Fissures en séries dans des bâtiments : autour de l'Etang de Berre, le changement climatique augmente la menace des effondrements

En quelques mois, trois villes du pourtour de l'Etang de Berre ont connu des événements similaires: des bâtiments se fissurent, forçant les habitants à évacuer les lieux, souvent en urgence. Hasard, psychose des riverains ou phénomène inquiétant ?

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C'est la loi des séries. Le dimanche 24 septembre, deux semaines après l'évacuation en pleine nuit de 150 personnes à Martigues, les habitants des Alizés, petite résidence située dans un quartier voisin, alertent à leur tour sur la présence de fissures sur un bâtiment, réclamant à leur bailleur social des travaux d'urgence. Le même jour, c'est à Istres, commune voisine, que des résidents font le même constat, forcés de quitter le logement en urgence. Un an avant, à Gignac-La Nerthe, à moins de 20 km de là, un scénario similaire a affolé la ville.  Que se passe-t-il dans les murs du pourtour de l'Etang de Berre ?

Les spécialistes s'accordent à dire qu'il faut s'attendre à une multiplication des cas dans les années à venir, aussi bien dans le logement collectif qu'individuel. Coupable désigné : le changement climatique.

A Gignac-la-Nerthe, le spectre du tunnel du Rove

En septembre 2022, c'est la panique à l'hôtel de ville de Gignac-la-Nerthe (Bouches-du-Rhône) : des fissures inquiétantes lézardent l'édifice, les personnels municipaux sont évacués ainsi qu'une dizaine de familles résidant aux abords du bâtiment. Il leur faudra attendre trois mois avant de réintégrer les lieux en toute sécurité. "En décembre 2022, les études conduites par les services de l'Etat se sont montrées rassurantes", explique Loïc Taniou, responsable de la communication à la Ville de Gignac-La-Nerthe, "la cause identifiée semble être l'activité des sols et il nous a été affirmé par les services compétents qu'il n'y avait pas de risque d'effondrement imminent. Si tel était le cas, il y aurait des signes avant-coureurs." Depuis, la commune de Gignac fait tout même l’objet d'une surveillance régulière par le biais de capteurs installés le long de l'emprise du tunnel maritime du Rove, au-dessus duquel sont construites 116 maisons d'habitation.

De son côté, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) a déposé son rapport sur Gignac le mois dernier sur le bureau du préfet. Cet organisme qui étudie et conseille l'État et les collectivités sur les risques naturels, pointe comme responsable le phénomène de retrait gonflement des argiles (RGA) : " La commune est identifiée comme étant à surveiller et fait l'objet à ce sujet d'un plan de prévention des risques naturels depuis de nombreuses années", indique Isabelle Duhamel-Achin, directrice régionale du BRGM. "Nous n'avons pas trouvé de cavité sous l'édifice, donc cette hypothèse apparaît ici comme la plus probable."

Des mouvements de terrain suspects

Le 10 septembre 2023, le scénario se répète mais prend une tout autre ampleur. À Martigues,150 personnes sont évacuées en pleine nuit des bâtiments K de la cité Notre Dame des Marins. La présence d'une importante fissure laisse entrevoir un risque d'effondrement de l'immeuble. Dans l'affolement général, les habitants pointent la responsabilité du bailleur social 13 Habitat, invoquant le manque d'entretien de la cité.

Depuis, deux expertises sont en cours pour déterminer les causes de ces fissures. L'une sera diligentée par un expert mandaté par le Tribunal administratif, seul compétent pour conduire une enquête, lequel rendra ses conclusions dans les mois à venir. La seconde sera effectuée par un cabinet privé, le bureau d'études Axiolis, à la demande du bailleur 13 Habitat, qui indique dans un communiqué que "ces ingénieurs vont inspecter et sonder minutieusement sol et bâti afin (...) de dissiper toutes les inquiétudes et d’adapter au mieux le projet de réhabilitation (...) de la cité construite au début des années 1970". Pourtant, le bailleur s'était empressé dans un communiqué en date du 12 septembre, de désigner "un mouvement de terrain" comme "la cause la plus probable de la fissure".

