ENTRETIEN. "C'est comme vider le Vieux-Port avec une louche !" : les douanes submergées par le trafic de cigarettes à Marseille

Le trafic de tabac ne diminue pas à Marseille. Vente de cigarettes à la sauvette, trafic par conteneurs… Les saisies douanières sont quotidiennes. En 2022, 24 tonnes de tabac de contrebande ont été interceptées.

De Noailles aux puces des Arnavaux, le marché parallèle de cigarettes ne connaît pas de trêve, à Marseille. Du matin au soir, les vendeurs proposent dans la rue, les commerces et les marchés, des paquets à prix cassé. Et parce que c'est un port, la cité phocéenne est une porte d'entrée pour le trafic. Un commerce lucratif qui nourrit tout un réseau... et qui occupe à temps plein les autorités. Entre deux coups de filet, le directeur des services à la Direction régionale des douanes de Marseille, Stéphane Durel, a répondu à nos questions.

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France 3 Provence-Alpes : Quelle est l'ampleur du trafic de cigarettes à Marseille ?

Stéphane Durel, directeur des services douaniers à la Direction régionale des douanes de Marseille : Nous travaillons sur toute la zone sud des Bouches-du-Rhône. C’est un trafic très important, nous faisons des saisies quotidiennes de tabac à Marseille, sur le port, l’aéroport, sur les passagers, dans l’agglomération, dans les alimentations, les bars à chichas, dans les entreprises de messagerie, on cherche également dans le fret commercial aussi, les conteneurs qui arrivent sur le port.

Quelle est l'entrée principale pour ce tabac de contrebande ?

Les grosses quantités arrivent nécessairement par le port, puisqu’un conteneur, c’est 9 à 10 tonnes de cigarettes. Par contre, on fait presque tous les jours des prises plus ou moins conséquentes et très souvent des saisies de plus de 100 cartouches de cigarettes.  

Quel est le profil des trafiquants ?

Il y a aussi bien le contrebandier opportuniste qui, pour payer son voyage en avion ou en ferry, va ramener une dizaine de cartouches de cigarettes pour essayer de les revendre, et puis il y a les réseaux organisés, mais aussi des complicités parmi les marins professionnels des navires.  

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C’est un commerce lucratif ? Comment lutter contre ?

C’est un trafic lucratif puisque quand on connaît la fiscalité sur les cigarettes en France et de l’autre côté de la Méditerranée, il y a un écart de prix qui permet de les revendre derrière pas forcément très cher, mais d’en écouler de grosses quantités.  

Si on en saisit tous les jours, c'est parce que le trafic est massifié, c’est un comme si on essayait de vider le vieux port avec une louche, on essaie de saisir le maximum de cigarettes, d’entraver les réseaux, de travailler de plus en plus en coopération entre les différentes unités, en s’échangeant les renseignements […], mais ça prend du temps, c’est quelques chose de forcément compliqué.  

La contrebande de cigarettes n'est pas perçue de la même manière que le trafic de drogue ? 

Effectivement, le trafic de cigarettes concerne essentiellement la fiscalité. Mais au-delà, il y a des raisons de santé publique, des enjeux pour le réseau des buralistes, qui sont les préposés de la douane. C’est vrai que c’est perçu comme moins dangereux que le trafic de drogue.

D'un point de vue douanier, c’est réprimé de la même façon, c’est-à-dire que c’est un délit douanier, vous encourez les mêmes peines que pour le trafic de drogue : une amende qui est égale à minimum une fois la valeur de la marchandise, plus des peines d’emprisonnement. Mais effectivement, dans l’imaginaire, c’est peut-être perçu par les contrebandiers comme moins grave.  

Il y a la contrebande... mais aussi la contrefaçon ?  

On en trouve un petit peu moins sur Marseille, mais il y en a qui viennent notamment de Pologne, même sur le territoire national, on a trouvé des usines qui fabriquaient des cigarettes de contrefaçon. Là aussi, on essaie de mettre en commun tous nos renseignements pour arriver à démanteler ces filières. Au-delà des cigarettes de contrebande, dans la contrefaçon, on ne sait pas ce qu’il y a dans le produit. Ça peut être même des produits nocifs, déjà que le tabac en soi contient des produits nocifs, ça peut être pire dans la contrefaçon.

  

C’est un enjeu de santé publique ?  

Il y a un enjeu de santé publique, de fiscalité, pour nous, c'est un combat quotidien d’arriver à faire respecter les lois françaises. On essaie de faire diminuer la consommation de tabac sur le territoire national et en même temps, on est confronté à un afflux de tabac provenant de l’étranger.  

En France, Marseille est-elle plus concernée qu'une autre ville ?

Toutes les grandes villes de France sont concernées. Même dans les petites villes, il commence à y avoir un trafic très soutenu. Marseille, avec son ouverture sur le port, avec ses conteneurs qui entrent, les passagers, c’est forcément un point d’entrée. Toutes les cigarettes qui rentrent à Marseille ne vont pas forcément à Marseille, certaines vont être dispatchées dans d’autres régions. Mais c’est un point d’entrée, beaucoup de cigarettes qui réussissent à rentrer se retrouvent après dans la ville, vente à la sauvette au coin des rues, dans les alimentations….  

Vous parlez de vente à la sauvette, il y en a beaucoup ?

Oui, à Noailles, au marché aux puces des Arnavaux, dans un peu tous les quartiers…  

Ce trafic est-il en augmentation ?

En 2022, nous avons saisi 24 tonnes, dont une constatation exceptionnelle de 19 tonnes. Cette année, on est en deçà, mais si on enlève cette saisie, cette année, on est déjà au-dessus. C’est un trafic qui ne diminue pas. Tant qu’il y aura un écart de prix important, il y aura un enjeu pour les trafiquants et le trafic ne diminuera pas, il ne faut pas s’attendre à ça.  

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