Le 14 février 2020, la France enregistrait sur son sol la première victime de la Covid-19. Le gouvernement décidait de créer un conseil scientifique, dont l'un des membres claquera vite la porte : le professeur Didier Raoult, directeur de l'IHU Méditerranée Infection. Entretien.
À contre-courant, forcément controversé, le directeur de l’IHU de Marseille brave la tempête.
Avec son équipe, le Pr. Didier Raoult propose un traitement quand la passivité est un ordre, il teste à grande échelle quand les tests se font rares, il séquence et traque les mutants des nouvelles épidémies.
Aujourd’hui, celui que les réseaux sociaux surnomment "Chloroquine Dundee" livre son carnet de bord par des "Carnets de guerre COVID-19" à paraître le 11 février prochain.
Interview exclusive de la figure emblématique et clivante de cette crise sanitaire.
- Cela fait près d’un an que dure la crise du coronavirus, quel premier bilan faites-vous pour votre IHU ?
"Sur le plan de l’IHU, nous avons probablement une des expériences et des collections de données les plus importantes au monde, sur un site unique.
On a fait plus de 300.000 tests, on a pris en charge sur le plan thérapeutique 14.000 personnes, c’est énorme avec des taux de mortalité qui sont parmi les plus bas au monde.
On a réussi à mettre au point plusieurs stratégies techniques et thérapeutiques, et on a réussi à gérer des flux qui étaient impensables.
On a eu à tester jusqu’à 4.000 personnes par jour. Ce qu’on a réussi à faire sans émeute, on a toujours rendu les résultats dans les 24 h. Cela a poussé jusqu’au bout les capacités techniques et opérationnelles de l’IHU".
- Comment avez-vous procédé ?
"Les gens qui étaient testés étaient revus à l’hôpital de jour systématiquement le lendemain. Il y avait une consultation, un électrocardiogramme, une prise de sang, la vérification de leurs résultats.
En fonction de cela, il y avait un traitement qui leur était proposé. On l’a proposé tout le temps. Quant aux malades justifiant qu’ils soient hospitalisés, on en a hospitalisé plus de 2.000. Et de temps en temps, ils avaient besoin de réanimation. Ils passaient en réanimation à côté, à l’hôpital de La Timone (AP-HM ndlr). Et quand ça allait mieux, ils revenaient.
Quand on a eu besoin de personnel supplémentaire, on a été très aidés par l’assistance publique avec des techniciens, des infirmières et infirmiers, et le personnel du bureau des entrées. Ensuite, technologiquement, au fur et à mesure, on a augmenté".
Il y a des milliers de coups de téléphone qui ont été donnés aux malades pour leur demander s’ils voulaient venir,
"On a des bornes d’auto-inscription en bas. On a inscrit les gens sur Doctolib où ils peuvent prendre des heures de rendez-vous y compris pour se faire tester. Ce qui fait que cette immense queue qu’on a eue au départ a pu être résorbée par ces moyens technologiques. Par l’aide des informaticiens de l’assistance publique qui nous a permis d’avoir une gestion très fluide.
On a également fait appel aux bénévoles. Beaucoup de médecins bénévoles, que je remercie, sont venus nous aider ici. Parce qu’une fois qu’on a les résultats, il faut téléphoner.
Il y a des milliers de coups de téléphone qui ont été donnés aux malades pour leur demander s’ils voulaient venir, pour prendre des nouvelles de leur santé quand ils avaient été traités, pour voir ce qu’il se passait ultérieurement.
On fait très attention. Par exemple, grâce à ces coups de fil, on détecte en moyenne deux embolies pulmonaires par semaine. On fait venir les patients ici, on traite, on anticoagule.
Du coup ils n’ont pas les conséquences qu’ils pourraient avoir, et dont éventuellement ils mourraient. Il faut soigner les gens, il faut s’en occuper.
Cette crise nous a également fait faire un bond technologique dans d’autres domaines, et permis de développer des stratégies. Grâce à un radiologue très dynamique, nous avons réussi à passer de la radio traditionnelle du thorax que l’on faisait depuis des décennies, au scanner à basse dose.
On a fait pratiquement 5.000 scanners à basse dose qui ont permis de voir des choses que l’on ne voyait pas, qu’on n’avait jamais vues.
Nos amis cardiologues de leur côté ont commencé à faire des montres avec la possibilité de suivre les rythmes cardiaques. On voyait que tout le monde s’affolait avec l’hydroxychloroquine (des effets secondaires ont été décrits concernant l’intervalle QT ndlr). Alors on a voulu prendre toutes les précautions. On n’a jamais eu de problèmes.
