Annulation du carnaval de Nice à cause du Covid : "de ma vie de carnavalier, je n'ai jamais vu ça"

Dans un monde sans Covid, le carnaval de Nice aurait dû débuter ce vendredi 12 février 2021. Pour la première fois en trente ans, les petites mains qui pensent, construisent et réalisent les chars font tout autre chose. Une situation inédite à Nice. Mais alors que font-ils ?

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Jusqu'à cette année, seule la guerre du Golfe en 1991, avait pu réduire au silence l'incontournable tintamarre du Carnaval de Nice.

Autre temps, autre guerre. Trente ans sont passés et c'est la "guerre sanitaire", tel que le président de la République a nommé le combat contre la Covid 19, qui a eu raison de l'édition 2021.

"Compte tenu de la crise sanitaire actuelle et de la fréquentation qu’un tel événement engendre, le carnaval de Nice "Roi des Animaux", initialement prévu du 13 au 27 février 2021, est reporté à 2022" annoncait le jeudi 3 décembre dernier la ville de Nice par communiqué.

En 2020, c'est l'ultime corso qui a vait été annulé, les premiers décès dus au Covid-19 étaient annoncés en Italie voisine quand on faisait encore le plein de visiteurs à Nice. (> Revoyez notre émission spéciale 2020)

Une fois le coup encaissé, l'ensemble des acteurs du monde du carnaval s'est organisé. Imagiers, carnavaliers, et les très nombreuses petites mains...

Tous ceux qui font le carnaval de Nice, soit plus de 1 800 emplois directs pour un budget de 6 millions d'euros.

C'est très, très bizarre ! Vendredi, normalement c'était le top départ... Samedi, la première bataille de fleurs... Et en fait... Rien. En 91, pendant la guerre du Golfe, oui il n'y avait pas eu de carnaval, mais nous avions au moins fait les chars. Cette année : rien. Ça nous fait vraiment drôle !

Pierre Povigna, 53 ans, membre d’une famille de 4 générations de Carnavaliers

La voix de Pierre Povigna est blanche. Et d'ajouter, en marquant une pause certaine et un brin de sarcasme "pour une fois qu'on aurait pu monter faire du ski... On ne peut même pas !"

Depuis que je suis dans le carnaval, et je suis né dedans, je n'ai jamais connu ça !

Pierre Povigna.

"Cette année, cela aurait été la première fois que trois générations de Povigna auraient travaillé ensemble, en même temps... Ce sera pour l'an prochain " se désole Pierre Povigna.

"A cette période de l'année, on a au moins 30 personnes dans l'atelier qui travaillent jour et nuit. Le rythme est complètement dingue. Là, on rentre à la maison à 17 heures " témoigne Cédric Pignataro, membre d'une autre grande famille de carnavaliers niçois.

Année blanche pour les imagiers

Dessinateur de chars de carnaval depuis plus de 20 ans, l'artiste Kristian s'estime être un des moins "mal loti. Pour nous, imagiers, c'est une année blanche."

Avec plus d'une cinquantaine de chars à mon actif, c'est la première année que je ne dessine pas de chars depuis 21 ans,

Kristian, imagier niçois.

 Au-delà du travail d'imagination et de création bien en amont, les imagiers (souvent orthographié en français médiéval ymagier) eux aussi vivent au rythme du carnaval. Même si, bien évidemment, l'artiste comprend tout à fait, les raisons de l'annulation de cette 137e édition, c'est la tristesse qui l'habite.

"Mon travail ne s'arrête pas seulement à l'imagination, au dessin. Ne pas aller voir les carnavaliers mettre en volume un croquis, ne pas voir les chars défiler, ne pas voir les réactions des gens. Tout ça, le contact avec le public... Tout ça va, vraiment, beaucoup me manquer cette année".

Alors, c'est vrai, pas de défilé pour les deux chars de Kristian retenus pour le  "carnaval du roi des animaux 2021", mais au moins son travail a été rémunéré, puisque livré avant l'annulation.

"Nous les imagiers, les dessinateurs, nous sommes les premiers maillons de la chaine du carnaval. Nous déposons nous projets lors d'un appel d'offre le dernier jour du carnaval en cours pour l'année suivante. Peu de temps après nous savons si nous avons été sélectionné ou pas".

Ce qui n'est pas le cas des familles de carnavaliers situées en amont dans la chaîne de production. Eux, n'ont même pas eu la possibilité de réaliser les chars.

