Témoignage. "Il nous aide à comprendre nos racines", la réplique d’un navire de l'Antiquité mis à l’eau à Cannes

Publié le Mis à jour le Écrit par France Montagne

2 000 ans sépare le "Bissula", un projet de reconstruction à l’identique d'un navire marchand romain, de son antique épave d'origine, découverte dans les années 80, dans la baie de Laurons, entre Fos-sur-Mer et Marseille. Et, c’est dans la baie de Cannes qu’il a fait sa première sortie en mer.

Le "Bissula" est la réplique, trait pour trait, d’un voilier de commerce romain qui naviguait, il y a plus de deux mille ans, en Méditerranée.

De petite taille, l’embarcation mesure 16 mètres de long et est large de 5 mètres. Son mât, d'environ 15 mètres, est gréé avec une voile carrée, comme cela se faisant durant la période romaine antique, soit entre -753 avant Jésus-Christ, avec la fondation de Rome par Romulus, et + 476 avec la fin de l'Empire romain d'Occident.

Le "Bessula" : un regard vers le passé

Bien qu'il s'agisse de l'un des plus petits navires marchands romains du IIIᵉ siècle qui sillonnait la Méditerranée, il pouvait transporter jusqu'à 25 tonnes de marchandises avec un poids propre d'environ 8 tonnes. Le chargement était principalement composé d'amphores contenant du vin, de l'huile, des denrées alimentaires ou encore des produits de luxe. Il pouvait en contenir jusqu’à 200 !

Le "Bissula" nous aide à comprendre nos racines et à développer de nouvelles perspectives.

Christoph Schäfer, directeur du département d'histoire Antique de l'université de Trèves, en Allemagne.

Le "Bessula" : un projet né d’une université allemande

Ils sont près d'une centaine de passionnés d’histoire navale de l’Antiquité. Des artisans, des historiens, des archéologues, des chercheurs et des étudiants de l’université de Trèves, en Allemagne. Tous envoûtés par ce projet d'un autre temps.

L’embarcation ne s’était pas écrasée en coulant car elle est arrivée sur un sol très meuble, ce qui a permis de la refaire de façon très précise!

Christoph Schäfer.

"Nous avons eu l’idée de reproduire le "Bissula", trouvé dans la baie de Lauron, entre Fos-sur-Mer et Marseille dans les années 1980. Plus de la moitié du bateau était bien conservée. L’embarcation ne s’était pas écrasée en coulant car elle est arrivée sur un sol très meuble, ce qui a permis de la refaire de façon très précise !", explique Christoph Schäfer, directeur du département d'histoire Antique de l'université de Trèves, en Allemagne.

La construction du Bissula débute en 2017, sous la direction du maître constructeur de bateaux Matthias Helterhoff et de Christoph Schäfer. Durant plus de deux ans, ce projet est épaulé par 80 étudiants qui ont travaillé sur la reconstruction de ce cargo.

C’est la première fois que l’on a réussi à reproduire un bateau romain à l’identique.

Christoph Schäfer.

Après plusieurs années de tests scientifiques sur la Moselle, en Allemagne, le "Bessula" est acheminé par camion vers le chantier maritime de Cannes, pour y être mis à l’eau.

L’embarcation a retrouvé il y a quelques semaines les eaux méditerranéennes, là où l’original a navigué il y a un peu plus de 2 000 ans.

Premier bateau reproduit à l’identique

Pas peu fière l'équipe du professeur Schäfer, lors de la mise à l'eau de l'embarcation. La réplique romaine file sur la baie de Cannes comme une plume sur l'eau. Et même par grand vent, elle tient le cap. Pendant les tests scientifiques, 10 tonnes de blocs de bétons sont utilisées dans la cale pour simuler la cargaison, car en l'absence de quille, le navire a besoin d'un poids stabilisateur.

