Drogue : "Marseille, c'est fait de sang", derrière la guerre des stups des familles en deuil

À la veille de la venue d'Emmanuel Macron, une marche blanche a lieu ce mardi 31 août à Marseille, à la mémoire de toutes les victimes de la guerre des stupéfiants. Nous avions rencontré Medhi, le frère de Brahim retrouvé calciné dans une voiture en décembre 2020 aux Pennes-Mirabeau.

"La nuit, je me dis, je vais encore faire un cauchemar de mon frère qui est en train de mourir". À 15 ans, Mehdi ne partage pas l'insouciance des garçons de son âge. Le 29 décembre 2020, le corps de son frère aîné Brahim a été découvert, avec un autre, dans le coffre d'une voiture calcinée, sur une aire de service de l'autoroute A 55, aux Pennes-Mirabeau, à la sortie de Marseille.

Brahim avait 22 ans. Un règlement de compte lié au trafic de drogue. Un de plus au macabre décompte de la police.

"On sait que c'est ni le premier ni le dernier", dit le jeune homme résigné, conscient que rien ne semble pouvoir stopper la spirale de la violence dans la cité phocéenne.

"C'est devenu une habitude, en fait, la criminalité s'est incrustée au rituel marseillais. Marseille, c'est fait de sang", nous déclarait-il deux mois après le drame. 

"Pour eux, ils tuent quelqu'un.. mais y a les familles en pleurs, y en a qui arrivent pas à tourner la page, y en a qui peuvent rentrer en dépression".  

La famille endeuillée a quitté Marseille pour tenter de se reconstruire. Mais pour le jeune homme, même loin des cités et de leurs gangs assoiffés de sang, il y a toujours l'absence. Insupportable. 

"Je le vis très mal. Quand j'avais besoin de lui je l'appelais, j'avais un petit souci je l'appelais, y avait pas le bus je l'appelais, j'avais besoin d'un peu de sous je l'appelais...", se souvient-il. 

Mon frère c'était un peu comme un deuxième père pour moi. Je ne peux pas accepter ce manque. Je ne peux pas accepter qu'il soit parti.

Après l'assassinat de Brahim, l'adolescent s'est coupé des réseaux sociaux. "Dès le premier jour que j'ai su que mon frère est mort, j'ai directement arrêté les réseaux, je parlais plus à personne, je me suis renfermé sur moi-même, je voulais que personne me parle", raconte le lycéen qui n'est pas allé en cours pendant une semaine.

Et c'est pour son frère qu'il a décidé d'y retourner, poussé par sa mère. "Mon frère, si j'allais pas à l'école, il ne me laissait pas en fait, c'était obligé. Le matin des fois je dormais, il venait me réveiller alors qu'il  était blessé : va à l'école!".

Mehdi se souvient aussi des recadrages de son aîné quand il s'énervait contre sa mère. "Brahim c'était toujours : Non, personne ne parle mal à Maman!, Maman, elle dit non, c'est non!".

Un grand frère qui faisait tout pour le préserver de l'univers sans pitié dans lequel il s'était laissé happer après le collège. "Si je voulais sortir et que ma mère disait non, pour Brahim aussi c'était non. Il ne voulait pas que je traîne n'importe où".

L'adolescent, bon élève, régulièrement récompensé par les félicitations de ses professeurs, savait que son frère avait de mauvaises fréquentations. "Il ne voulait pas que je connaisse ses collègues, il me disait  : t'as 15 ans, va à l'école, t'as pas l'âge pour ça."

Mehdi voudrait que tout ça s'arrête. "Je ne veux pas que d'autres familles souffrent comme on a souffert. Je préfère que ça cesse". Un voeu. Une vocation. Il rêve de devenir policier.

Le combat d'Amine, le deuxième frère 

L'autre frère de Brahim, Amine, à peine plus âgé que Mehdi, porte la voix des victimes dans les médias. Avec sa mère, il a créé l'association Conscience.

"C'est montrer que les victimes de la criminalité de la barbarie, ce sont des dealers, ce sont probablement des voyous comme le public les qualifie, mais ils sont également victimes de ce système qui les a oubliés," déclare-t-il.

Il pointe l'abandon de la politique sociale qui a les "emprisonnés dans ces prisons à ciel ouvert que sont les quartiers nord et qui ne leur ont offert aucun emploi digne parce qu'ils n'avaient pas le bon nom de famille ou la bonne adresse". 

Amine et sa mère prendront la tête au départ de la marche blanche qu'ils organisent ce mardi à 18h sur le Vieux-Port, à la veille d'une visite de trois jours du président Macron dans la cité phocéenne.

Le jeune homme lance un appel à Emmanuel Macron, qui doit annoncer son plan "Marseille en grand" sur la sécurité mais aussi les transports, la santé et l'éducation. Il ne se fait pas vraiment d'illusions sur l'annonce d'un énième plan en période de campagne présidentielle, alors que les cités sont de plus en plus gangrénées par la violence et la drogue.

"Il y a de plus en plus de barbarie, les criminels se permettent de calciner les victimes, de les démembrer, de les assassiner en pleine journée, d'assassiner des jeunes, je pense à cette jeune fille de 17 ans, elle avait mon âge, elle venait d'obtenir son bac, elle devait faire sa rentrée en septembre, c'est une vie gâchée..." 

Pour Amine, il y a urgence, mais il ne faut pas se tromper de combat. "Avant de déclarer la guerre à la drogue, il faut d'abord déclarer la guerre au trafic d'armes".

C'est insensé qu'à Marseille ce soit plus facile de se procurer une arme que de trouver une boulangerie. C'est peut-être exagéré pour certains mais moi qui vis dans les quartiers nord je peux vous dire que c'est vrai.

Amine

"À force d'avoir laissé faire, d'avoir donné du terrain à ces trafiquants de drogue, ils se croient tout permis"

Avec une grande maturité pour son âge, Amine explique que rien ne changera si on ne traite pas le problème dans sa globalité, qu'il faut "combattre les trafics de drogue à la source" en renforçant les contrôles dans le port, mais aussi mener une véritable politique sociale dans ces quartiers délaissés. 

"La sécurité, ce n'est pas le seul point à revoir, tant qu'il y aura de la pauvreté, tant qu'il y aura de la misère, tant qu'il y aura toute cette souffrance et cette surpopulation dans les quartiers nord, les jeunes iront vers l'argent facile", affirme-t-il.

Mais pour Amine, "injecter des milliards n'est pas la solution". Il réclame le retour des services publics dans ces quartiers, des moyens pour les centres sociaux. Et une police de proximité.

"Je rêve d'un jour où j'entends un policier appeler les jeunes par leur prénom dans les quartiers parce que justement il connaît ce jeune, et qu'il est pas là surarmé à venir le plaquer contre un mur ou lui mettre le genou dans le cou, au contraire il est là pour discuter avec lui et l'engueuler comme un père engueule son fils quand il commet une bêtise."

"La guerre, elle n'est pas contre les jeunes, mais contre la drogue et les armes", conclut-il. 

A Marseille, l'été 2021 a été particulièrement meurtrier. Les réglements de comptes ont fait 12 morts au cours de ces deux derniers mois.

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