Réinventer le savoir-faire

Mais alors, concrètement, que font les carnavaliers en cette première quinzaine du mois de février ? Se reposent-ils ? Pas vraiment !

"Non, nous ne sommes pas partis en vacances ! Nous démontons les chars de l'an dernier, rangeons, pour une fois que nous avons le temps. Nous répondons à des appels d'offres, publics ou privés. Nous essayons de nous en sortir comme nous pouvons. Nous valorisons notre savoir-faire, la serrurerie par exemple", nous répond Pierre Povigna.

Et d'ajouter : "fin février ou mars prochains, nous devrions avoir déjà quelques pistes ou mieux des réponses d'appels d'offres pour 2022. A ce moment-là, nous pourrons être un peu plus sereins et avancer ".

Même son de cloche du côté de la famille Pignataro.

Avec l'annulation, la société de Cédric Pignataro perd 12% de son chiffre d'affaires. Si, le reste de l'année, d'ordinaire il vit aussi de parades déambulatoires et fantastiques, cette année avec la Covid-19, il n'y en a plus beaucoup. Tous les acteurs du monde de la culture et du spectacle vivant subissent, de plein fouet, la crise imposée par le virus.

Le temps à disposition valorisé

Mais dans les faits, les carnavaliers niçois sont très occupés. Bien sûr, des occupations qu'ils n'ont pas vraiment l'habitude d'avoir à cette période de l'année comme nous le confie Cédric Pignataro : "beaucoup de rendez-vous à assurer pour démarcher et impulser d'autres sortes de chantiers. On essaie de se servir de notre savoir-faire pour qu'un peu d'argent rentre quand même à la fin du mois ".

Maitrisant un savoir-faire de pointe dans le domaine de la métallurgie, l'entreprise des Pignataro répond à toutes autres sortes de commandes. Des décors pour les Ballets de Monaco, aux réparations de manèges forains, aux commandes de sculptures métalliques, en passant par des terrasses pierre-métal. Certes, beaucoup moins artistique comme démarche, mais au moins rentables en cette période de disette.

Promouvoir les acquis

Depuis plus de trente ans, les carnavaliers oeuvrent chaque année. Chars, têtes de personnages, décors... Un véritable patrimoine culturel inexploité. Le tout, prenant la poussière, remisé dans des hangars.

Fort de ce temps qu'il n'avait pas jusqu'alors, Cédric Pignataro a donc eu une idée.

Nous avons numérisé tout notre stock carnavalesque, presque 200 créations ! L'idée, c'est de valoriser ce que nous avons. Notre patrimoine.

Cédric Pignataro, carnavalier niçois.

Apres quelques semaines passées à photographie les pièces puis à faire des retouches Photoshop et la création d'un site, le résultat "semble intéressant" pour Cédric. "Ça sera totalement efficient dans les jours à venir, la semaine prochaine tout au plus. Tout notre stock sera disponible. Vous pourrez vous payer la tête de Karl Lagerfeld, de Macron, de Brigitte, de la reine Elizabeth ou encore de Trump en clown..."

Une véritable prise de conscience

Au-delà d'avoir poussé les carnavaliers à valoriser leur savoir-faire et à se réinventer, c'est une véritable prise de conscience qui s'est imposée à eux. Faire table rase des habitudes passées pour un futur plus confortable comme nous l'explique Cédric Pignataro :

" J'ai toujours eu une notion très particulière du temps qui passe et qui pèse. Le carnaval, c'est un art éphémère. Cette année, ce changement nous a fait prendre conscience de plein de chose. De la merveilleuse sensation d'avoir la notion du temps qui passe en tant que plaisir, d'avoir la sensation qu'en maitrisant le temps on peut retrouver une certaine liberté ".

Depuis toujours, nous sommes à l'entière disposition de sa majesté carnaval.

Cédric Pignataro

" Depuis toujours, nous sommes à l'entière disposition de sa majesté carnaval. Jusqu'à présent, nous avons su montrer que nous étions capables de travailler dans l'urgence. Et bien, d'ailleurs ! Mais ne pourrait-on pas s'organiser pour avoir une vie plus normale. Ne plus travailler dans le stress et l'urgence ".

Presque un questionnement philosophique

Une option d'autant plus envisageable que le maire de Nice, Christian Estrosi, a pris " l'engagement de ne pas laisser tomber les carnavaliers, ainsi que de laisser une plus grande latitude aux carnavaliers dans la création des chars de l’édition 2022. Ces derniers pourront commencer leur conception dès la fin du premier trimestre 2021 " a t'il fait savoir par communiqué de presse.

