En fin de semaine, un homme, Roger, et deux femmes, E. et D., sont venus témoigner devant la cour d'assises spéciale en charge du procès de l'attentat de Nice. Ils ont tous les trois entretenu des relations amicales et amoureuses avec l'auteur de l'attaque du 14 juillet 2016. Avec eux, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel n'était pas violent, "bien au contraire".
"La personne que j’ai connue n'était pas du tout ce monstre barbare du 14 juillet", s'empresse de dire E., entendue en visioconférence ce vendredi 28 octobre au procès de l'attentat de Nice, dès le début de son témoignage. Devant la cour, jeudi 27 et vendredi 28 octobre, se sont succédé trois personnes qui ont connu Mohamed Lahouaiej-Bouhlel dans un cadre amical puis amoureux. Leur portrait du terroriste qui a tué 86 personnes en fonçant sur la Promenade avec un camion est bien différent des témoignages précédents.
D'amis à amants
Roger a connu Mohamed Lahouaiej-Bouhlel en 2010, six ans avant les faits. Ils se sont rencontrés à la salle de sport. Alors que Roger demandait à un homme de lui céder sa place pour utiliser une machine de musculation, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, situé à côté, lui lance le regarde "avec des yeux de kalashnikov, un regard méchant". Roger est interloqué par cet échange de regard. Peu après, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel vient le voir et lui dit qu'il a bien fait de faire bouger ce monsieur qui occupe trop longtemps les machines. A partir de là, nait une amitié entre Roger, alors âgé de près de 70 ans, et Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, 25 ans.
Les deux hommes se voient presque tous les jours à la salle de sport. Rapidement, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel présente son épouse Hajer K. à Roger. Il vient parfois dîner chez eux, il les invite au restaurant... Quand Roger apprend que Mohamed Lahouaiej-Bouhlel se montre "agressif avec sa femme", il se rend à leur domicile pour "l'engueuler". Le mari voit Roger comme son "mentor", une autorité paternelle, il l'écoutait "avec respect" et Roger pouvait le guider dans ses décisions. Ainsi, Roger aide le couple à se réconcilier plusieurs fois.
Mais en plus d'être son "cher ami", comme il l'appelait tout le temps, Roger était aussi l'amant de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. "On doit rentrer dans ce sujet aussi ?", demande Roger à la barre, visiblement embarrassé. Un jour, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel demande à son "cher ami" de regarder son sexe parce qu'il pourrait avoir une infection sexuellement transmissible. Il voit Roger comme un expert car celui-ci a tenu un sauna gay à Paris pendant des années où "les gens se confiaient", détaille Roger. Ce jour-là, il a senti que c'était un homme "qui pouvait succomber à un autre homme". S'en suit une relation de quatre ans mêlant amitié et ébats amoureux. "J’ai arrêté parce que l’amitié était belle, explique Roger, le reste ne m’intéressait plus."
Les deux hommes sont restés amis jusqu'en juillet 2016. Roger fait des cadeaux à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel : il lui donne une voiture, l'aide pour passer le permis poids lourd.
La veille de l'attentat, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel vient boire un café chez lui.
Depuis quelques temps, il était plus comme avant, un peu ailleurs. Je rigolais toujours avec lui, je le taquinais, il avait toujours un petit sourire, il était content... Mais là, depuis quelques temps, c’était terminé. Il me disait "C’est rien, cher ami". Je lui demandais si c'était à cause du divorce, mais non. Je n'en ai pas su plus.
Roger, ami de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel
Roger qui l'a fréquenté pendant de nombreuses années parle aussi de certaines "bizarreries" qu'il a vues chez Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Il s'explique : "Parfois, il parlait et d'un coup il s'arrêtait. Il mélangeait un sujet avec un autre... C'est arrivé plus d'une fois, ça n'allait pas bien là-dedans."
A plusieurs reprises, Roger sous-entend qu'il doutait de sa bonne santé mentale. Un jour, alors que le vent soufflait fort à Nice, les deux hommes voient les personnes sur la plage mises en difficulté par l'eau qui monte rapidement. "Je le vois sauter de joie devant les dégâts", se souvient Roger. "Un peu comme un fou", ajoute-t-il.
"Sympa, souriant, toujours de bonne humeur"
Mais pour Roger, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est avant tout une personne "timide, très réservée, calme". Même son de cloche chez E., une femme qu'il a rencontré en cours de salsa et avec qui il a eu quelques relations sexuelles entre 2012 et 2014, puis une dernière fois, au début du mois de juillet 2016. "C'était quelqu'un de sympa, souriant, toujours de bonne humeur", dit-elle à la cour.
Quand on lui parle d'agressivité ou de violence, des traits de caractère décrits par sa famille et son ex-épouse, elle dit qu'avec elle, il était "tout l'inverse". "Si j’avais pensé qu’il était pervers et dangereux je ne l’aurais pas côtoyé", insiste-t-elle. Le seul défaut qu'elle lui connaît : son côté dragueur, "très lourd" avec les femmes. "Il proposait à tout le monde d’aller dans des saunas et des boites échangistes", détaille-t-elle.
D. a aussi le "souvenir d’un homme gentil et réservé qui ne se faisait pas remarquer". Rencontré dans un cours de danses latines, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est devenu son amant d'avril 2015 jusqu'à l'attentat. Quelques semaines avant le 14 juillet, elle avait "moins de nouvelles" car elle voulait s'éloigner de lui. Elle parle d'un "homme calme" qu'elle n'a "jamais vu en colère" ni avec "un comportement inapproprié". Comme E., elle le voyait comme "sympathique, de bonne humeur, souriant, agréable". Elle non plus, n'a jamais vu de bizarrerie, ni d'accès de violence.
Malgré cette "bonne humeur", l'homme lui paraissait aussi "malheureux, pas très à l’aise dans sa vie, assez solitaire". "Il faisait de la peine", dit-elle. Pour Roger, c'était aussi quelqu'un de "très influençable". "On pouvait lui faire faire n'importe quoi, il était faible d'esprit", dit-il.
C'était d'ailleurs quelque chose qui inquiétait Roger. Lorsque Mohamed Lahouaiej-Bouhlel lui avait dit que son oncle lui parlait "toujours de l'islamisme", Roger lui avait demandé de "faire attention" à ne pas se faire "détourner". Il lui aurait répondu : "Non, ne t'inquiète pas mon cher ami, moi, ma vie, c'est de faire l'amour."
Pourtant un jour, alors que Roger rend visite à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, celui-ci lui montre des vidéos violentes, probablement de la propagande de Daesh. Ce sont des vidéos où l'on voit un prisonnier empalé et des décapitations. Roger, effaré, lui demande comment il peut regarder "ces choses-là". "Oh, je suis habitué", rejoue Roger devant la cour en haussant les épaules. "Cela ne vous interroge pas ? En tant que figure paternelle, vous ne vous dites pas que ce n'est pas normal qu'il regarde ça ?", demande l'avocat général. "Je ne trouve pas ça normal, mais c’est sa vie", répond Roger, l'air abattu.
Ces témoignages pourraient étayer l'hypothèse d'une double personnalité chez Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et donc des problèmes psychiatriques chez le terroriste. Cette question est au cœur des débats car elle permettrait de potentiellement remettre en cause l'aspect islamiste de l'attentat. Toutefois, pour l'accusation, il n'y a "aucun élément objectif du dossier en faveur d'une pathologie psychiatrique avérée".