Procès en appel de l'attentat de Nice : "Je ne suis pas dans la tête de Bouhlel", se défend Chokri Chafroud

Longuement interrogé par la cour d'assises spéciale d'appel ce 31 mai, l'accusé Chokri Chafroud s'est défendu d'avoir inspiré au terroriste son mode opératoire lors de l'attentat de Nice. Le Tunisien de 45 ans avait échangé avant le 14 juillet 2016 de nombreux messages suspects avec l'auteur des faits, dont certains très violents et mentionnant des camions.

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Dans le box, il répond par de courtes phrases, souvent par "oui" ou par "non" en arabe.

Interrogé par la cour d'assises spéciale d'appel ce vendredi 31 mai, Chokri Chafroud s'est révélé bien moins bavard que dans ses échanges fleuris sur Facebook avec Mohamed Lahouaeij-Bouhlel, le futur auteur de l'attentat de Nice (Alpes-Maritimes) du 14 juillet  2016. Les enquêteurs ont relevé de nombreux messages tantôt violents, tantôt obsènes, émis par Chafroud.

"Nique avec l'épée, nique avec force. Je nique leurs têtes (sic)", répond Chokri Chafroud lorsque Lahouaiej-Bouhlel lui propose un rendez-vous place Garibaldi à Nice en mars 2016.

"Vous vous décrivez vous-même comme un assassin ?", interroge Christophe Petiteau, le président de la cour d'assises spéciale. "Oui", répond simplement l'accusé tunisien de 45 ans, assisté d'un traducteur en arabe. "Ces mots crus sont des éléments qui vous mettent en accusation. Il faut vous expliquer Monsieur !"

Oui, j'ai commis une erreur, j'ai utilisé des mots que je n'aurais pas dû utiliser. J'étais énervé, en colère. J'ai utilisé ces mots, mais pas l'intention qui va avec.

Chokri Chafroud, accusé

devant la cour d’assises spéciale d’appel

Cette réponse, Chokri Chafroud va la fournir à de nombreuses reprises, presque à chaque question portant sur un message controversé. "Nique Masséna (...) Je vais niquer tous les Tunisiens, je vais les niquer ces riches fils de putes. Je vais massacrer et égorger leurs chattes (sic)", écrit-il en mars 2016 à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, après avoir "été en colère" contre "un Tunisien qui était à Masséna", dit-il.

Insultes et vulgarité

"Jai envie de réaliser mon rêve et de monter dans le tram à Masséna. J'ai envie de travailler à Masséna le samedi soir", lit le président Christophe Petiteau. "Pourquoi ce rêve ? - Je ne sais plus."

Et le président de reprendre chaque échange en détails : "'J'ai envie que mon nom marque l'histoire car j'ai une grosse bite (sic)' - Est-ce vous envisagiez de vos prostituer à Masséna ? - Non. Je ne me rappelle pas de cette conversation."

À propos du président tunisien de l'époque, Béji Caïd Essebsi, et de son homologue français, François Hollande, Chokri Chafroud affirme sur Facebook : "Lui baiser le cul, lui baiser sa mère. L'autre, je lui nique et lui massacre le cul, et même mort je le baise". "Je ne sais pas pourquoi on a écrit des choses pareilles. Les hommes, vous savez, on parle comme ça entre nous", répond l'accusé.

Chacune de ces sorties graveleuses semble laisser Mohamed Lahouaiej-Bouhlel hilare, comme en témoignent les émojis qu'il utilise en réponse.

Des fantasmes autour de camions

Selon l'accusation, Chokri Chafroud pourrait avoir, par ses messages, inspiré à Lahouaiej-Bouhlel son mode opératoire le 14 juillet 2016. Rentré temporairement en Tunisie en mars 2016, l'accusé dit s'être senti "humilié" par la situation de son pays natal. Il raconte à son interlocuteur qu'il ne trouve pas de travail à Sousse, mais qu'il y a un "graaaaand camion".

Le 20 mars, il écrit "Boujaafar [un plage de Sousse, ndlr] est rempli de connards, avec des semi-remorques pleins de ciment pour rentrer dans le cul de leurs mères".