>> Le carnaval de Nice en 5 chiffres  :

  • De 100 000 à 200 000 spectateurs
  • 30 millions de retombées économiques
  • Plus de 1 800 emplois directs
  • 6 millions d'euros de budget
  • 157 000 euros déployés en 2022 en " soutien " aux carnavaliers, soit une majoration de 15 % des tarifs payés.

Vers une nouvelle organisation ?

Dans un tout récent communiqué de presse, la ville de Nice s’est à nouveau "engagée à soutenir l’activité des carnavaliers, dont le savoir-faire artisanal fait partie du patrimoine culturel immatériel de la ville. Ce savoir-faire sera présenté et valorisé tout au long de l’année 2021, au fil de la programmation événementielle niçoise et métropolitaine ".

Une bonne chose à deux niveaux selon Pierre Povigna : "Nous allons pouvoir répondre à des appels d'offres pour tous types d'événements en 2021 et 2022. Je pense par exemple au festival de Nicz Jazz ou d'autres manifestations et on va se servir de cette année comme d’une année blanche.

Avant la fin du premier trimestre 2021, nous aurons le résultat des appels d’offres pour la construction des chars de la saison prochaine. Cela nous laissera presque un an pour les réaliser, alors qu’habituellement c’est la course pour tout construire en trois ou quatre mois. Ça va nous changer la vie !

Pierre Povigna.

"Excellent" renchérit Cédric Pignataro qui rêvait de plus de temps. "On va commencer le carnaval très tôt, dès ce mois de mars. Ça va nous laisser 9 mois pour faire les chars, on aura trois fois plus de temps !".

Et d'ajouter : " 2021, c'est l'année du changement et de la prise de conscience ".

Par ailleurs, Cédric Pignataro évoque également la demande faite des carnavaliers, en fin d'année dernière, d'une revalorisation financière des budgets alloués.

"On attend beaucoup sur les futures commandes. La mairie a évoqué qu'une partie du budget du carnaval qui ne serait pas utilisée cette année, en 2021, soit repartie sur différents projets événementiels de la ville".

Des souhaits qui pourraient devenir réalité à la lecture du communiqué de presse de la ville de Nice de ce jeudi 11 février.

"En soutien aux carnavaliers et à leur savoir-faire, une majoration de 15% a été appliquée aux marchés de chars et d’éléments d’animation qui se traduit cette année par une augmentation de +136 800 euros HT pour les 17 lots de marché des chars et +21 000 euros HT pour le marché des 14 lots d’éléments d’animation, soit un total de 157 000 euros HT en leur faveur".

Des festivités pour carnaval 2021

Malgré l'annulation de cette 137e édition, la municipalité a décidé de mettre en place des initiatives pour "faire vivre le carnaval dans le coeur des Niçois".

  • Une structure carnavalesque sera installée, à partir du 16 février, sur la place Masséna. Elle sera fleurie d'une tonne de mimosas pour honorer les célèbres Batailles de Fleurs durant le week-end du 20 février.
  • Une exposition sur le carnaval valorisera le savoir-faire des carnavaliers et retracera l’histoire et les traditions du carnaval de Nice sur la Promenade des Anglais.
  • Des "défis déguisements" seront organisés sur les réseaux sociaux.
  • Le 27 février, en soirée, la structure carnavalesque de la place Massena sera incinérée.

La veille, le 26 février, en soirée, le cyber carnaval de Moya verra à nouveau le jour. Il réunira des internautes des cinq continents connectés depuis leurs ordinateurs via leurs avatars. Tous participent à une parade virtuelle sur une reproduction 3D de la place Masséna, dans l'univers de l'artiste sur Second Life.

Sur le modèle de l'an dernier :

Durant la période des vacances scolaires, plusieurs de centres de loisirs et AnimaNice seront également à la fête. Au programme : des ateliers de fabrication de petits chars, de "grosses têtes", de costumes et de déguisements ainsi que de cuisine.

En paralèlle, le court métrage "Le Carnaval de Martine Doytier" d’Alain Amiel est diffusé sur les réseaux sociaux  : 

Il s'agit d'un film sur l’histoire du carnaval en explorant le tableau spectaculaire "Carnaval 1981" peint par cette artiste de la scène artistique niçoise et dont les œuvres majeures appartiennent aux collections de la ville grâce à la donation Jean Ferrero.

Il est le préambule d’une future grande exposition composée d’objets et de dessins encore jamais présentés au grand public. En attendant, connaissez-vous le Musée du Carnaval à Contes ?

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