Ce vendredi 4 octobre, lors de la traditionnelle audience d'installation de nouveaux magistrats affectés au tribunal judiciaire de Nice, la présidente a prononcé un discours très politique.
Devant la salle des assises des Alpes-Maritimes archicomble, à l’occasion de la traditionnelle audience solennelle d’installation des nouveaux magistrats, la présidente du tribunal judiciaire de Nice a prononcé un discours très politique et ferme, ce vendredi après-midi.
"Votre présence est particulièrement importante alors que l'institution judiciaire fait l’objet d’importantes critiques à la suite de plusieurs drames qui nous émeuvent tous profondément" a lancé Pascale Dorion face à une assemblée au premier rang de laquelle avaient notamment pris place la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone (LR), le député Eric Ciotti (UDR, ex-LR) et le maire de Nice Christian Estrosi (Horizons).
"Les juges n'ont jamais été aussi sévères"
Citant le discours de passation de pouvoir du nouveau ministre de la Justice, Didier Migaud, qui entend "renforcer la confiance en nos institutions judiciaires et de lutter contre la défiance envers elles, qui est un mal injuste mais réel, qui ronge le vivre ensemble et ne reconnaît pas les efforts accomplis", la cheffe de la juridiction niçoise a dénoncé un "prétendu laxisme de la justice" alors que "les juges n'ont jamais été aussi sévères et n'ont jamais prononcé autant de peines d'emprisonnement".
En témoigne un chiffre préoccupant, révélé par le procureur de la République de Nice : celui du taux d'occupation de 192% dans le quartier hommes à la maison d'arrêt de Nice, contre 153% en février dernier.
La prison, sortie de terre en 1887, doit faire face à une surpopulation inédite avec près de 700 personnes détenues actuellement. "Comment garantir des conditions de détention et de travail dignes pour les détenus et pour les personnels" dans ces conditions, s'inquiète le procureur Damien Martinelli alors que le projet de nouvelle prison est toujours au point mort.
La détention provisoire n'est pas une sanction
"Il est particulièrement regrettable [que ces données] soient niées ou manipulées par certains commentateurs", insiste la présidente Pascale Dorion. "Des remarques parfois sans nuances, confondant la détention provisoire et la sanction pénale, oubliant la présomption d'innocence, ignorant que le juge agit dans le cadre de la loi, mettent en péril l'équilibre de nos institutions et l'Etat de droit."
La question du placement en détention provisoire de l'auteur présumé d'un délit a récemment été source de débats enflammés, notamment après le récent décès de la petite Kamilya mortellement heurtée par un jeune motard à Vallauris, mais aussi, dans le ressort du tribunal de Nice cette fois, après la mort accidentelle du patrouilleur de Vinci Autoroute Tony Nellec en mars dernier.
Dans les deux cas, le juge avait choisi de laisser l'auteur de l'accident en liberté, sous contrôle judiciaire, en attendant son procès. Car en droit français, la liberté est le principe et la détention doit rester une exception, soumise à de nombreux critères. Un juge ne peut placer en détention provisoire une personne, c'est-à-dire l'incarcérer alors qu'elle n'a pas encore été jugée et est donc juridiquement "innocente", que dans des sept cas, prévus par l'article 144 du Code de procédure pénale :
- Conserver les preuves ou les indices matériels
- Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille
- Empêcher une concertation frauduleuse avec les coauteurs ou complices
- Protéger la personne mise en examen
- Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice (éviter une fuite)
- Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement
- Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle.
Ces règles, la présidente du tribunal en est consciente, ne peuvent pas toujours "être entendues par les victimes d'actes terribles alors qu'elles sont submergées par la souffrance et le désespoir". Mais "les commentateurs", au premier rang desquels les élus de la république, qui pour certains d'entre-eux siègent au Parlement doivent écrire et voter les lois, ne doivent les ignorer.
Inquiétude sur la promesse de renforts
L'autre enjeu pour la présidente du tribunal judiciaire de Nice est celui des moyens accordés à la justice pour fonctionner efficacement, et elle l'a dit aux dix magistrats et treize fonctionnaires du greffe qui arrivent au palais.
Lors des États Généraux de la Justice, en janvier 2023, le précédent garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti avait promis une augmentation du budget de la justice qui devait se traduire à Nice par "la résorption des vacances de postes et par l’arrivée de quatre magistrats supplémentaires pour le siège, de deux attachés de justice pour le siège et de trois pour le parquet, et de six greffiers à l’horizon 2027" rappelle la cheffe de juridiction.
"Nous souhaitons profondément que ces engagements votés et annoncés le 28 mars 2024 par le garde des Sceaux d'alors, seront exécutés et les engagements tenus. À défaut, l'institution judiciaire sera en difficulté et les espoirs suscités par cette loi de programmation de novembre 2023, fortement déçus".
Alors que ces effectifs supplémentaires en sous toujours au stade de la promesse, le tribunal judiciaire de Nice compte toujours onze postes vacants au service du greffe, ce qui pèse notamment sur les délais de jugement.