D'un côté, la Métropole Nice Côte d'Azur accuse le département des Alpes-Maritimes de se désengager financièrement de plusieurs dossiers importants. De l'autre, certains élus pro-Ciotti de la Métropole craignent des arbitrages financiers en défaveur de leur commune. Guerre des chiffres et guerre des nerfs : on vous raconte comment l'argent est désormais au centre de la bataille politique qui oppose les deux frères ennemis de la Côte d'Azur, Christian Estrosi et Eric Ciotti.
La flèche a été décochée en plein conseil municipal. Ce vendredi 31 mars, à Nice, le maire Christian Estrosi s'apprête à répondre à une élue ciottiste qui l'interroge sur les coûts de la construction d'un nouveau palais des congrès sur le Port de Nice. Elle veut être sûre de l'impact financier pour la ville, s'interrogeant sur d'éventuels frais cachés.
Le matin même, dans les colonnes de Nice-Matin, Eric Ciotti, député et président des Républicains, affirme même que, "au final, ce sont les Niçois qui vont à nouveau payer".
C'en est trop pour Christian Estrosi. Devant l'assemblée municipale, il se livre à l'une de ses diatribes les plus assassines à l'encontre de son ancien homme de confiance, devenu son premier adversaire politique, Eric Ciotti.
Il fut un temps où il fut un élève docile, un collaborateur discret et de qualité, auquel je pensais dispenser des enseignements qui lui seraient utiles pour se bâtir la carrure d'un homme de qualité sur la scène politique, malheureusement, il a vrillé totalement, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise,
Christian Estrosi, maire de Nice, président de la Métropole Nice Côte d'Azur (Horizons).
Deux ambitions politiques majeures
Et de rappeler méthodiquement comment il a aidé Éric Ciotti à chaque étape de sa carrière politique : pour devenir conseiller départemental puis député, quitte à demander à son fidèle Gaston Franco de « libérer » le canton de Saint-Martin -Vésubie pour y placer son protégé.
Mais ça, c’était avant.
Avant les dissensions politiques entre le désormais président des Républicains Eric Ciotti et le macroniste et vice-président d’Horizons Christian Estrosi. Avant, aussi, que ne se percutent à Nice deux ambitions politiques majeures.
En ce début d’année 2023, jamais la guerre fratricide entre Eric Ciotti et son ancien mentor Christian Estrosi n'aura été aussi virulente. Le premier ne cache presque plus son envie d'en découdre aux prochaines élections municipales de Nice, le second doit désormais compter sur un adversaire de taille, s’agaçant de devoir, face à une inépuisable agitation politique et médiatique, justifier en permanence ses choix de gestion.
Car depuis plusieurs mois, c'est bien l'argent qui est devenu le nerf de cette guerre politique. Eric Ciotti ne cesse de fustiger la mauvaise gestion de la métropole : une dette de plus de 1,5 milliard d’euros qui a conduit à l’augmentation de deux points de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. L'étape d'après devrait être l'annonce aux communes membres de la Métropole d'arbitrages financiers : en clair, certains projets devront être abandonnés.
L’homme de confiance de Christian Estrosi, chargé de préparer les maires des 51 communes de la Métropole à ces coupes, c’est Louis Nègre, le maire de Cagnes-sur-mer. Le très ciottiste maire de Tourrettes-Levens a déjà échangé avec lui : « ça n’est pas une mission facile d’annoncer aux maires : il n’y a plus assez d’argent, il faut trancher » concède Bertrand Gasiglia. Mais il craint aussi que les restrictions budgétaires servent d’alibi à des mesures de rétorsion envers ceux qui, comme lui, affrontent désormais leur ancien allié Christian Estrosi au sein de la Métropole.
J’ai deux projets importants : un parking et la sécurisation d’un carrefour dangereux. Je ne voudrais pas que, sous prétexte de réduction du budget métropolitain, on fasse payer aux Tourrettans ces deux projets, et qu’un arbitrage soit fait, pour des motifs qui ne seraient pas purement économiques.
explique Bertrand Gasiglia, maire LR de Tourrettes-Levens.
« Plusieurs maires sont très inquiets, ils ont le sentiment d’être pris entre deux camps » nous confie un autre élu métropolitain. Mais lui, le premier rechigne à témoigner ouvertement. Il nous raconte comment la maire de la Roquette-sur-Var, Nicole Labbe, aurait subi des pressions de la part du camps estrosiste. Jointe par téléphone, elle nie en bloc : « oui, la guerre est en train de repartir, mais en tant que maire Les Républicains, je n’ai jamais subi de pression de Christian Estrosi et de ses services ».