"C’est la première fois que l’on a réussi à reproduire un bateau romain à l’identique. Nous allons donc pouvoir faire des recherches sur le fonctionnement technique précis du bateau grâce à des procédés très modernes. Vitesse, manœuvrabilité, tout est passé au crible ! Contrairement aux routes terrestres bien documentées, les routes maritimes et leurs effets sur le commerce et les coûts de transport n’ont fait l’objet que de recherches insuffisantes ! Pour comprendre toute l’étendue du commerce maritime antique, une analyse précise est nécessaire" explique Christoph Schäfer avec des yeux qui pétillent d'impatience. "De cette embarcation à la coque typiquement romaine, des données pourront même être extrapolées aux autres épaves, y compris s’il s’agit de différents de bateaux".

La nature mise à contribution

Ce projet a offert aux étudiantes et aux membres de l’université l’occasion de vivre l’histoire d’une manière unique.

Au total, 25 arbres ont été utilisés pour la construction de ce navire. Dix chênes, treize pins, et deux sapins blancs pour le mât et la vergue, une longue pièce de bois disposée en croix sur l’avant des mâts pour soutenir la voile.

Tradition oblige, l’embarcation a été baptisée, à Trèves, en juillet 2019. Des essais en mer se sont déroulés du 24 septembre à la mi-novembre 2023, dans la baie de Cannes.

Quatre à cinq marins sont nécessaires pour pouvoir faire naviguer l'embarcation.

Révéler le commerce maritime antique

L’objectif principal de ce projet est, selon l'équipe de chercheurs, "d’étudier les performances d’un navire marchand de haute mer afin de mieux comprendre le commerce maritime de l'époque antique".

Grâce à cette étude de la navigation ancienne, les scientifiques espèrent que cela va leur permettre de mieux comprendre les débuts de la mondialisation et des échanges interculturels et "d'appréhender plus finement le fonctionnement du commerce et de la communication sur longues distances" poursuit le professeur Schäfer.

Le commerce maritime était une composante essentielle de l’économie antique

Christoph Schäfer.

La reconstruction détaillée et les essais du navire fourniront des informations sur les capacités nautiques des navires antiques, leurs caractéristiques de navigation ainsi que les routes maritimes associées.

"Le commerce maritime était une composante essentielle de l’économie antique", précise Christoph Schäfer. Et d'ajouter : "Contrairement aux routes terrestres bien documentées, les voies maritimes et leurs effets sur le commerce et les coûts de transport n’ont fait l’objet que de recherches insuffisantes. Pour comprendre toute l’étendue du commerce maritime antique, une analyse précise est nécessaire".

Un élément patrimonial à l’heure des défis mondiaux

 Au-delà de l’aspect purement historique, l’aventure du "Bissula" montre que les technologies durables ne sont pas une invention moderne.

"Les navires marchands romains étaient efficaces et utilisaient le vent comme source de propulsion, une source d’énergie régénérative qui devient de plus en plus importante aujourd’hui", Christoph Schäfer.

Ainsi, les connaissances acquises grâce à l’étude de ces navires historiques vont pouvoir fournir aux experts d’aujourd’hui, des indications précieuses pour la conception de navires modernes et durables, comme le souligne l'expert allemand : "cette expérience pourra nous aider également à réduire notre impact sur l’environnement. Le "Bissula" nous aide à comprendre nos racines et à développer de nouvelles perspectives pour l’avenir. Cela intéresse non seulement les historiens et les archéologues, mais aussi les économistes, les responsables de la planification des transports et les écologistes."

Après une première cession méditerranéenne d'essais concluants, aucune fuite d'eau, une prise au vent correcte, un maintien de cap, même par grand vent, le "Bessula" est reparti, par la route, vers son Allemagne natale, avec, en cale, des données sur ses performances à analyser.

Une seconde batterie de tests devrait une nouvelle fois mettre à l'épreuve le "Bissula" d'ici à quelques mois, et toujours en Méditerranée.

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