Procès de l'attentat de Nice : l'accusé Chokri Chafroud sème le doute sur son emploi du temps le soir du 14 juillet 2016

Toute la journée du jeudi 10 novembre du procès de l'attentat de Nice était consacrée à l'interrogatoire de l'accusé Chokri Chafroud sur les faits qui lui sont reprochés. Ce retour difficile dans ses souvenirs fait douter la cour, l'avocat général et les avocats des parties civiles de l'honnêteté de ses propos.

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Chokri Chafroud, accusé d'association de malfaiteurs terroriste au procès de l'attentat de Nice, a répondu aux questions de la cour d'assises spéciale et des avocats pendant plus de neuf heures, ce jeudi 10 novembre. Lors de cette longue journée d'interrogatoire, de nombreuses contradictions ont été soulevées et des parts d'ombre demeurent, notamment sur son emploi du temps du 14 juillet dans la soirée.

Chokri Chafroud a rencontré Mohamed Lahouaiej-Bouhlel peu après son arrivée en France en 2015. Il ne se souvient plus s'il l'a rencontré durant l'été ou plus tard dans l'année. Les deux hommes se sont rapprochés parce qu'ils étaient tous les deux tunisiens. Ils prenaient des cafés, se baladaient et Chokri Chafroud demandait souvent de l'aide à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel pour lui trouver un logement. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a toujours refusé de l'héberger mais il l'avait mis en contact avec Mohamed Ghraieb qui pouvait l'aider à trouver un colocataire.

Pour Chokri Chafroud, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel était une "personne bien élevée", "un individu normal, un copain normal". L'accusé se souvient de quelques épisodes étranges comme le jour où il lui a donné rendez-vous place Garibaldi à Nice, lui a demandé de prendre une photo ensemble et est reparti aussitôt. Il se souvient aussi qu'il arrivait à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel de commencer ses phrases, sans les finir. Une habitude dont Roger Battesti, ami et amant du terroriste, avait également fait mention lors de son témoignage.

Humour tunisien

En janvier 2016, Chokri Chafroud est parti pour quelques mois en Tunisie car il ne trouvait pas de travail en France. Durant ces mois en Tunisie, les deux hommes s'entretenaient très régulièrement et en longueur sur la messagerie Facebook. Parmi ces très nombreux échanges, les enquêteurs ont relevé des messages particulièrement violents de la part de Chokri Chafroud. Il écrit notamment "niquer les têtes avec une épée", "égorger les Tunisiens", "je vais niquer Masséna" ou encore, il se surnomme lui-même "le plus grand assassin de France"

Questionné sur ces propos violents, Chokri Chafroud répond qu'il s'agissait pour lui "d'une façon normale de parler, de rigoler" mais il ne se souvient pas exactement de pourquoi il avait dit ces choses-là à l'époque.

Le président l'interroge également sur le message du 4 avril 2016, envoyé sur Facebook : "charge le camion de 2000 tonnes de fer et nique coupe lui les freins mon ami et moi je regarde". "Pouvez-vous expliquer ce que vous avez voulu signifier à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ?", demande le président de la cour, Laurent Raviot. L'accusé répond qu'il avait envoyé ce message parce que son ami, conducteur de camion, se plaignait souvent de son travail. "Je voulais couper court à cette conversation qui se répétait tout le temps", explique-t-il. 

"Si il en a marre de son travail, on dit arrête ton travail, rétorque Laurent Raviot. Là, on lui dit d’utiliser son outil de travail pour faire du mal." "Je ne voulais pas dire cela", dit l'accusé.

Et sur les freins coupés ? "C’est de la blague à la tunisienne", répond-il. 

Des contradictions lors de la procédures pointées du doigt

Chokri Chafroud est notamment soupçonné d'avoir aidé le terroriste dans ses recherches d'armes. Il s'en défend. Un jour, alors que Chokri Chafroud devait 100 euros à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, ce dernier lui propose 200 euros de plus s'il lui trouve une arme. "Il m’a dit qu’il s’en servirait pour décorer sa maison", indique Chokri Chafroud à la cour.

Spontanément lors de sa première garde à vue, l'accusé avait indiqué qu'il s'était rendu au marché de l'Oued à Nice pour trouver une arme, qu'il avait trouvé un revendeur et qu'ils devaient aller la chercher ensemble ensuite. Plus tard dans la procédure, il était revenu sur ces propos et avait indiqué qu'il n'avait rencontré personne mais qu'il avait laissé croire à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel qu'il avait recherché cette arme. 

Lors de son interrogatoire devant la cour, Chokri Chafroud maintient cette version : "Je n'ai parlé avec personne". L'accusé explique qu'il avait "très peur" lors de sa première garde à vue, ce qui l'avait amené à mentir. "Tout était confus pour moi", ajoute-t-il.

Le président et l'avocat général soulignent que malgré une confusion et une peur de la police qui peuvent s'entendre, il est difficile de comprendre pourquoi quelqu'un s'incriminerait davantage spontanément devant la police, à moins de dire la vérité.

"Pour moi, il s'agissait d'un camion de travail"

Chokri Chafroud est accusé d'avoir participé aux recherches concernant la location du camion qui a servi à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel pour commettre l'attentat du 14 juillet 2016. Il nie complètement avoir été au courant de cette location. Pourtant, l'accusé a été destinataire d'un sms faisant mention de l'agence location Ada, située près de la gare de Nice. Il explique ne pas avoir compris ce sms.

Comment pouvez-vous être sûr de ne ça, alors que vous n'êtes pas sûr du reste ?