Un démenti qui devrait suffire à faire la polémique ?
Au contraire, estime l’élu proche d’Eric Ciotti, c’est bien selon lui la preuve de l’omerta qui règne au sein de la Métropole : « quand on assiste au conseil des maires de la Métropole, on a l’impression d’être dans une secte. Christian Estrosi est comme un gourou à qui on doit obéir ».
Interrogé, Bastien Nespoulous, son chef de cabinet, balaie cette accusation d’un revers de manche.
« Un exemple : la maire de la Bollène-Vésubie s’est abstenue lors du vote du nouveau taux de fiscalité de la TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères). Dans la même séance, la Métropole a voté la réhabilitation d’un hôtel de la commune pour 320 000 euros ».
Et d’ajouter :
La Métropole n’a pas à se justifier de son soutien aux communes. Elle fait des arbitrages financiers (…). Le règlement de compte politique n’est pas une méthode de gestion,
Bastien Nespoulous, chef de cabinet de Christian Estrosi.
Mais pas question pour autant de ne pas répliquer aux attaques répétées d’Eric Ciotti.
La Métropole dépense trop, estime ce dernier ? Le département, lui, n’investirait plus assez, rétorque la Métropole.
Dans une lettre adressée à Charles-Ange Ginésy, le président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes, deux élus niçois, proches de Christian Estrosi, dénoncent un désengagement financier du Département, à commencer par sa participation au contrat de ville :
« Depuis 2015, le département pratique la politique de la chaise vide dans les instances de pilotage du contrat de ville (…). Cette situation pénalise des actions concrètes auparavant financées par le Département comme le soutien scolaire aux collégiens, les actions d’insertion professionnelle (…) ou enfin le financement des centres sociaux ».
Cette lettre accusatrice est signée Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice et vice-président de la métropole, et Jennifer Salles-Barbosa, adjointe au maire déléguée aux seniors et aux solidarités.
Ces deux élus estiment même que, malgré un budget 2023 en hausse, le département des Alpes-Maritimes diminue les dotations dans ses propres champs de compétence : le logement social, l’action sociale, l’aide aux personnes âgées ou encore le RSA.
« Je n’y vois même pas un règlement de compte politique, mais la traduction concrète de leur conception de l’action publique : l’inaction » affirme Bastien Nespoulous, le directeur de cabinet de Christian Estrosi. « On peut faire des moulinets pour dire que tout va mal aux Moulins, mais ils se sont méthodiquement désengagés de la politique de la ville ».
Selon lui, le Conseil départemental devrait « se concentrer sur le cœur du réacteur : la solidarité aux personnes âgées, aux personnes handicapées, l’aide aux communes. Faire danser les personnes âgées, c'est bien, mais s’occuper des personnes âgées dépendantes, c'est prioritaire »
En s’attaquant ainsi aux comptes du Conseil départemental, les proches de Christian Estrosi mettent en cause la gestion d’Eric Ciotti, qui, pour cause de cumul des mandats, n’est plus président de la collectivité, mais reste à la tête de la commission des finances.
Sollicité, le Département n’a pas souhaité réagir officiellement, mais dans l’entourage d’Eric Ciotti, on tente de minimiser : « comme ils n’ont pas grand-chose de leur côté, ils appuient là-dessus ».
Deux visions comptables irréconciliables
Le désengagement du Département dans la politique de la ville ?
Depuis 2008, dans le cadre du plan de l’ANRU (agence nationale pour la rénovation urbaine NDLR) le conseil départemental aurait mandaté 40,2 millions d’euros nous assure-t-on, et d’ajouter : « Le Département et la Métropole sont deux collectivités qui ne sont pas gérées de la même manière : la première fait attention et dispose de fonds, la seconde a dilapidé l’argent public ».
Deux visions comptables irréconciliables, mais du côté de la métropole, on ne cesse de rappeler que la collectivité emprunte pour investir. L’extension du tramway et de la coulée verte, la construction d’un nouveau palais des congrès.
Christian Estrosi fait le pari d’une ville métamorphosée à la veille des prochaines élections municipales, Éric Ciotti lui prédit un bilan comptable catastrophique.
Le juge de paix sera l’électeur niçois lors des prochaines élections municipales. Dans trois longues années.