Le ton monte autour du projet de ligne à très haute tension qui doit traverser la Camargue et les Alpilles entre Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône et Jonquières-Saint-Vincent, dans le Gard.
"On a l’impression d’être trahis". Dimanche 28 avril, c'est dans le Gard que la colère a grondé face au projet de RTE visant à installer une ligne très haute tension (THT) entre Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et Jonquières-Saint-Vincent (Gard).
Depuis novembre 2023 et le dévoilement du projet, les riverains et écologistes, rejoints par des élus, s'inquiètent. Conséquences sur l'environnement, nuisances pour le tourisme, les oppositions montent concernant un plan présenté comme indispensable.
Alors que pointe la menace d'une ZAD, France 3 Provence-Alpes rembobine la polémique.
Acte 1 : le projet dévoilé en novembre 2023
615 km2, 48 km de long et 14 km de large entre le parc des Alpilles, la Camargue et le Marais de Viguierat : le périmètre où le gestionnaire d'électricité RTE envisage de déployer une nouvelle ligne à très haute tension a été dévoilé, jeudi 16 novembre à Arles, en présence de représentants des collectivités territoriales, d'acteurs économiques et d'associations environnementales.
Le gestionnaire de réseau de transport français prévoit de créer une nouvelle ligne aérienne de 400 000 volts entre le poste électrique de Jonquières-Saint-Vincent, dans le Gard, et celui de la zone industrielle de la Feuillane, à Fos-sur-Mer.
D’environ 65 km, cette ligne doit permettre d'acheminer jusqu'à 5 000 mégawatts, l'équivalent de la consommation annuelle de cinq millions de personnes. Les pylônes généralement utilisés pour ce type de lignes sont hauts de 45 et 60 mètres, précise le dossier de présentation et de proposition d’aire d’étude du projet. Le coût est estimé à 300 millions d'euros.
Acte 2 : les premières craintes des écologistes
Rapidement, les premières craintes environnementales se font entendre notamment car le projet traversera de nombreuses zones riches en biodiversité : la plaine de la Crau, les parcs naturels de Camargue et des Alpilles ainsi que le marais du Vigueirat. Jean-Luc Moya, secrétaire général à l'antenne France nature environnement (FNE) des Bouches-du-Rhône, questionne "les risques de perturber la circulation des oiseaux dans cette zone qui est aussi un corridor écologique important."
Acte 3 : la concertation publique lancée le 12 février
Le 12 février, RTE, porteur du projet, lance une concertation publique. Selon RTE, cette ligne est nécessaire pour répondre à "une augmentation considérable des besoins en électricité en Paca". Pour le directeur du centre développement et énergie de RTE Méditerranée Christophe Berassen, "les capacités des deux lignes qui desservent actuellement le secteur vont déjà être renforcées au maximum, et les prévisions pour renforcer la production d'électricité locale ne sont pas à la hauteur des besoins que nous anticipons à horizon 2030 : la consommation régionale d’électricité pourrait presque doubler", notamment pour décarboner la zone industrielle de Fos-sur-Mer, qui abrite entre autres le site ArcelorMittal, parmi les plus polluants de France.
Acte 4 : un collectif de riverains se crée et une pétition est lancée
Fin février, des riverains inquiets fondent le collectif NON au PROJET LIGNE THT - Moulès / Saint Martin de Crau / Arles. Mobilisés sur les réseaux sociaux, les opposants mettent également en ligne une pétition, portée par l'association citoyenne en faveur de la protection de l'environnement Agir pour la Crau, du nom de la plaine potentiellement traversée par les lignes haute tension. "Même si nous sommes favorables à la décarbonation du site industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, explique le texte, nous refusons, qu'une fois de plus, la Camargue, la Crau, les abords des Alpilles ou la Terre d'Argence et leurs habitants soient sacrifiés. Ces territoires sont exceptionnels, il faut les protéger !".
Le 29 avril, la pétition rassemble plus de 25 000 signatures.
Acte 5 : des réunions publiques houleuses en mars
Une réunion de concertation a eu lieu à Arles, lundi 11 mars, après une première à Jonquières quelques jours auparavant. Une réunion qui "s’inscrit dans la concertation publique qui a été engagée sur ce projet", expliquait alors Christophe Berassen, directeur du centre développement ingénierie de RTE à Marseille.
Des échanges "riches", "parfois vifs", note le directeur. "On souhaite recueillir les différents points de vue des personnes qui vivent sur le territoire, de manière à enrichir notre étude." L’objectif est de trouver, collectivement, le passage qui aura "le moins d’impact", celui qui paraît "le plus pertinent et équilibré" pour le territoire.
Pour Cyril Girard, conseiller municipale d’opposition et conseiller communautaire, cette réunion n’a rien d’une concertation. "On ne peut pas appeler ça une concertation quand on vient voir les gens en leur disant ‘on hésite entre le projet A et le projet B’ et qu’on ne remet même pas en question le projet. L’ensemble de la salle ne voulait pas de ce projet".
Acte 6 : une manifestation réunit 500 opposants à Arles
Le 7 avril, 500 personnes se rassemblent à Arles pour manifester contre le projet. Agriculteurs, riverains, collectifs pour la défense de l'environnement ont appelé les services de l'État "à réagir" puis se sont dirigés vers la mairie où le maire de la commune, Patrick de Carolis, qui a déjà pris position contre le projet, les attendait. Patrick de Carolis partage les inquiétudes de ses administrés comme 29 maires du pays d'Arles. Il reproche le manque de transparence du projet.
"Nous ne sommes pas contre le projet de décarbonation de notre industrie, bien au contraire, mais le projet qu'on nous propose sur notre territoire tourne le dos à tous les principes donnés depuis des décennies, notamment la préservation de la nature, nous avons bâti notre économie là-dessus", a détaillé l'élu.
Acte 7 : la colère monte et avec elle, la menace d’une ZAD
"Si l'Etat veut une ZAD en pays d'Arles, c'est ce qui va se passer". Réagissant auprès de l’AFP lundi 29 avril, Jean-Luc Moya, militant pro-environnement, ne décolère pas. Les manifestants étaient plus de 300 dimanche 28 avril dans les vignes du Château Mourgues du Grès, à Beaucaire (Gard), un des nombreux sites qui craignent d'être défigurés par ce projet de ligne très haute tension. Certains opposants menacent de monter une ZAD, une "zone à défendre", comme les opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) il y a six ans.
"C'est un processus continu qui va permettre de retenir le meilleur tracé (...), ce qui nécessite encore un très gros travail", explique le préfet de région Paca, Christophe Mirmand, "coordonnateur" du projet. S'il comprend qu'il n'y ait "pas beaucoup d'enthousiasme de la part des populations potentiellement riveraines", il estime l'infrastructure indispensable : "il n'y a pas de plan B garantissant les mêmes résultats".
L'association France Nature Environnement attend "la présentation de l'étude d'impact" pour donner un avis étayé sur le projet. La déclaration d'utilité publique doit avoir lieu à horizon 2025, avant de commencer les travaux en 2027-2028.