La grande spécificité de l’IHU c’est de dire il faut s’occuper des malades, il faut les soigner, ce qui a posé des problèmes, car ça n’était pas le message gouvernemental".
En mars 2020, si le Pr. Raoult pouvait compter sur l'engouement populaire et le soutien de personnalités politiques et médicales, d'autres médecins se montraient beaucoup plus prudents avec la chloroquine et le dépistage à grande échelle.
- Pourquoi choisir l’hydroxychloroquine ?
Malgré les nombreuses polémiques autour de l’hydroxychloroquine, et le résultat de l’étude Solidarity conduite par l’OMS, cet antiviral, tiré d’une molécule ancienne, reste au cœur du traitement choisi par l’équipe de l’IHU Méditerranée Infection.
Un choix à contre-courant de l'avis de l'Agence Nationale du Médicament (ANSM) qui estimait en octobre 2020 que les "données très hétérogènes et inégales", présentées par l'IHU ne permettaient pas de "présager d'un bénéfice de l'hydroxychloroquine, seule ou en association, pour le traitement ou la prévention de la maladie Covid-19".
Depuis octobre, l'ANSM a refusé à l’hydroxychloroquine une Recommandation Temporaire d’utilisation (RTU), demandée par l’IHU, afin de poursuivre le traitement de patients covid de plus en plus nombreux.
Dans toute la cohorte que nous avons suivie, seules deux personnes de moins de 60 ans sont décédées sans que l’on comprenne pourquoi.
"Il y a un arrêté qui dit que dans les hôpitaux, si un collectif de médecins a analysé les données et prescrit, c’est la liberté de prescription des médecins. Donc on continue à le faire. On fait des ordonnances suivies par les pharmaciens. On n’a pas de problème pour traiter les gens.
Pour nous c’est difficile de changer (de thérapeutique ndlr), parce qu’on ne voit pas comment faire mieux que ce que l’on a. Il faut soigner les gens précocement. Nous avons les taux de mortalité les plus bas au monde chez les gens qui sont en hôpital de jour. On est à 1 pour 1.000.
Et pour les gens qui viennent plus tardivement, la mortalité ne concerne que ceux dont l’espérance de vie est extrêmement courte. C’est-à-dire que ce sont les sujets très âgés où les gens âgés avec des pathologies associées importantes qui meurent. Les autres ne meurent pas.
Dans toute la cohorte que nous avons suivie, seules deux personnes de moins de 60 ans sont décédées sans que l’on comprenne pourquoi".
- Combien existe-t-il d’études sur l’hydroxychloroquine ?
"De celles qui sont publiées et accessibles, il y en a plus de 200. On peut les trouver sur le site Cov 19 qui répertorie toutes les études, bonnes ou mauvaises, sur tous les médicaments qui ont été testés.
Et globalement, on l’a montré dans un de nos travaux, dès qu’on enlève les conflits d’intérêts, il y a 80 % des études qui montrent l’effet favorable de l’hydroxychloroquine".
Il y a des gens qui pensent qu’à une nouvelle maladie, il faut un nouveau médicament.
"Vous savez, il n’y a pas que nous qui utilisons l’hydroxychloroquine. Il y a plus de 100.000 personnes qui ont été traitées comme cela. Il y a un combat extraordinaire qui est livré.
Il y a des gens qui pensent qu’à une nouvelle maladie, il faut un nouveau médicament. C’est le modèle dans lequel on a été élevés il y a 30 ou 40 ans. Ils ont donc mal apprécié les possibilités de recyclage (de vieux médicaments, comme l’hydroxychloroquine ndlr) que l’on connaît depuis un certain nombre d’années".
- Existe-t-il des traitements possibles pour cette nouvelle maladie de la Covid-19 ?
"Il y a plein de thérapeutiques qui, par différentes techniques, montrent une efficacité sur le virus, dont beaucoup sont des médicaments qui sont anodins. Pour beaucoup on pourrait, avec un peu de bonne volonté, avoir très rapidement des données pour savoir si c’est efficace ou pas.
Parmi celles-là, en dehors de l’hydroxychloroquine et de l’azytromycine (association préconisée par l’IHU), il y a d’autres macrolites, il y a la doxycycline qui est un autre antibiotique, il y a l’ivermectine qui est un médicament antiparasitaire. Il y a probablement la cyclosporine qui est un médicament qu’on donne chez les sujets greffés.
Et puis il y a toute une série de molécules dont on voit par docking moléculaire, c’est-à-dire en regardant la manière dont les structures sont susceptibles de s’assembler grâce aux programmes informatiques, qui sont des candidats thérapeutiques potentiels.
