est un lieu incontournable sur la Côte d’Azur : tout au long de la journée, les panoramas changent et avec eux, les espaces de l’île s’animent" : voilà comment les concepteurs de Canua Island décrivent l'îlot artificiel sur leur site internet, invitant le public à vivre "une expérience unique". En réalité le concept existe déjà, à l'autre bout du monde, aux îles Fidji. Et c'est d'ailleurs là qu'est né le projet Canua. 

2013 : la naissance du projet

Cette année-là, Marc Audineau, un skippeur de haut-niveau installé dans la région cannoise, découvre le Cloud 9. C'est la version océanienne de Canua : un bar flottant au large des îles Fidji, dans le Pacifique Sud. Il a été créé par l'un de ses amis, Tony Philp, champion du monde de planche à voile. La légende raconte que c'est en attendant la vague que cet amateur de surf a eu l'idée de pouvoir boire un verre au milieu de l'océan. Son Cloud 9 est actuellement ouvert, comme le montre cette récente vidéo postée sur Facebook : 

Les deux champions décident de s'associer pour importer le concept sur la Côte d'Azur. Marc Audineau dessine les croquis lui-même. Il est persuadé que le projet, une plage flottante pouvant accueillir 400 personnes, avec un restaurant, un bar, une piscine et même une suite VIP, ne pourra que séduire. Il vante aussi son faible impact écologique. 

"Dans trente ans, avec la montée des eaux, il n'y aura peut-être plus de plage à Cannes. Alors, il y aura des îles artificielles ; celle-ci est la première", expliquaient fin 2020 les concepteurs du projet dans un article du Figaro.

Un argument qui séduit la mairie de Mandelieu-La Napoule. Dès 2019, elle soutient officiellement le projet - du "Made in France" financé par la Banque publique d'investissement (BPI) -  tout en attendant sa finalisation, car cette île paradisiaque n'est rien d'autre qu'un trimaran. Il lui faut donc des autorisations administratives pour avoir le droit de naviguer en toute sécurité. 

Mars 2023 : Cannes, la Région PACA et des riverains s'opposent au projet

Initialement prévu au printemps 2021, le déploiement de Canua au large de la Napoule prend du retard, officiellement à cause de la crise sanitaire liée au Covid. Son ouverture est planifiée pour le printemps 2023. C'est là que les choses se corsent. 

Des riverains découvrent le projet. "Personne n'était au courant, on l'a appris par hasard !", s'exclamait à l'époque Sylvie Kowarski, une habitante de Mandelieu-la-Napoule. Elle crée l'association Syllau, pour dénoncer ce qu'elle estime être une atteinte à l'environnement, inquiète aussi d'éventuelles nuisances sonores. "Non à de l’événementiel sur la mer jour et nuit, non à une rotation de 400 personnes par jour, non à l’altération de l’écosystème dans la baie de Lérins". Avec une autre Mandolicienne, elles lancent une pétition en ligne, qui a recueilli à ce jour plus de 19 000 signatures

Et ça ne s'arrête pas là : la mairie de Cannes s'oppose au projet et invoque trois raisons : la protection de l'environnement, la sécurité de la navigation maritime, et la concurrence jugée déloyale pour les plages privées. 

Plus marquant encore, la marche arrière de la région PACA, par le vote d'une motion et la publication, le 24 mars 2023, d'un communiqué écrit au vitriol et signé Georges Botella, conseiller régional et maire de Théoule-sur-mer. 

"La copie finale est sans appel : deux ans après, ce projet est manifestation une aberration écologique. Il ne correspond en rien, ni à la stratégie, ni aux priorités de la Région".

Georges Botella, maire de Théoule-sur-mer et conseiller régional

La collectivité s'était pourtant engagée dans le projet, en apportant une caution bancaire dans le cadre d'un partenariat avec la banque publique d'investissement (BPI), mais sans en connaître tous les détails, assure-t-elle. 

Tant pis, donc, pour le rétropédalage : "Nous assumons volontiers d'avoir donné une chance à ce projet, comme nous assumons encore plus volontiers l'idée que ce projet, sous sa forme définitive, ne peut et ne doit pas voir le jour".

Quelques jours plus tôt, Renaud Muselier, le président de la Région avait déclaré : "dans la plus belle région du monde, où le critère climat-biodiversité est une règle d’or, on doit refuser cette aberration écologique au plus vite !"

