Les boulangers azuréens ne décolèrent pas après deux ans d'une inflation tous azimuts consécutive à la guerre en Ukraine. La nouvelle hausse des prix de l'électricité annoncée par le ministre Bruno Le Maire pousse le boulanger niçois, qui avait organisé il y a un an jour pour jour une manifestation à Paris, à envisager de battre à nouveau le pavé.
Les boulangers azuréens savent donner de la voix lorsque leur pain quotidien subit les conséquences de l'inflation. Il y a deux ans, Frédéric Roy avait été l'un des premiers à se faire entendre et appeler à la contestation.
Ce mardi 23 janvier marque l'anniversaire de la manifestation qu'il avait appelée de ses vœux à Paris, contre l'inflation qui touche le coût de l'énergie et des matières premières.
Deux jours après l'annonce d'une nouvelle hausse due à un rattrapage de la taxe intérieure de consommation finale sur l'électricité (TICFE), le Niçois ne décolère pas.
À partir du 1ᵉʳ février, "les prix de l'électricité vont augmenter pour les professionnels et les particuliers de 9,8 % sur les tarifs heures pleines et heures creuses, et 8,6 % sur les tarifs de base" dixit le ministère de l'Économie et des Finances.
De 800 à 2 500 euros
Parmi les professionnels déçus et en colère après cette annonce, il y a Frédéric Roy, l'un des boulangers parmi les plus loquaces, et des plus médiatiques, aussi, sur le plan local comme national.
L'année passée, le 23 janvier 2024, il faisait descendre ses confrères dans la rue, à Paris, où plusieurs milliers d'entre eux avaient répondu à l'appel du "Collectif pour la Survie des Boulangeries et de L’ Artisanat".
Cette nouvelle, il l'accueille "très mal, puisqu'elle est à la hausse, et nous nous attendions à une baisse".
Depuis deux ans, il ne cesse de guetter l'annonce d'une déflation, à son grand regret. "Quand on va vu nos factures multipliées par trois, ce qui est mon cas personnel, et dans certains cas multipliés par 4 ou 5, on s'est dit que ce serait momentané. Or, au lieu d'avoir une baisse, on nous annonce encore une hausse. Certes, moins grande que celle de l'année dernière, mais nous attendions une baisse. Surtout lorsque l'on connait le coût de production de l'énergie et du mégawatt en France, et le prix auquel on nous le revend. C'est inacceptable et incompréhensible" tempête l'artisan du centre-ville niçois.
En deux ans à peine, sa seule facture d'électricité est passée de "800 à 2500 euros" par mois. Un coût supplémentaire, alors que la farine et le beurre ont connu une hausse significative sur la même période.
Ces deux produits ont connu l'inflation l'an passé, "et là, on est toujours au même prix. Le prix du blé a baissé à la bourse, mais pas le prix de la farine."
10% de hausse pour le client
En l'espace de deux ans, "la baguette de pain est passée à 1 euro 10, alors qu'elle était à un euro" chez cet artisan boulanger. Même augmentation pour le croissant.
Un chiffre au-delà duquel Frédéric Roy ne souhaite pas aller, de peur de perdre sa clientèle.
C'est difficile d'augmenter plus nos tarifs, car on a une grosse concurrence à Nice avec les chaines de boulangerie et autres, on ne peut pas mettre les prix dont on a envie. En tout cas, on n'a pas pu répercuter sur le prix de vente l'inflation que l'on a subie.
Frédéric Roy, artisan boulanger à Nice
Pour s'en sortir, Frédéric Roy enchaine les économies de bout de chandelles : "Il y a un emploi que j'aurais dû créer, mais je n'ai pas pu. Il y a du matériel que j'aurais dû changer, et bien je ne le change pas malgré la vétusté. On essaie de tirer au maximum sur d'autres postes de dépenses."
L'artisan niçois n'en oublie pas pour autant son rôle d'employeur et, malgré tout, va faire un effort pour ses salariés.
À côté de ça, j'ai deux employés, j'entends aussi leur donner une petite augmentation de 100 euros net à chacun à partir de fin janvier, parce qu'eux aussi subissent l'inflation.