Donc on rentre dans un autre monde sur le plan thérapeutique. C’est la crise qui va nous permettre de basculer dans ce monde thérapeutique où on voit qu’il y a des molécules qui n’ont pas été programmées pour ça et qui ont une activité, qu’il faut évaluer…
De notre côté, on a trouvé quelque chose qui marche, on en est content. Pourquoi en essayer d’autres ? Voilà. C’est plus ça notre manière de faire, c’est le soin".
- Que pensez-vous des vaccins ?
"C’est un métier médical : on doit recevoir les malades, on doit les examiner, on doit les traiter en fonction de leur terrain.
Et en fonction de leur terrain, on doit leur proposer ou ne pas leur proposer la vaccination".
L’idée que le vaccin est une baguette magique, et que grâce à ça, maintenant qu’on a affolé la population, on va tout arrêter ne me paraît pas raisonnable.
"Quand il s’agit de vacciner des sujets âgés qui ont une forte mortalité et chez qui le bénéfice va de soi, toute protection est bonne. Par exemple dans les Ehpad, où vous avez plus de 20% de mortalité si vous ne traitez pas les gens. Si vous avez quelque chose qui évite, qui diminue ne serait-ce que 30 à 50 % des cas qu’ils fassent une infection, c’est un service déjà.
"Après, la question se pose plus chez les gens qui ne meurent jamais de cette maladie, ne font pas de forme grave. Est-ce qu’on fait un vaccin, en particulier un vaccin dont on ne connait pas l’efficacité, ni les risques à long terme ?
L’idée que le vaccin est une baguette magique, et que grâce à ça, maintenant qu’on a affolé la population, on va tout arrêter ne me paraît pas raisonnable. Ca n’est pas comme ça que ça se passe. Le taux d’efficacité du vaccin est ce qu’il est mais ça n’est pas une efficacité à 100 %".
Deux vaccins sont autorisés en Europe contre la Covid-19 : celui de Pfizer-BioNTech et celui de Moderna. Un 3ème développé par Sanofi, pourrait arriver mi-2021.
- Le vaccin empêche-t-il le virus de circuler ?
"Il n’y a aucune évidence à ça. On peut l’espérer mais si vous regardez pour l’instant le vaccin contre la grippe, qui peut nous donner une idée de la comparaison : le vaccin contre la grippe n’empêche pas que la grippe circule et qu’il y ait des épidémies de grippe.
Et il restera des épidémies de grippe par mutation, par recompositions. Les gens avaient beaucoup d’espoir que le coronavirus ne mute pas, mais il mute très bien".
Ce qu’il va se passer à l’avenir pour la circulation de ce virus, ça comme le reste, on n’en sait rien du tout.
"On a plutôt l’impression que les mutants qui apparaissent juste dans la zone à l’interface entre la cellule et le virus, sont des mutants qui sont résistants aux anticorps générés par la première infection. Nous on a des gens qui ont des réinfections, qui ont été infectés il y a trois mois ou six mois.
Donc ça n’est pas une maladie très immunisante quand même. Et lorsque vous avez une maladie qui n’est pas très immunisante, c’est rare que le vaccin soit extrêmement immunisant.
La vaccination joue certainement un rôle à court terme, à condition encore une fois que les souches en cause soient couvertes par le vaccin, mais ce qu’il va se passer à l’avenir pour la circulation de ce virus, ça comme le reste, on n’en sait rien du tout".
- Que savez-vous des mutants ?
Les mutations du virus se constatent par l’observation de son génome. La technique pour obtenir le génome s’appelle le séquençage.
"Les problèmes de ce pays, c’est qu’on ne faisait pas de tests et ensuite qu’on n’a pas fait de génome. On fait dix fois moins de génome qu’en Angleterre, on le découvre maintenant…
Ici, nous avons toujours été le laboratoire de microbiologie le plus équipé en séquences au monde".
Il ne s’agissait pas de rebond, mais de nouvelles épidémies, c’est tout. Il fallait regarder.
"Cela fait quatre mois que nous parlons de variants, c’est on line sur notre site. L’idée qu’il y avait des variants est une idée qui est difficile à accepter parce que beaucoup de gens qui travaillent sur cette épidémie sont des épidémiologistes plutôt que des gens qui connaissent les virus, et ils ont eu du mal à accepter.
