Coup de projecteur en cette Journée mondiale des droits des femmes, sur un projet photographique. Intitulé "Femmes battues et Féminicides", il s'agit d'une série de clichés symbolisant les violences faites aux femmes. L'auteur nous explique sa démarche et son travail avec des modèles maquillés.
Il est passé du classique sourire de mariage... au portrait sanguinolent. Alexandre Alves est photographe à Mouans-Sartoux, près de Grasse dans les Alpes-Maritimes. Spécialiste des portraits et des clichés de mariage, il a voulu mettre de côté le bonheur et la douceur pour un projet "choc".
Depuis 2019, il avait en tête de mettre en images des visages de femmes battues, de porter un message fort. Ses clichés prennent en ce 8 mars, Journée mondiale des droits des femmes un autre écho.
Comment vous est venue cette idée ?
Alexandre Alves, photographe : "régulièrement, pour ne pas dire tous les jours, j’entendais dire aux infos ou je lisais des articles sur les réseaux sociaux disant qu’une femme avait été mortellement blessée sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire. J’avais l’impression d’entendre ça tous les jours. A côté de chez moi, à Cagnes-sur-Mer, la tragique mort de Salomé à la fin de l'été 2019, a été de le déclencheur. Cette année-là, le nombre de féminicides a augmenté de 21 % en France.
En tant que photographe et considérant ce sujet comme étant trop dans l’ombre à mon goût, j’ai voulu mettre ça en images. Je voulais des photos aussi fortes que celles que l'on peut voir pour des campagnes de lutte contre le tabac par exemple.
Pourquoi avoir voulu faire des portraits avec des modèles plutôt que reprendre la réalité ?
Je voulais d'abord réaliser des portraits de femmes de tous âges, de n’importe quelle nationalité, de différentes classes sociales etc... Pour montrer que cette violence faite aux femmes ne se limite pas à certains profils. J'ai d'abord contacté des associations d'aide aux victimes et j'ai très vite compris qu'en tant qu'homme, il serait difficile de rencontrer des femmes accompagnées par ces associations. De les photographier, de les dévoiler.
Comment avez-vous rencontré vos modèles ?
Pour commencer, je devais d’abord réfléchir à la façon dont j’allais mettre ce projet photo en œuvre, quel style de photographie je pouvais faire pour représenter ce sujet-là. Je ne voulais pas de mise en scène sur laquelle on aurait pu simuler un acte violent. Mais je voulais, qu'il y ait une arme, un objet. En me documentant, j'ai tristement pu constater comment se déroulent de nombreux faits divers.
Dans 17 % des féminicides, le décès est consécutif à une strangulation et dans la majorité des cas le crime est réalisé à l’aide d’une arme blanche ou d’une arme à feu.
Je veux qu'une image puisse refléter la détresse à travers un regard, pour dire stop à la violence faite aux femmes et aux féminicides.
J'ai lancé des appels sur les réseaux sociaux pour trouver les maquilleuses qui accepteraient de faire ce travail bénévolement car il n'est pas question pour moi de parler argent sur ce projet. Trois personnes ont accepté.
Ensuite, j'ai commencé la recherche des femmes. Pour être honnête, aucune de celles avec qui j’ai pu parler ne voulaient pas participer. Certaines me soutenaient et étaient même désolées de ne pouvoir en être à cause de la distance géographique.
Des femmes m'ont contacté mais elles ont refusé, la démarche était trop difficile : elles aussi étaient des victimes.
Comment les modèles ont-elles réagi ?
Je prévoyais au départ de photographier 152 femmes, soit le nombre de féminicides en 2019. Pour l'instant, j'ai 10 portraits car 10 modèles seulement. Il s'agit de femmes qui se connaissent pour certaines. J’avais d’abord contacté Géraldine qui en avait parlé à son tour à sa maman puis à Marie qui elle-même en avait jeté un mot à une amie à elle, Soizic. Une mère et sa fille aussi, Martine et Géraldine.
Nos séances photo étaient agréables mais aussi tendues, des langues se sont déliées, la parole s'est libérée au fil des shootings. C'est notamment le cas pour Soizic.
Cette séance a été pour moi comme un exorcisme de toute cette colère qui était au plus profond de moi, j’en suis sortie vidée et apaisée.
Parmi les 10 premières femmes à avoir posé devant l'objectif d'Alexandre Alves, Soizic des Bouches-du-Rhône.
"J’ai eu la chance de participer à ce magnifique projet. Il y a une chose que je dois préciser, je suis une femme battue par son ex-mari, c’est pour cela que j’avais quitté le domicile conjugal en 2013 avec le nez cassé et des hématomes sur tout le corps. Mon amie Marie était à mes côtés à ce moment-là et c’est pour cela, et connaissant mon combat auprès des femmes dans la même situation que moi, qu’elle m’avait demandé de venir", souligne Soizic.
Il a été très très difficile pour moi de me voir maquillée ce jour-là, et encore plus quand ma fille de 9 ans est arrivée : elle avait 3 ans quand elle a été témoin des horreurs de son père,
Un travail bénévole qui a réveillé en elle de durs souvenirs : "lors de la dernière série et notamment au moment de la photo retenue, je pleurais tellement cela faisait remonter en moi ces différents sentiments que ressentent toutes les femmes battues… Tout cela je l’ai aussi fait pour ma fille, ma princesse, pour lui montrer que l’on peut survivre et se relever mais qu’il faut impérativement se battre pour sauver toutes ces autres femmes qui vivent la même chose. Pour que, comme moi, elles s’en sortent vivantes. Ce projet doit absolument continuer !"
Quels sont les retours des autres femmes, ceux du grand public ?
Sur son blog, Alexandre Alves a compilé quelque avis :
Je n’ai pas les mots, juste des larmes qui coulent sur mon visage. En tant qu’ancienne « victime de violences conjugales » je ne peux que vous encourager à poursuivre votre travail. Vraiment je dis bravo Monsieur !
Il le reconnait, pour l'instant, il n'a pas beaucoup de retour car ses clichés ne sont pas exposés dans les lieux publics à cause de la crise sanitaire. Seuls le site et les réseaux sociaux lui permettent de faire passer le message. Le photographe aimerait aller plus loin : "j'ai contacté la maison d'arrêt de Grasse et celle de Rouen, ma ville natale, car j'aimerais que ces photos soient vues par des détenus, par ceux qui sont peut-être les auteurs de drames".
Le photographe aimerait compléter sa série et pouvoir en exposer 152. Un chiffre symbolique.
Le collectif "Féminicides par compagnon ou ex" a en effet recensé 152 cas en 2019. En 2020, i y a eu 100 victimes et depuis le début de cette année déjà 16 femmes décédées en France.