L'accident de la route de l'humoriste Pierre Palmade, qui a renversé un véhicule le 10 février après avoir consommé de la cocaïne et des médicaments de substitution, a mis en avant la thématique du chemsex. Hugo, un quarantenaire de la Côte d'Azur adepte de cette pratique mêlant drogue et sexe depuis sept ans, a accepté d'en parler.
Il a commencé en 2016, par hasard. Hugo*, un Azuréen, est invité à son domicile par un homme qui lui plait après avoir échangé sur une application de rencontres. "Quand je suis arrivé chez lui, il y avait déjà plusieurs personnes en action. Je n'avais pas l'habitude de faire du sexe de groupe. On m'a dit 'Mets-toi à l'aise, déshabille-toi'", raconte-t-il.
Sur la table, de la 3-MMC (3-MéthylMéthCathinone). Il prend une ligne, puis une deuxième. "Je n'avais jamais essayé, ça m'a complètement désinhibé et ça m'a mis en confiance, je n'avais plus de filtre, je me suis mis dans le jeu avec tout le monde, ça avait multiplié mon envie de sexe. Je n'ai pas vu le temps passer."
Arrivé à 1 heure du matin, il est reparti huit heures plus tard.
Depuis, Hugo est un adepte régulier de chemsex, le fait de combiner les relations sexuelles et la consommation de drogues, comme la 3-MMC, la cocaïne, le GHB ou la GBL, qui se trouvent dans la rue ou sur "le dark web". Venue des pays anglo-saxons et des Etats-Unis, cette pratique est arrivée en France, notamment dans la communauté homosexuelle.
Hugo assure que le chemsex a pris une nouvelle dimension depuis le confinement lié au Covid. "On était confiné dans des quartiers où on n'avait plus rien à faire. Une personne organisait, on profitait pour aller chez elle, à 4, 6, 8, 10, on passait la nuit tous ensemble, ça nous permettait d'oublier le quotidien et de passer un bon moment."
Selon lui, des couples hétérosexuels et des jeunes se sont récemment tournés vers cette pratique.
Beaucoup de couples hétéro consomment ces produits par habitude ou pour s'amuser avec d'autres amis. C'est un nouveau comportement de cette génération.
Hugo.
Il recourt au chemsex une à deux fois par week-end
Le quarantenaire, qui ne veut pas parler de drogues et préfère l'expression "booster", voit cette utilisation comme "une échappatoire, un compensateur social par rapport au contexte stressé au quotidien. Ça permet de décompresser, de lâcher prise". Il recourt au chemsex une à deux fois par week-end selon ses envies. "Si vous partez à la montagne, ça vous coûte 300-400 euros le week-end. Là, c'est un week-end à vous amuser, à faire un plan à plusieurs, cela coûte 100 euros maximum et vous vous serez senti bien durant le week-end."
Et il n'a quasiment plus de relations sexuelles sans drogue. "Je peux le faire, mais c'est ennuyant, on revient sur du basique, avec une durée très courte. Avec ces produits, ça dure une nuit, des fois 24 heures..."
Hugo, qui ne se considère pas "accro", dit être raisonnable.
Ça peut basculer dans l'addiction progressivement si on se met à plus avoir envie. Quand ça devient trop répétitif, le plaisir est effacé. Il faut essayer de raisonner et de surveiller sa consommation, ne pas être dans l'excès.
Il donne l'exemple de personnes qui en utilisent constamment. "Je connais des gens qui en consomment pour tout et n'importe quoi : aller travailler, faire les courses, regarder la télé, faire du sexe, aller sur les réseaux sociaux, là ça n'a aucun intérêt."
"Conscient" qu'il se détruit
L'utilisation de drogues engendre un certain nombre de problèmes, que soulève en partie Hugo, "conscient" qu'il se détruit. Lui ne conduit jamais après en avoir consommé. "On n'est pas en pleine capacité d'avoir tous ses sens réactifs." Après avoir consommé du GHB, il lui est arrivé une amnésie d'environ une heure. "Quand je me suis réveillé après plusieurs heures, je ne reconnaissais pas l'endroit ni les personnes alors que j'avais passé des heures avec." Il connait des personnes "qui ont été trop dosées en GHB volontairement pour les voler. D'autres personnes ont été abusées sexuellement". Et se montre inquiet pour les jeunes "qui semblent être intéressés juste pour prendre du produit".
Ce sont des fausses relations sexuelles, c'est basé sur une illusion que l'autre me plait. C'est du sexe pour du sexe.
Bernard Prouvost-Keller, addictologue au CHU de Nice
Bernard Prouvost-Keller, addictologue au CHU de Nice, prévient : "Ca leur plait, ils ont des sensations qu'ils n'ont jamais eues auparavant, le plaisir fait partie de notre ADN, on a envie d'y retourner, tout ce mécanisme, c'est un plaisir artificiel, on surstimule notre organe du plaisir."
Pour lui, les dangers sont nombreux : ne plus pouvoir avoir de relations sans produits, surdoses (coma, décès), risques infectieux, troubles psychiatriques et cardiovasculaires, vie sociale tournée autour du produit, pertes d'amis, de travail, "la désocialisation"... La plupart de ces consommateurs consultent, mais "on les voit un peu tard, lorsqu'ils sont extrêmement mal, mais ils sont pris dans le produit", regrette le docteur Prouvost-Keller.
Pour le spécialiste, l'addiction n'est pas mécanique. "Des gens consomment pendant de longues années, ce n'est pas pour autant qu'ils ne prennent pas de risque et qu'il n'y a pas quelque chose à leur proposer." Il n'y a aucun recueil de données sur les victimes du chemsex. "Le phénomène est sous-évalué."
Il avance deux moyens de soigner l'addiction : les thérapies comportementales cognitives (TCC) et les entretiens motivationnels.
Hugo, qui voit un addictologue et un psychologue, pense que le chemsex est pour lui "passager". Il lui faudrait "un changement de vie, moins de stress, une meilleure qualité de vie" pour arrêter.
Se faire aider à Nice
Le CAARUD Lou Passagin, Centre d’accueil et d’accompagnement à la Réduction des risques pour usagers de drogues propose d'y rencontrer, mais aussi sur le terrain, les usagers de drogue. Des maraudes sont organisées à Nice. Une unité mobile du CAARUD couvre également Menton et la Vallée de la Roya.
(*) Le prénom a été modifié.