Et moi j’avais extrêmement de mal à accepter ce que l’on disait qui allait se passer, c’est-à-dire des vagues multiples avec le même virus, c’est quelque chose que je ne crois pas. Je n’en comprends pas le sens. Moi je ne connais pas de virus qui ait donné ces modèles là. Le seul sur lequel les gens ont argumenté, c’est la grippe espagnole, dont on n’a jamais pu analyser les mutants.
L’hypothèse la plus logique, c’est qu’il y a un virus qui se répand mondialement, et qui dans un endroit ou un autre mute, et donc représente une deuxième maladie.
Donc il ne s’agissait pas de rebond, mais de nouvelles épidémies, c’est tout. Il fallait regarder.
Dès cet été, dès qu’on a eu cet épisode, on a été les premiers à lancer les premiers génomes de cette nouvelle épidémie. On a trouvé un premier variant, mutant, qui est venu comme d’habitude par bateau, à Marseille, d’Afrique du nord, et on a suivi toute son histoire, on a vu ses mutations initiales. Et puis il a disparu. Manifestement, il avait peu de capacité à s’implanter".
L’IHU a établi le génôme de plusieurs variants, nommés par ses équipes Marseille 1, Marseille 2, Marseille 3, Marseille 4. Ce dernier circule en France depuis le mois de septembre. Il s’agirait d’une zoonose selon le Pr Raoult, impliquant les élevages de visons. Le Pr Raoult en avait fait part récemment à France 3.
D’autres variants sont apparus dans le monde entier : au Brésil, au Japon, en Angleterre, en Afrique du Sud.
- L’IHU, un modèle à reproduire ?
Dans ses conclusions, la mission d’enquête parlementaire sur la gestion de la Covid-19, a émis plusieurs propositions, parmi lesquelles la création d’autres Instituts Hospitalo-Universitaires (IHU), dédiés aux maladies infectieuses.
"Je pense que cette crise a montré qu’il n’y a pas suffisamment en France de pôles de compétences et d’équipement qui puissent faire face à une crise.
Ce n’est pas normal que tout le monde passe sa vie à parler des crises des maladies infectieuses et qu’il n’y ait pas sept ou huit pôles en France qui soient capables de faire des centaines de génomes. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait que quelques endroits en France où on puisse faire des milliers de tests".
L’idée c’est d’avoir une ligne de défense dans chaque zone de défense qui soit de type IHU dans lequel il y a des moyens (...) qui ne dépendent pas des aléas politiques, électoraux des hôpitaux.
"Ce n'est pas normal qu’il n’y ait pas des endroits dans lesquels se mélangent la capacité d’observation des maladies nouvelles (encore une fois l’observation c’est la base de la médecine), la capacité à faire des tests, à mettre au point des diagnostics, à développer des stratégies thérapeutiques, tout ça n’est pas fonctionnel. Moi j’écrivais ça il y a 20 ans. On a fini par le faire à Marseille.
Notre IHU a été une initiative pionnière dans ce pays. Il faut que les gens prennent ce qu’il leur paraît efficace, l’aménagent avec les circonstances qui seront celles dans lesquelles ils vivent .
L’idée c’est d’avoir une ligne de défense dans chaque zone de défense qui soit de type IHU dans lequel il y a des moyens qui sont installés, fléchés, qui ne dépendent pas des aléas politiques, électoraux des hôpitaux, des changements de directeurs. C’est un domaine régalien, la lutte contre les épidémies".
- Le livre : "Carnets de guerre COVID-19"
L’IHU Méditerranée a créé une chaîne YouTube où sont diffusées des interviews régulières de son directeur, mais aussi les conférences organisées au sein de l’infectiopole.
Le verbatim de toutes les interventions du Pr Raoult, y compris celles prononcées à l’assemblée nationale et devant le Sénat, ont été recueillies dans un livre à paraître le 11 février aux éditions Robert Laffont intitulé "Carnets de guerre COVID-19", et sous-titré "Le plus grand scandale sanitaire du XXIe siècle".
Tout ce que j’ai dit, c’était de bonne foi, avec l’observation qu’il y avait à ce moment-là.
"Généralement quand je dis quelque chose, c’est parce que je réfléchis, et que c’est l’étape de ma connaissance. Mon talent à moi, c’est l’observation. Je suis observateur, j’observe, c’est pour ça que je suis un découvreur. Les gens qui découvrent sont des gens qui observent, ce ne sont pas des gens qui déduisent.
Donc j’ai fait ce livre pour mettre tout ce que j’ai dit, c’est un verbatim, tout est daté, tout est vérifiable.
Il n’y a rien dont j’ai honte. Je ne me suis pas autocensuré. Tout ce que j’ai dit, c’était de bonne foi, avec l’observation qu’il y avait à ce moment-là"