Les filets perdus sont des déchets invisibles qui font de nombreux dégâts sur les écosystèmes de la mer Méditerranée. Pour y remédier, de nombreuses associations se sont constituées et des projets émergent pour recycler au mieux ces déchets.
Ils ondulent dans l'eau au gré des courants, ils errent dans les océans. Invisibles en surface, ces filets perdus plus communément appelés "filets fantômes" peuvent se déployer sur plusieurs dizaines de mètres, sur les fonds marins.
Ils agissent comme un piège et continuent à pêcher les espèces marines. Cette problématique est apparue dans les années 60, lorsque les pêcheurs ont remplacé les filets en fibre naturelle par du nylon, soit du plastique. Une matière plus résistante et plus durable dans le temps.
"Un véritable fléau pour les océans"
Chaque année, de nombreux filets sont égarés dans les mers de manière involontaire. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces accidents. "Les filets peuvent rester accrochés aux récifs artificiels et les pêcheurs n'arrivent plus à les remonter. Ils peuvent aussi se perdre lors de tempêtes ou être abîmés et coupés en surface par d'autres bateaux qui ne les voient pas ou qui ne connaissent pas la signalisation", résume Pablo Liger, chargé de mission de Palana, qui a pour but de préserver les écosystèmes marins.
Cette association de plongeurs, basée à Aix-en-Provence s'est constituée en 2016, après avoir découvert l'ampleur des dégâts des filets, lors de leurs sorties en mer. Aujourd'hui, ils interviennent sur toute la région Paca pour récupérer ces filets perdus, "véritable fléau pour les océans", atteste Pablo Liger.
D'après des chiffres de la Commission européenne qui datent de 2018 : les "engins de pêche abandonnés, perdus ou rejetés représentent environ 27% des déchets marins en Europe", soit l'équivalent de 11.000 tonnes de plastique par an. À l'échelle de la planète, 10% de la pollution marine serait provoquée par ces filets abandonnés.
Pollution et dégradation des fonds marins
Les conséquences sur la faune et la flore aquatique sont multiples.
"Les filets continuent de capturer les poissons de manière passive. Ils peuvent aussi racler le fond et arracher des posidonies, des herbes marines protégées, des gorgones et tout autre spécimen fixé sur des rochers", détaille le chargé de mission de l'association Palana.
Cela a aussi d'autres impacts indirects, des algues poussent sur les filets qui recouvrent des roches "comme des draps" et cela obstrue l'entrée où la sortie d'animaux qui y vivent comme la murène, la langouste et autres crustacés. Sans compter que le filet de nylon se dégrade sous l'eau et engendre des micro-particules de plastique qui polluent.
Palana, comme d'autres associations : Sea Shepherd ou encore Depth's Guards interviennent pour les enlever.
Pour cela, l'association de Pablo Liger a mis en place un dispositif pour signaler les filets sur son site internet, via le remplissage d'un questionnaire ou un appel qui permet de localiser géographiquement le filet, de connaître sa profondeur mais aussi sa taille.
L'Institut Méditerranéen d'Océanologie de l'Université d'Aix-Marseille a aussi créé un réseau de surveillance des fonds marins appelé GHOST MED, pour signaler les filets perdus en Méditerranée.
Une intervention quasiment toutes les semaines
Une fois toutes ces informations en tête, Palana peut aller sur place. L'association effectue des interventions quasiment chaque semaine. Une première plongée est nécessaire pour repérer les lieux et l'ampleur des dégâts. Pablo Liger ajoute : "il arrive parfois, même si c'est très rare, qu'on décide de ne pas retirer le filet, car il sert d'habitat".
Ensuite, en petit groupe, les plongeurs descendent à plusieurs mètres de profondeur, jusqu'à 50 m, pour décoincer et démêler le filet sans trop abîmer les spécimens qui s'y trouvent.
Un véritable casse-tête qui peut durer de longues heures espacées en plusieurs plongées de trente minutes, pour des questions d'autonomie d'oxygène. Il y a quelques années, ils ont dû par exemple effectuer quinze plongées successives pour un filet de plus de 500 mètres bloqué dans la calanque de Sormiou.
C'est dangereux parce qu'on peut aussi se coincer dedans, on a toujours du matériel coupant sur nous au cas où
Pablo Liger, chargé de mission de Palana.
Une fois le filet extirpé, il est renvoyé à la surface grâce à des parachutes de levage et remonté sur le bateau. Lorsqu'il s'agit d'un très gros filet, des pêcheurs peuvent venir les aider, car le poids peut être très lourd, certains sont au fond de l'eau depuis des dizaines d'années...
La semaine prochaine, c'est une autre mission qui les attend à Saint-Tropez où plusieurs zones comportant des filets leur ont été signalées.
Un recyclage pas si simple
Une fois récupéré, en fonction de l'état des filets, ils peuvent être susceptibles d'être recyclés. Mais la plupart du temps, les filets fantômes doivent être jetés, car ils sont entremêlés d'organismes vivants, d'algues calcaires, de sable...
" Malheureusement, cela demanderait énormément de nettoyage. Se pose la question quand on recycle, surtout dans le contexte actuel, d'un recyclage énergivore et d'un processus compliqué qui nécessite énormément d'eau pour laver les filets", explique Manu Laurin, fondateur de Sauvage Méditérannée, qui recycle les déchets sur le littoral méditerranéen.
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En collaboration avec d'autres associations comme Palana, qui collectent les déchets, il les récupère pour leur donner une seconde vie. Voiles de bateaux, verres polis, bouchons et filets en bon état sont transformés. "On fait des sacs cabas, des plaques, des bijoux. Le plastique est aussi fondu et mis dans des moules pour en faire divers objets", énumère-t-il.
Il existe quelques initiatives de réutilisations pour les filets de pêche fantômes, mais elles sont limitées.
Certains artistes décident aussi de les réutiliser pour de futures œuvres art.