Le temps passe et chacun campe sur ses positions. Christian Estrosi vient de dévoiler le projet lauréat du concours paysager et architectural. Martine Bayard, l’ayant droit de l’architecte de l’ensemble culturel dont une partie doit être détruite, saisi les tribunaux. On fait le point.
Rien ne va plus. C’est à un drôle de jeu que se prête la municipalité niçoise persuadée du bien-fondé de son projet. L’extension de 8 hectares sur la coulée verte entraînera de facto la démolition du Théâtre National de Nice.
Le maire de Nice continue d’avancer ses pions comme si de rien n’était et que tout était joué en faveur de son projet. Il est vrai qu’il s’appuie pour cela sur la fréquentation des promeneurs sur ce bout de Paillon recouvert de béton, de verdure et de jeux.
Plus d’1 million de visiteurs profitent chaque année des 12 hectares que constitue ce petit poumon végétalisé. Certes, on est loin des 341 hectares de Central Park à New York et de ses quelque 38 millions de visiteurs chaque année. On est tout aussi loin des 140 hectares de Hyde Park à Londres où d’immenses arbres abritent les écureuils gourmands et font le bonheur de 5 millions de visiteurs.
La présentation du lauréat du concours d’extension de la Promenade du Paillon a eu lieu ce 14 février au 4e étage de La Tête Carrée.
Une vue à 360° sur la future coulée verte de 20 hectares, une fois terminée. Rien n’est laissé au hasard dans la communication du maire de la 5e ville de France. C’est ici qu’un espace dédié au projet sera ouvert afin que les administrés profitent des travaux et de la nouvelle perspective.
Pour Christian Estrosi, le projet de la Promenade du Paillon s’inscrit dans la même logique que la destruction du Casino Municipal et la perspective nouvelle souhaitée par Jacques Médecin en 1979.
Il s’agit de dynamiser l’économie de la Plaine du Var et de repenser une nouvelle offre culturelle et théâtrale sur le territoire niçois.
Nous avions un théâtre qui avait été implanté sur un fleuve pour des raisons de coût du foncier dont les normes ne répondent plus aux critères d’aujourd’hui.
Christian Estrosi
Après avoir comparé son projet à celui de la Comédie-Française qui possède trois salles, il rappelle que le théâtre a déjà programmé des spectacles hors ses murs et, qu’ainsi, les habitants retrouveront autant de grandes scènes que la ville en comptait avant la Seconde Guerre mondiale.
Les projections du maire en termes de retombées économiques (commerçants, hôteliers, propriétaires fonciers et riverains) sont à la hauteur de son enthousiasme pour le projet d’aménagement de la coulée verte augmentée.
Mais il vante surtout le gain en carbone de 1.740 tonnes de CO2 annuel que procurera, dixit, la « vaste forêt urbaine » ainsi que la baisse de 2 à 3° de température de l’air.
1.500 arbres d’espèces méditerranéennes seront plantés, des séquences arbores seront créés, et un cours d’eau sillonnera la coulée verte dans toute sa longueur. « Le parc sera aménagé comme un véritable corridor écologique » a insisté le maire.
Pour Fabrice Decoupigny, conseiller municipal et métropolitain Europe Écologie les Verts «il est impossible de faire une forêt urbaine comme le dit le maire, car le système racinaire des arbres attaquerait les super structures de la couverture en béton du Paillon. Au mieux, ce seront des plantes méditerranéennes avec un alignement de quelques arbres sur le côté, car ils seront hors structures de la couverture béton. Ca ne sera donc pas un puits de carbone. Au contraire ! Par ailleurs, il est faux de dire qu’une reconstruction coûte moins cher qu’une réhabilitation, excepté pour les bâtiments historiques style Notre Dame de Paris.»
Chiffres à l’appui, l’universitaire détaille son analyse
"La production d’1 tonne de béton classique, c’est 800 kg de CO2 par mètre carré", explique Fabrice Decoupigny. La production de carbone oscille entre 500 et 800 kg de CO2 par mètre carré pour toute construction recevant du public, car les structures sont très lourdes. Cela signifie que lorsque le TNN et Acropolis seront détruits, on produira à peu près 300 kg de CO2 par mètre carré de surface-plancher démoli.
C’est énorme. Acropolis, ce sont 38.000 mètres carrés de surface de plancher. Ajoutons près de 100 mille tonnes de gravats, en gros, rien que pour la destruction du palais des congrès, c’est plus de 30 mille tonnes de CO2 qui seront produits. Si l’on ajoute à cela la construction d’un nouveau palais des congrès, le coût total de l’opération est d’environ 45 mille tonnes de CO2. Il faudrait 200 ans pour que le simili foret urbaine ait un bilan carbone positif !"
