Le militant et agriculteur de la vallée de la Roya est l’une des figures emblématiques de l'aide aux personnes sur le territoire français. Il réagit à l’arrivée du bateau de SOS Méditerranée dans le Var, à Toulon.
Ce jeudi 10 novembre, Cédric Herrou est joignable, comme toujours, pour aborder la solidarité et les valeurs de la République qui se déclinent en trois mots : Liberté, Egalité, Fraternité.
Contacté dans l’après-midi, alors que la nouvelle n’a été officialisée que quelques heures auparavant, Cédric Herrou est en pleine récolte d’olives. Il n’a pas vraiment suivi les récents évènements du jeudi 10 novembre, que nous lui apprenons.
Accueil à Toulon, premières réactions politiques… Pour lui, le militant de la communauté Emmaüs Roya, dans les Alpes-Maritimes, l'accueil de l'Ocean Viking de SOS Méditerranée sonne comme une évidence.
"La question que je me pose en fait, c’est comment humaniser ces migrants. Ça devient une arme politique, une arme de dissuasion, c’est grave et triste à la fois. Avec les Ukrainiens, il y avait cette question emphatique" explique le natif de Nice.
"Ce n’est pas qu’une question de religion, ce n’est peut-être pas qu’une question de couleur de peau non plus, mais on n’arrive même plus à se rendre emphatique car ce sont des gens qui ne nous ressemblent plus du tout. Je crois que c'est le côté le plus pernicieux du racisme, il est là." développe-t'il.
Devenu un argument de poids pour toute une partie de l'échiquier politique, l'accueil de l'Ocean Viking en lieu sûr est avant tout une question d'humanité : "Ce n’est pas forcément la peur de l’étranger comme peuvent l’avoir Damien Rieu, Eric Zemmour, etc, cette fascination obsessionnelle sur l’étranger. Ce n’est pas la forme la plus dangereuse, c’est la légèreté avec laquelle on prend les choses en fait. C’est qu’on oublie qu’il y a des gens qui sont en train de crever sur un bateau et si le gouvernement français a réagi en disant ‘c’est bon, on le prend’, c’est afin d’éviter des morts. C’est dramatique."
Conditions inhumaines
En Libye, comme l'avait déjà révélé le média américain CNN, dès octobre 2017, les migrants sont purement et simplement vendus comme des esclaves. Pour seulement 400 dollars.
"Ce sont des gens qui sortent de camps de concentration, ça s’appelle comme ça, où l’on concentre des gens de la même origine, avec des travaux forcés, avec des viols, de la torture, et ils sont dans des conditions physiques et psychologiques incroyables" s'insurge l'agriculteur de la Roya.
Quant à l’argument de "l’appel d’air", avancé par certaines personnalités politiques, Cédric Herrou y répond clairement, avançant que de sauver des vies humaines en perdition doit rester une priorité : "On ne sait même pas quantifier le nombre de morts qu’il y a en Méditerranée. Les chiffres que l’on a, ce sont les bateaux que l’on avait localisés, et que l’on n’a plus retrouvés. Mais il y a les bateaux que l’on a jamais localisés. Il y a des dizaines de milliers de personnes qui meurent en Méditerranée. La question à se poser, c’est ‘est-ce que l’on a envie de les laisser mourir ou pas’, c’est tout. Et j’ai peur qu’une partie de la population dise oui en fait."
SOS valeurs républicaines
Cet humanisme qui est chevillé au cœur de la République pour Cédric Herrou, tend à vaciller d'après lui : "Ce qui me fait peur, c’est que l’on se pose la question d’accueillir moins de 250 personnes qui étaient en train de se noyer. Je pense que si l’on demande à un enfant de 5 ans s’il est normal de tendre la main à quelqu’un qui se noie, il va dire oui. Il n’y a que les sociopathes pour dire non. Il y a un côté déviant qui est malsain, surtout pour un pays comme la France, avec 'Liberté, Egalité, Fraternité', les droits de l’homme et tout le tintouin. Je crois que l’on ne reflète plus trop les valeurs républicaines. Ce qui m’enrage, ce sont les gens comme Ciotti (Eric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes et candidat à la présidence LR, ndlr), qui prônent des valeurs républicaines, comme celles de Charles de Gaulle, mais il n’y a rien de républicain à dire ‘ramenons-les dans des zones où ils ont été maltraités ou 'esclavagisés'', il n’y a rien d’humain."
J’ai l’impression que la République s’est complètement dévoyée, défaussée. Je n’ai jamais entendu autant de racisme, à la télé ou à la radio. Il est intégré par les personnalités politiques. Ce qui me fait flipper, c’est ça.
Cédric Herrou, agriculteur et militant de la vallée de la Roya
La priorité des Français ?
La question migratoire et les sujets connexes ont pris bien trop de place dans le débat public pour Cédric Herrou."Dans le milieu populaire, dans la rue, le racisme, on ne le côtoie pas tous les jours en fait. Quand on allume les médias, on le côtoie toutes les minutes" explique-t'il.
"On le sait bien que cela intéresse les Français. Bien évidemment que ces questions d’immigration les inquiètent, mais ce n’est pas leur première préoccupation. Leur principale préoccupation, c’est de savoir si ce soir ils vont pouvoir se chauffer, s'ils vont pouvoir donner à manger décemment à leurs gamins…" poursuit celui qui a toujours été très actif dans l'aide aux étrangers en situation irrégulière.
J’ai l’impression que l’on fait une espèce d’écran de fumée. Il faudrait un peu revoir les heures de médiatisation de ces personnes qui ont été accueillies à Toulon. Il y a de la démesure, je trouve ça assez anxiogène.
Cédric Herrou, agriculteur et militant de la vallée de la Roya
L’idée d’aller à Toulon ces jours-ci a bien évidemment effleuré Cédric Herrou, si son emploi du temps ne lui a pas permis de s'y rendre pour le moment, il ne l'exclut pas.
Actuellement hébergés sur la presqu'île du Giens, à Hyères dans le Var, les premiers passagers de l'Ocean Viking devraient être, dès ce samedi, envoyés dans 11 pays situés en Europe qui ont fait montre de cette solidarité, si chère au cœur de Cédric Herrou.