Je ne travaillais pas, il faisait chaud, c'était la misère. À la plage, il y avait du monde. Je lui ai dis 'prends un camion et rentre-leur dedans'. Tout me dégoûtait : la chaleur, les gens avec leurs belles voitures. J'ai utilisé des mots qu'il ne fallait pas que j'utilise. Je n'imaginais pas la portée de ce que je disais. (...) Il n'y a pas de justice dans la vie, ils ont tout. Et ce sont ces mêmes personnes qui se plaignent.

Chokri Chafroud, accusé

devant la cour d’assises spéciale d’appel

L'accusé assure au président qu'il aurait "une image qui ne me laisse pas tranquille et qui trotte dans [sa] tête, avec un camion". Un autre message du 4 avril 2016, toujours signé Chafroud et destiné à Lahouaiej-Bouhlel, propose la chose suivante : "charge le camion de 2.000 tonnes de fer et nique, coupe-lui les freins mon ami et moi, je regarde".

"Je ne me souviens plus où j'étais quand j'ai envoyé ce message. C'était très difficile en Tunisie à cette époque, j'étais en colère contre moi. (...) J'avais les idées noires", répète l'accusé tunisien.

Pourquoi évoquait-il ces idées avec l'auteur de l'attentat ? "C'est la seule personne en France qui parlait encore avec moi quand j'étais en Tunisie. (...) Pour moi, il s'agit d'un chauffeur de camion donc je lui parle avec son language", répond le quadragénaire à la cour. Jamais, au cours de son interrogatoire ce 30 mai, l'accusé n'évoque le traumatisme d'enfance - la mort d'un ami renversé par un camion - qu'il relatait en début de procès.

Une relation ambigüe avec le terroriste

Né en 1979 en Tunisie, Chokri Chafroud a émigré en Italie en 2006, puis en France à Nice en août 2015. Très vite, il rencontre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel en fréquentant le café "Le Gaulois". "Il m'a aidé. On prenait des cafés ensemble, des sandwiches, il me les payait", raconte l'accusé. "C'était lui qui me contactait. (...) Il m'appelait beaucoup, on se voyait surtout les samedi et dimanche. On ne se voyait pas la semaine car j'avais du travail, lui aussi."

Pourquoi Chokri Chafroud se trouve-t-il, faisant un doigt d'honneur, en fond d'écran du téléphone du terroriste retrouvé dans le camion le soir du 14 juillet ? "Je ne sais pas pourquoi", répond-t-il. "Il prenait beaucoup de photos. Et quand il proposait, je n'avais pas envie de le vexer, alors je disais oui. [Le doigt d'honneur,] ça peut être pour rigoler, se moquer de quelqu'un en particulier."

Ce camion, il est invité à y monter quelques jours avant le drame, comme son co-accusé Mohamed Ghraieb. Chafroud raconte un court voyage le 12 juillet où Mohamed Lahouaiej-Bouhlel lui propose "de faire un tour", s'énerve devant son refus et le dépose, furibond, au premier feu rouge.

Le lendemain soir, Chokri Chafroud est l'une des dernières personnes à voir le terroriste vivant. "On fumait des cigarettes, on prenait des photos. Mais il n'y avait rien. (...) Moi non plus, je n'ai rien vu venir", raconte l'accusé, en accord avec son compagnon de box.

Il reste cependant interrogatif quant au fameux dernier SMS envoyé par Lahouaiej-Bouhlel le mentionnant et ayant permis son identification par la police : "Salam Ramzi, je suis passé tout à l'heure au taxiphone 16 rue Marceau. Je t'ai pas trouvé Je voulais te dire que le pistolet que tu m'as trouvé est très bien. Alors, ramène-en cinq de chez ton copain (…). C'est pour Chokri et ses amis". Il ignore pourquoi il y est mentionné.

Le président partage une observation : dans ses échanges électroniques avec Chokri Chafroud, le futur auteur de l'attentat ne semble pas adhérer aux "idées noires" et propos radicaux de son interlocuteur, même s'il paraît amusé. "Il ne prenait pas ces idées au sérieux, mais je ne pensais pas non plus qu'il les appliquerait", souligne l'accusé. "Il est possible que Bouhlel ait un problème dans sa tête, qu'il a lu ces messages et s'en soit inspiré. Mais je ne suis pas dans sa tête !"

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