Coup de massue pour Marc Audineau, qui n'avait cessé de vanter les vertus écologiques de Canua Island : "Je suis un marin, je navigue depuis 35 ans, j'ai toujours pris soin de la mer".

"On estime que 50 % de nos clients viendront avec leur propre bateau. Les autres, on ira les chercher à terre", exposait le 27 février dernier Marc Audineau à France 3 Côte d'Azur.

Pour cet ancien skipper, 

"le lieu est magnifique et les fonds sont sableux, donc quand on jette l'ancre, on n'abîme pas la flore"

Marc Audineau, co-fondateur de Canua Island

Il assure aussi que les eaux noires comme les déchets seront ramenés à terre pour être traités et triés.

Les nuisances sonores? Promesse est faite qu'il ne s'agira pas d'une boite de nuit et que des tests seront effectués en amont. 

Malgré tous ces efforts pour rassurer, et alors que la saison estivale approche, période de lancement de Canua Island, l'affaire va prendre une dimension nationale.

Avril 2023 : Le ministre de la transition écologique s'en mêle

Le 7 avril, Christophe Béchu écrit à Renaud Muselier, président du conseil régional PACA, pour partager la même inquiétude à l'égard du projet : 

"Mes services, pleinement mobilisés pour la protection de l'environnement marin, sont très attentifs à ce dossier. Ce projet suscite une circonspection à laquelle je souscris. Le gouvernement s'est clairement positionné défavorablement au développement dans la mer territoriale d'activités commerciales privées".

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique

Pour permettre son exploitation, le trimaran de Canua Island doit être amarrée à un coffre. Le ministre assure que l'instruction du dossier pour permettre cette installation sera l'objet d'une concertation avec tous les acteurs locaux.

Mai 2023 : malgré la polémique, Canua Island s'installe à la Seyne-sur-mer

Le lundi 22 mai, sur le quai Riviera Lines du port de la Seyne-sur-Mer, les premiers badauds aperçoivent la plateforme de 1750 m. Le trimaran vient de quitter le port de la Spezia en Italie. 

Cette installation fait bondir les militants écologistes, qui ne désarment pas. Cette fois-ci c'est l'association Terre bleue qui monte au créneau et obtient cette réponse du ministre de la transition écologique : "Les analyses menées indiquent que le projet ne semble pas compatible avec l'amarrage aux coffres existants et que le mouillage forain n'est pas adapté à son mode de fonctionnement et à son dimensionnement, notamment du point de vue de la protection des herbiers de posidonies". 

De plus, l'entrée en vigueur de la loi n°2023-175 ne permettrait pas l'installation de Canua Island. Selon l'article 40-3 : "Parmi les îles artificielles, les installations et les ouvrages flottants, seuls ceux destinés à la production d'énergie renouvelable ou nécessaire à l'exercice d'une mission de service public peuvent être implantés sur le domaine public maritime naturel."

Le cofondateur de Canua Island, lui, continue d'effectuer les finitions de son installation, faisant mine d'ignorer les nombreuses contestations. Il franchit les premières étapes de contrôle. Reste à obtenir l'autorisation de naviguer, et notamment le permis d'armement, délivré par les services de l'Etat.

D'après les promoteurs, Canua Island est classée comme "navire à passagers" selon la réglementation, et constitue une innovation écologique sans précédent, n'en déplaise à ses détracteurs. 

"On a dénaturé un projet avec une véritable innovation mondiale. Le projet est 100% conforme à la législation française terrestre et maritime. Il est ultra-performant en matière énergétique, bien au-delà ce que prévoit la réglementation"

Jean-Bernard Falco, président de Smart Island Riviera

Pour Jean-Bernard Falco et ses co-investisseurs, il "n'y a pas aujourd'hui en Méditerranée un navire aussi éco-responsable que le (leur)", avec récupération des eaux usées ou utilisation d'un bio-carburant à base d'huiles de friture usagées.Les promoteurs de Canua Island précisent que la plage flottante respecte les fonds marins avec "un mouillage sur fonds sableux à 600 mètres du bord de mer, en adéquation avec la réglementation maritime en vigueur".

Le projet a déjà coûté 15 millions d'euros, et rater la saison d'été serait une catastrophe économique. 