Même son de cloche pour Juliette Chesnel-Le Roux, élue écologiste :
« Pour planter 280.000 arbres, ce qui est l’objectif de la mairie, il faudrait, avec l’espacement de ces arbres, plus de 150 hectares. Il faut savoir que 1 ha, capte et garde 6 tonnes de CO2 selon le Ministère de l’Ecologie. Cela signifie que pour ces 280.000 arbres, on arriverait à 1.000 tonnes de CO2 capturés et non 200.000 tonnes comme l’annonce Christian Estrosi. J’ignore où il a trouvé ce chiffre. C’est complètement farfelu. »
L'avis de la fille de l'architecte
Martine Bayard est la fille d'Yves Bayard, l’architecte de la Promenade des Arts où, dit-elle, les deux bâtiments forment un ensemble indissociable et ont été construit pour se répondent l’un à l’autre.
D’ailleurs, tient-elle à préciser, un seul et unique permis de construire a été déposé pour ce projet architectural.
La façon de faire du maire de Nice est révoltante pour les Niçois, pour les artistes, pour la culture et pour l’architecture. C’est un mépris très large. Je suis dans l’incompréhension, dans la révolte et l’indignation. Monsieur Estrosi est une personne qui, en tant qu’élu, devrait montrer l’exemple et, qui n’a que mépris pour la culture et l’architecture. Quand je songe qu’il veut faire inscrire Nice au label de Capitale européenne de la Culture en 2028…
Martine Bayard.
Martine Bayard se souvient que son père a construit la technopole de Sophia Antipolis puis celle de Limoges, ESTER, cette dernière en 1993.
« Depuis plus de 10 ans, la seconde technopole que mon père, Yves Bayard, a construit, est labellisée Patrimoine du XXe siècle. C’est un label crée en 1999 par le Ministère de la Culture pour des réalisations architecturales et urbanistiques appartenant au patrimoine culturel considérées comme remarquables. »
Le Collectif Citoyen 06 écrit dans un communiqué à l’issu de la présentation du projet que les propos du maire de Nice sont d’une grande ambiguïté au regard de ses arguments très excessifs : « Il affirme avec emphase que l’extension de 8 hectares du parc urbain contribuera à la création de 70 Hectares de surfaces végétalisés (l’extension n’en représentera que 11%), à la plantation de 280 000 arbres (l’extension n’en représentera qu’environ 3 000, soit 1%) et à la baisse des émissions annuelles de CO2 de 200 000 tonnes (l’extension n’en représentera que 16 tonnes par an, soit 0,008%)."
A Nice, la liste des opposants à ce projet de destruction ne cesse de s’allonger.
«A ce jour, on m’a communiqué que plus de 10 000 personnes ont signé la pétition contre la démolition du Théâtre National de Nice. Il y a une vraie prise de conscience tous partis confondus. On défend une cause commune. Pas une cause politique» affirme avec conviction la fille de l’architecte Yves Bayard.
Action en justice
Pour elle, d’ailleurs, une action en justice était une évidence compte tenu de l’attitude du maire. « Au niveau du droit moral, rien n’a été fait dans les normes. Je dois être prévenue de toute transformation, rénovation etc sur l’œuvre de mon père. »
Maitre Amaury Eglie-Richters intervient sur ce dossier pour le compte de Martine Bayard et pour l’ADPDA-YB, l’Association de défense de la Promenade des Arts-Yves Bayard.
Pour ces deux requérants, il a engagé un recours au fond ainsi qu’un référé-suspension devant le tribunal administratif de Nice à l’encontre de la délibération du Conseil municipal du 10 décembre 2021 approuvant la désaffection et le déclassement du bâtiment abritant le TNN et approuvant la démolition.
Martine Bayard n’en démord pas : "Le projet du maire n’est pas du tout une forêt urbaine, mais un jardin partiellement bordé d’arbres. C’est une imposture. Non seulement le TNN est parfaitement en état de fonctionnement, mais de surcroit, sur le plan écologique, tout ce qui est avancé est faux. Le TNN représente 2 % de sa coulée verte en termes d’arbres qu’il souhaite faire planter. Il y a des intérêts autres qui sont derrière, forcément."
Le recours en référé-suspension sera audiencé ce mercredi 16 février à 10h au tribunal administratif de Nice.
Christian Estrosi a prévu la fin des travaux de réaménagements de la coulée verte et de son extension fin 2025.