Frédéric Roy, artisan boulanger à Nice
"Il va falloir trouver des solutions, la situation n'est pas tenable en l'état. Je suis obligé de ratiboiser tout un tas de dépenses, mais pendant encore combien de temps ? On n'en voit pas la sortie", lâche-t-il dans un soupir après cette litanie de difficultés.
Rattrapage budgétaire
Cette hausse souhaitée par le gouvernement est une forme de rattrapage assumé par Bercy. Il y a deux ans, le bouclier tarifaire avait permis de réduire à peau de chagrin la TCIFE, la taxe intérieure de consommation finale de l'électricité. Elle était alors bloquée à 1 euro du mégawattheure, contre 32 euros auparavant.
Ce 1ᵉʳ février, l'écart va se resserrer entre ces deux tarifs, et grandement, au détriment des professionnels et des particuliers, pour atteindre 21 euros par mégawattheure. Bercy va ainsi récupérer 9 milliards d'euros. Pour "une boulangerie au TRV (consommation d’électricité de 90 MWh, offre TRV HPHC)" détaille le site du ministère installé sur les bords de Seine, ce sera une augmentation de "+116 euros/mois".
Pour Frédéric Roy, ce sera une hausse qu'il évalue autour de "5, 6, 7 ou 8 % cette année".
Du pain et des Jeux
L'inflation continue. Les Jeux olympiques arrivent et la grogne de certains professionnels, artisans et agriculteurs, pourrait s'inscrire dans la longueur. Une crainte pour le gouvernement qui verrait d'un très mauvais œil que la dernière ligne droite avant Paris 2024 soit malmenée par un nouveau mouvement social d'ampleur.
Pour Frédéric Roy, "il va falloir rejoindre les agriculteurs dans la rue" si les boulangers veulent se faire entendre, alors que les manifestations gagnent plusieurs régions en France. Certains confrères de l'artisan niçois ont déjà rejoint le mouvement dans le Sud-ouest ous confie-t-il.
C'est pour cela que des rendez-vous se profilent. Gilles Butto, président de la Fédération Boulangerie-Pâtisserie des Alpes-Maritimes, se rend ce mardi 23 janvier à Paris. "Il y a le Salon européen où je vais rencontrer le président de la boulangerie nationale pour lui faire part de nos inquiétudes" débute-t-il.
Cette problématique, "on s'en était déjà inquiété, et on avait pris un courtier en énergie. On a des prix bloqués pour pas mal des gens de notre fédération jusqu'en 2025. Pour autant, ce n'est pas le cas de tout le monde, on ne laisse personne sur le carreau."
Gilles Butto préside également la Chambre des métiers et de l'artisanat du département. "On a une agente qui est chargée d'accompagner les professionnels qui ont ce type de problèmes avec l'électricité. Aujourd'hui, c'est vrai que la levée du bouclier tarifaire, elle est inquiétante, on reçoit beaucoup d'appels" précise-t-il.
Au total, ce sont quelque 58.000 artisans maralpins qu'il représente. S'il concède des efforts à faire du côté de "l'utilisation que l'on fait d'un fournil, ce qui peut réduire d'environ 20 % sa consommation", il avoue que de nouvelles pratiques ne sont pas pour autant suffisantes pour être épargné par la hausse des tarifs.
Il ne faut surtout pas que les artisans soient au bout du rouleau pour nous solliciter. On peut aller chercher des aides, on peut aller voir l'Urssaf... On va faire part de tout ça au gouvernement, il faut que l'on trouve des solutions.
Gilles Dutto, président de la Fédération Boulangerie-Pâtisserie du 06 et de la Chambre des métiers et de l'artisanat dans les Alpes-Maritimes
Cette difficulté conjoncturelle s'ajoute au remboursement des PGE - les prêts garantis par l'État lors de la crise Covid - qui ont été un gain pour certaines entreprises, aujourd'hui devenu fardeau. Les défaillances de certaines entreprises augmentent, entre cessations de paiements et faillites.
Pour sauver toutes les facettes d'un savoir-faire si particulier, le gouvernement risque de mettre la main à la poche, alors que la France vient tout juste de remporter la Coupe du monde 2024 de la boulangerie, 16 ans après le dernier titre des boulangers tricolores. Pour d'autres professionnels du secteur, la coupe est, elle, déjà bien pleine.