Juin 2023 : le compte-à-rebours est lancé, Marc Audineau écrit à Emmanuel Macron

A l'arrivée des beaux jours, Marc Audineau, le skipper co-fondateur du projet, sait que les jours sont comptés. Alors il décide d'abord d'aller à la rencontre d'Hervé Berville, secrétaire d'Etat chargé de la mer, lors de sa visite à Nice, le 9 juin 2023. 

Le face à face s'est déroulé loin des micros. Marc Audineau en ressort très affecté. Selon lui, si le projet est attaqué, c'est d'abord pour une question politique et une opposition entre le président de la région Paca, Renaud Muselier et le maire de Mandelieu-La Napoule, qui s'est toujours porté dit favorable à la venue du navire.

Selon lui, on ne peut pas bloquer des entrepreneurs qui ont investi 16 millions d'euros dans un projet "qui ont joué leur vie et vendu leur maison, qui ont 5 millions de prêts, qui vont embaucher 100 collaborateurs français... Je veux le faire ici ! je suis d'Antibes et fier de le porter ici. Mais si je suis contraint, oui j'irai à l'étranger. Je devrais le vendre, mais ce n'est pas ce que je voulais."

Pour Hervé Berville, ce projet est une aberration écologique.  

C'est le type de projet qui n'est ni fait, ni à faire. Je partage les doutes exprimés. Ce projet apparait comme peu compatible avec la nécessité de renforcer la protection protéger l'environnement marin".

Hervé Berville, secrétaire d'Etat à la Mer

Réponse du maire de Mandelieu, soutien de la première heure : 

"Ce qui est « ni fait ni à refaire », c’est ce discours quand l'Etat finance 2,5 millions € dans ce projet, que la BPI en est actionnaire, la région Sud caution bancaire, que des Français y ont engagé 16 millions et 120 emplois".

L'affaire remonte alors jusqu'au plus haut sommet de l'Etat : Marc Audineau écrit à Emmanuel Macron :   "Laissez-nous travailler, sinon nous mourrons". 

Dans cette lettre ouverte, il dénonce le blocage adminsitratif des permis de navigation et d'armement, et se dit une nouvelle fois victime des querelles politiques entre le maire de Mandelieu et le président de la Région PACA. 

"Comment pouvez-vous dire oui pendant six ans à des créateurs d’emplois, les laisser s’endetter pour 16 millions d'euros, et aujourd’hui leur dire non ?". 

Marc Audineau, co-fondateur de Canua Island

13 Juin 2023 : les fondateurs du projet jettent l'éponge pour l'été

Devant les blocages administratifs et les tensions politiques, le projet tombe à l'eau. 

"Nous n’avons pas reçu les permis nécessaires à l’exploitation de Canua. On nous a clairement fait comprendre qu’il ne fallait rien attendre pour cet été. Nous avons informé tout à l’heure nos 100 salariés que nous ne pouvions pas tenir plus longtemps."

Communiqué de Canua Island

Dans leur communiqué, Jean-Bernard Falco, président Canua, Marc Audineau et Tony Philp, directeurs généraux et co-fondateurs Canua, dénoncent "une vendetta politique".

"Derrière une écologie de façade (le même qui nous attaque aujourd’hui veut promouvoir des yachts plus polluants que ne le sera jamais Canua) se cache en réalité un règlement de compte qui nous dépasse et qui dépasse l’entendement économique."

Novembre 2023 : Touché mais pas coulé, le Tribunal administratif donne raison à Canua Island

Alors que beaucoup pensaient le projet définitivement coulé, une décision de justice rendue le 22 novembre 2023 vient le relancer. Saisi en urgence, le juge des référés du Tribunal administratif de Nice enjoint l'Etat à délivrer l'autorisation nécéssaire à l'exploitation du navire, en attendant que le dossier soit jugé sur le fond. Le préfet des Alpes-Maritimes a 15 jours pour accorder le permis d'armement. Au mois d'août déjà, la justice avait ordonné à l'Etat de délivrer le permis de navigation, l'autre sésame indispensable au lancement du projet. 

 « Au-delà du mauvais feuilleton et de l'incompréhensible gâchis du printemps dernier, nous sommes heureux de constater que le tribunal nous a rétabli dans nos droits », commente Marc Audineau, Directeur Général de la Société.

L'homme avait du licencier une partie de ses salariés au début de l'été. Il semble vouloir continuer de se battre pour lancer son activité l'été prochain. 

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