Les mouvements de terrain dus au RGA sont en effet un risque identifié et cartographié qui touche de nombreuses communes du département, dont Martigues et Istres.

C'est justement à Istres que le 24 septembre dans la soirée, un habitant de la cité la Bayanne, inquiet de voir une fissure apparaître dans un petit local de rangement, alerte les pompiers :  23 personnes sont alors évacuées de l'immeuble à titre préventif." La ville d'Istres a saisi (...) le bailleur, CDC HABITAT, afin qu'il déclenche en urgence une expertise du bâtiment", précise immédiatement le service de presse de la commune.

Le scénario se répète, la peur de l'effondrement enfle

Partout, le scenario se répète, jusqu'aux Alizés à Martigues ce 26 septembre, où les résidents sonnent l'alarme un peu plus fort qu'à l'accoutumée : " je vis ici depuis plus de 25 ans et rien n'a été fait" explique Sylvie, une habitante qui fait visiter son immeuble à l'équipe de France 3 Provence-Alpes, "on nous met de la toile de verre sur les murs et des tasseaux en bois mais le problème c'est que les fissures travaillent, ça bouge et des morceaux tombent dans l'escalier !"

Là aussi la responsabilité du bailleur social, la Semivim, est mise en cause par les habitants, comme l'affirme cette autre résidente, désignant le cadre d'une fenêtre de son appartement semble déformé : "on a peur que l’immeuble s'effondre, on aimerait plus de sécurité, on voudrait que la Semivim fasse quelque chose, c'est grave".

Des logements sociaux mal entretenus

"La problématique des fissures va bien au-delà de la physique des bâtiments et des sols", explique Patrcik Verbauwen, architecte marseillais, "c'est aussi un problème sociologique". Selon cet expert, le phénomène concerne aussi bien le logement collectif qu'individuel : les propriétaires occupants, souvent modestes, qui ont construit leurs maisons dans les années 60 et 70 au cœur de zones périurbaines, n'ont pas toujours les moyens d'entretenir correctement leurs biens. Même problème dans les centres anciens des villes moyennes.

Dans le monde du leasing, quand les choses s'abîment, on les change, mais un bâtiment cela s'entretient. Démolir n'est plus une option dans le monde d'aujourd'hui et de demain

Patrick Verbauwen, architecte et expert

France 3 Provence-Alpes

Les bailleurs sociaux, quant à eux, "ont rarement traduit en investissement les loyers perçus via les aides au logement. Or, l'entretien d'un immeuble ne s'arrête pas aux tuyauteries de la salle de bain", remarque Patrick Verbauwen, "et bien sûr ce qui se passe dans le sous-sol, ça ne se voit pas..."

Le dérèglement climatique accélère le phénomène

Jugés préoccupants par l'expert, ces phénomènes de stress hydrique des sous-sols et de RGA devront pourtant être étudiés de près car ils sont amenés à se répéter. "On assiste à un emballement du changement climatique et de ses conséquences : des épisodes de sécheresse de plus en plus longs alternent avec des pluies torrentielles d'une violence extrême et des cavités se forment. Il va falloir engager des travaux de renforcement des sols porteurs, certes onéreux mais indispensables".

Patrick Verbauwen rappelle que cette problématique est déjà un énorme caillou dans la chaussure des assureurs et de l'Etat, en témoigne le nombre grandissant de ces "mouvements de terrain différentiels liés à la sécheresse", reconnus en état de catastrophe naturelle.

Au BRGM, on planche déjà depuis des mois sur le changement climatique et ses multiples impacts sur la géologie des sous-sols.

Quant à une éventuelle accélération du phénomène et à la fragilisation des bâtiments dans les zones à risques, Isabelle Duhamel-Achin répond qu'"à l'avenir, les communes vont devoir intégrer ces aléas à leur stratégie d’urbanisme".

L'organisme fait actuellement des études et collecte des données sur les sous-sols afin de cartographier les mouvements de terrain dans le périmètre de Marseille.

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