Avocat général

Par ailleurs, le 12 juillet, Chokri Chafroud est monté à bord du camion loué par le terroriste pour l'attaque. "Je savais qu’il était chauffeur de camion, pour moi, il s’agissait d’un camion de travail", explique Chokri Chafroud. 

Ce jour-là, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a appelé Chokri Chafroud pour aller faire un tour. "Une fois à bord, j’ai vu qu’il parlait tout seul, il disait des choses incompréhensibles, il était énervé", raconte-t-il. Il lui demande alors de descendre du camion et Mohamed Lahouaiej-Bouhlel s'énerve - "il s’est mis à taper sur le volant" - avant de le laisser finalement descendre quand Chokri Chafroud a mentionné la police. "Il ne me regardait même pas quand je suis descendu", dit-il à la cour.

Des souvenirs flous du 13 et 14 juillet

L'accusé fait partie des dernières personnes à avoir pu s'entretenir avec le terroriste avant son passage à l'acte. La cour attendait donc de lui qu'il puisse l'éclairer sur les dernières conversations qu'ils avaient eu. Toutefois, Chokri Chafroud n'a que très peu de souvenirs de leurs dernières entrevues.

Le 13 juillet au soir, les deux amis se sont rencontrés près de l'Acropolis. Une photo montrant les deux hommes faisant un doigt d'honneur en atteste. Lorsqu'il est mis en garde à vue en juillet 2016, Chokri Chafroud dit d'abord qu'il n'a pas vu Mohamed Lahouaiej-Bouhlel depuis 10 jours. Puis, lorsqu'il est mis devant les preuves que cela est faux, il dit ne pas se souvenir des sujets qu'ils avaient abordé ce soir-là. Alors six ans plus tard, forcément, les souvenirs ne sont pas plus nets.

"Honnêtement, je ne me souviens pas de ce qu'on s'était dit", déclare l'accusé. Il se rappelle avoir rigolé avec lui et fumé des cigarettes mais rien de plus. 

Concernant son emploi du temps du 14 juillet au soir, Chokri Chafroud n'est pas beaucoup plus prolixe. Pourtant, le président de la cour pousse l'interrogatoire pour tenter de le faire parler au maximum. D'après les bornages de son téléphone, il a été possible d'établir que Chokri Chafroud s'était rendu dans le vieux-Nice après son travail. Il dit avoir assisté au défilé militaire sur la Promenade des Anglais et avoir bu une bière "au bord de la mer".

Après des appels manqués allant de Chokri Chafroud vers Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et inversement, Chokri Chafroud reçoit un sms de son ami à 20h29 : "Je suis sur la Prom viens je te passe... C pour.. 159"

Les enquêteurs de la sous-direction anti-terroriste ont expliqué plus tôt dans le procès qu'il était impossible de confirmer que les deux hommes s'étaient vus à ce moment-là mais qu'il étaient aussi impossible de dire qu'ils ne s'étaient pas vu.

"Vous n'êtes pas loin donc une rencontre est possible. Elle n'est pas prouvée mais c’est possible. Vous ne l’avez pas rencontré ce soir-là ?", demande Laurent Raviot. "Je ne me souviens pas l’avoir vu ce soir-là", répond Chokri Chafroud. "Quand vous dites "je me souviens plus", ça me laisse entendre que vous l’avez rencontré. Il faut être sérieux M. Chafroud", lui répond le président de la cour.

Laurent Raviot émet l'hypothèse que c'est de l'argent que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel doit "passer" à Chokri Chafroud. En effet, Mohamed Ghraieb vient d'acheter la voiture de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel pour 2000 euros et ce dernier a également retiré plusieurs centaines d'euros au distributeur. Pourtant, cette somme d'argent ne sera jamais retrouvée. Ni sur le terroriste dans le camion, ni à son domicile.

"Il ne m’a pas donné d’argent, je ne l’ai pas rencontré", conteste l'accusé. 

Pourtant Laurent Raviot explique que cela pourrait être logique pour Mohamed Lahouaiej-Bouhlel de donner de l'argent à Chokri Chafroud car dans deux sms adressé à un autre accusé, le terroriste disait la chose suivante : "Salam Ramzi, je suis passé tout à l'heure au taxiphone 16 rue Marceau je t'ai pas trouvé. Je voulais te dire que le pistolet que tu m'as donné hier c'est très bien, alors on ramène 5 de chez ton copain, 7 rue Miollis, 5è étage. C'est pour Choukri et ses amis." et "Ils sont prêts pour le mois prochain".

Le président semble insinuer que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel aurait pu vouloir donner l'argent à Chokri Chafroud pour qu'il se charge de récupérer les cinq pistolets dont il est question dans ce message pour lui et "ses amis". "Je ne sais pas comment l’interpréter, je n’ai pas la moindre idée concernant ce message", assure l'accusé. 

"Comment Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a-t-il pu pensé que les armes dont il passe commande à Ramzi Arefa vous sont destinées et que vous êtes prêts pour le mois prochain ?", reformule Lauren Raviot. "Je ne sais pas quelle idée il avait dans sa tête", appuie Chokri Chafroud. 

Le président insiste : alors si il ne l'a pas rencontré, pourquoi n'a-t-il pas répondu au sms l'invitant à le rejoindre par la négative ? "Je ne me rappelle pas si je l’ai rencontré, je ne l’ai pas rencontré normalement du tout." Lorsque l'avocat général lui repose la question sur cette rencontre, l'accusé finit par déclaré clairement : "Je ne l'ai pas rencontré."

Avec ces déclarations qui évoluent au fil de l'audience et les souvenirs flous des accusés, le sentiment que toute la lumière ne sera jamais faite sur cette affaire se renforce sur les bancs de la salle.

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