À l'approche des Jeux Olympiques de Paris, la question des sans domicile fixe cristallise les tensions. Selon Franceinfo, 1.600 personnes évacuées de camps de migrants ou de squats ont été éloignés de la capitale. À cette occasion, la rédaction de France 3 Côte d'Azur revient sur un épisode de l'histoire niçoise qui avait créé la polémique.
Les arrêtés anti-mendicités fleurissent dans certaines communes touristiques. Les maires utilisent leur pouvoir de police pour interdire certains comportements dans des zones spécifiques. Le but affiché et d'assurer la sécurité et la salubrité publique.
L'actuel maire de Nice, Christian Estrosi avait d'ailleurs pris un tel arrêté en juillet 2022, interdisant certaines rues touristiques de 9 heures à 14 heures et de 16 heures à 19 heures. La Ligue des droits de l'Homme dénonçait alors une "manière d'invisibiliser la misère".
La mairie avait expliqué : "C'est un texte qui vise des conduites condamnables au titre du Code pénal comme la mendicité agressive. Il répond aux règles dictées par la jurisprudence, à savoir un périmètre et des horaires précis."
Les JO de Paris
Selon la rédaction de Franceinfo, des centaines de personnes sont évacuées de camps de migrants ou de squats à Paris. Les "volontaires" sont invités à monter dans un bus en direction de Marseille ou de Bordeaux. Un coordinateur chez Médecins de Monde Pierre Alauzy témoigne : "En vrai, ça ne vaut pas beaucoup mieux que détruire des favelas au Brésil avant les JO, que dégager des précaires à Londres ou à Moscou. Nous, on est convaincus que ce dispositif a été créé pour les JO et que le but, c'est de sortir de Paris un maximum de personnes considérées comme indésirables par l'État et de les envoyer en région."
Des épisodes similaires à Nice en 1996
Déplacer les personnes en situation d'extrême précarité n'est pas nouveau. Un article du journal Libération datant de 1996 relate les mesures prises par Jacques Peyrat, maire de l'époque.
Jacques Peyrat (RPR, ancien FN) ne s'en cachait apparemment pas, il voulait cacher la misère. Il aurait parlé de la mise en place d'un "centre d'accueil" pour faire "dégorger la faune interlope". Le mot interlope signifie "clandestin" ou "louche".
Un ancien centre aéré de la ville de Nice avait été transformé à cet effet. Des agents de police étaient alors chargés d'emmener les sans-abri dans ce centre à quinze kilomètres du cours Saleya.
D'après le quotidien, 422 personnes y ont été emmenées en un mois.
Selon l'article du 22 juillet 1996, les "indésirables commençaient à se révolter" certains ont porté plainte contre les méthodes employées (pas contre le centre qui lui semblait être respectueux des individus) mais les plaintes ont été classées sans suite.
On avait développé un système pour les ramener en voiture, on faisait les allers-retours pour les aider.
Joseph Ciccolini, avocat de la Ligue des Droits de l'Homme en 1996.
Joseph Ciccolini, avocat de Ligue des Droits de l'Homme, représentait les sans-abri. Une trentaine de plaintes avaient été déposées : "c'était un des premiers arrêtés anti-mendicité en France. On avait essayé de l'attaquer au tribunal administratif, le rapport public était pour l'annulation, mais le tribunal a confirmé l'arrêté."
L'avocat témoigne : "ce qui m'a frappé, c'est la rencontre avec un homme sur place (au Mont Chauve). On avait décidé d'aller visiter pour se rendre compte et j'y ai notamment rencontré un homme qui faisait preuve d'une telle combativité que je ne pouvais pas rester sans rien faire. Il m'a dit "ça fait deux fois qu'ils m'amènent ici, mais ils se fatigueront avant moi" et à chaque fois, il repartait à pied sous le soleil jusqu'à Nice. C'est pour ça que l'on avait mis en place un système de "navette retour", c'était ridicule, ils montaient pour redescendre. Il faut dire qu'il n'y avait rien à faire là-haut, c'était juste pour les rendre invisibles. "
Selon l'avocat, même si la justice ne leur a pas donné raison, l'affaire a eu un retentissement médiatique tel que les déplacements ont été moins fréquents jusqu'à la fin de l'arrêté (en septembre de la même année).
Le centre de nos jours
En 2020, lors de la crise du coronavirus, le lieu est à nouveau utilisé, mais cette fois, c'est pour y loger les sans-abris malades.
Les 18 chambres ont été aménagées par la protection civile et la croix rouge pour accueillir les malades "non graves" (les autres allant directement à l'hôpital) : "C'est l'équivalent d'un isolement à domicile pour ceux qui n'en ont pas" résumait, Jérémy Crunchant, directeur départemental de la Protection civile dans les Alpes-Maritimes.
Aujourd'hui, le centre a retrouvé sa fonction initiale, il appartient à un organisme social bénéficiant d’une autonomie de gestion ; elle gère des fonds qui lui sont confiés pour dispenser et développer les activités sociales.
SDF persona non grata
Les villes touristiques sont concernées, mais plus largement, les mesures anti SDF se trouvent partout, que ce soit dans les centres-villes, les commerces ou les gares, tout est fait pour les éviter. Comme dans le design du mobilier urbain avec les bancs trop petits, inclinés ou avec accoudoirs au milieu.
La Fondation Abbé Pierre avait ainsi lancé le hashtag #soyonshumains pour recenser les pires mobiliers urbains lors d'une cérémonie qui se prénomme les "pics d’or" (faisant allusion à la ville de Toulouse où des pics avaient été mis en place pour empêcher de s’y asseoir).
Cet été 2023, à Angoulême, un arrêté a été pris par la mairie interdisant "l’occupation abusive de l’espace public".
Selon Midi Libre :"la municipalité infligera une amende de 35 euros à tout individu assis, couché ou debout de manière statique dans les rues de la ville." Ce qui exclu, SDF, jeunes, musiciens...
Quelques jours plus tard, le tribunal a partiellement suspendu l'arrêté, notamment la partie sur l'interdiction de la station assise ou allongée.