"Je ne fais pas une cuisine africaine, mais une cuisine de création" : Hugues Mbenda, chef rassembleur du restaurant Kin à Marseille

Dans son restaurant Kin, Hugues Mbenda, distingué comme l'un des chefs les plus prometteurs du monde en 2023, signe une cuisine créative et métissée. Un trait d'union entre ses origines congolaises et les produits de Méditerranée. Comme un message.

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"Asperges de Provence, Hollandaise au baobab", "Poulpe de Méditerranée, cacahuète et piment". Hugues Mbenda tient dans sa main l’ébauche de sa prochaine carte, gribouillée sur une feuille de papier. Nous le rencontrons un mardi de mars dans son restaurant gastronomique, Kin, ouvert en 2023 en plein centre-ville de Marseille. La veille, une pleïade de chefs étaient reçus entre ces mêmes murs à l'occasion d'une soirée bien nommée "Entre chefs", organisée par la plateforme de réservation en ligne TheFork. Un symbole, un adoubement par ses pairs pour ce chef de 35 ans.

C’est le début de l’après-midi, les derniers clients sont partis, la brigade s’active à nettoyer la cuisine. Le soleil inonde le restaurant qui semble ouvert sur l'extérieur grâce à deux larges baies vitrées. Simple, naturel et tout de suite chaleureux, le chef nous propose de partager un des jus qu’il réalise dans son restaurant. Ce sera bissap menthe. L’immersion commence. Dès les premières phrases que nous échangeons, Hugues Mbenda prononce tous les mots-clés : "partage", "vivre ensemble". Un condensé de son projet, l’essence de son travail. Mais nous voulons en savoir un peu plus.

Local et tropical

Kin, c’est l’abréviation de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Mais nous sommes aussi dans la cantine Libala, "mariage", en lingala, langue bantoue. L'union de deux restaurants dans le même lieu, c’est le concept original pensé par Hugues Mbenda et Mathilde Godart, sa compagne et associée. "Le midi, c’est Libala, une cantine, le soir c’est Kin, un restaurant gastronomique au menu unique", résume le chef. Deux temporalités et toujours la même équipe, le même fil conducteur : la rencontre entre des produits locaux, frais, de saison, et les souvenirs gustatifs d’enfance du chef Hugues Mbenda en République démocratique du Congo.

C’est à Kinshasa, juste au-dessous de l’équateur, qu’Hugues est né, en 1989. Et c’est aussi ici qu’est née l’envie de faire de la cuisine, auprès de sa mère, Jeanne. "Après l’école, j’allais dans son restaurant. Un petit restaurant de rue qui n’avait rien de conventionnel. Les travailleurs venaient s’y attabler", raconte-t-il le sourire aux lèvres.

A 10 ans, quand les autres enfants regardaient des dessins animés, moi je regardais "Bon appétit bien sûr".

Hugues Mbenda, chef des restaurants Kin et Libala

"L’amour du métier est sans doute venu de là, mais je n’en avais pas conscience. C’était naturel pour moi de faire de la cuisine, sans même y réfléchir. A 10 ans, quand les autres enfants regardaient des dessins animés, moi je regardais "Bon appétit bien sûr", à 11h35, sur France 3, et Petitrenaud, sur France 5. Je ne pensais même pas que ça pouvait être un métier, mais je savais déjà que j’aimais ça".

Un apprentissage chez les plus grands

Hugues Mbenda apprend le métier au lycée Escoffier et décroche à 20 ans son bac professionnel. Puis il fait ses armes dans de grandes maisons, notamment à Paris, dans les cuisines des restaurants Apicius, Burgundy, Taillevent… Mais aussi auprès du chef Christian Constant au Violon d’Ingres. "Un de mes mentors, avec Pierre Gagnaire en termes de réflexion, Thierry Marx pour le côté humain."

"Je me levais à 6 heures et je revenais chez moi à 2 heures". Chez lui, c’est en banlieue parisienne. A Aulnay-Sous-Bois, Pierrefitte, Sarcelles, Grigny, Evry. "J’ai perdu 10 kilos en 4 mois. Mais je savais pourquoi je faisais ça". Hugues Mbenda travaille également à Bordeaux, aux Sources de Caudalie, ou encore à Londres, au restaurant Pearl de l’hôtel Renaissance. En 2015, il obtient son premier poste de Second de cuisine au Violon d’Ingres, puis au Céladon, restaurant de l’hôtel Westminster étoilé au guide Michelin à l’époque.

Mais sa carrière prend un tournant lorsqu’il devient, en janvier 2018, chef du Céladon. "J’ai voulu changer tout le concept du restaurant. Avant, il y avait des produits chers à la carte, du caviar etc. J’ai plutôt essayé de travailler des produits au prix raisonnable. J’ai tout restructuré."

L'éclosion à Marseille

Pendant ces années d’apprentissage auprès des plus grands chefs, Hugues garde en tête d’ouvrir un jour son propre restaurant. A Marseille ? "Je ne l’avais jamais imaginé", confie-t-il. C’est pourtant ce qu’il va se passer. Son frère Eric l’appelle un jour pour lui proposer un projet. Il a trouvé un local dans la cité phocéenne. "Mathilde adorait Marseille, moi au début je ne voulais pas. Mais ils m’ont convaincu".

Nous avions zéro connexion à Marseille mais on sentait qu’il y avait une ébullition créative, qu’on pouvait s’exprimer ici.

Mathilde Godart, directrice et fondatrice des restaurants Kin et Libala

Avant Marseille, Mathilde Godart était chargée de projet culturel. "J’ai toujours eu cette volonté d’être indépendante, de créer des choses. Et j’ai toujours eu une passion pour la gastronomie, ça touche au culturel. Malgré tout je ne me suis jamais dit : "un jour, j’aurai un restaurant"".

La première adresse des frères Mbenda s’appelle l’Orphéon. Mais le Covid a raison de cette jeune entreprise. Pas de quoi décourager Hugues. "Finalement, le confinement a été bénéfique pour nous, le concept de Libala est né à ce moment-là." Le jeune couple inaugure Libala octobre 2021. Une révélation pour Mathilde : "Le jour du premier service de Libala, j’ai réalisé : "Ok, c’est ça. C’est incroyable. L’adrénaline, la relation avec le client, la transmission..."".

Libala, c’est une cantine street food avec des produits locaux qui n’a rien d’un fast-food. A la carte, entre autres, le Libala Burger et ses bananes plantains : bœuf ou tempura de légume de saison, compotée d'oignons bissap, tomme de brebis, pousses d’épinards, mayonnaise avocat. "Je reçois des légumes des producteurs du coin, et je me fournis à Noailles pour les produits africains. A trois minutes à pied d'ici.

"Ça n’a pas de sens de parler de cuisine africaine"

Après Libala, Mathilde et Hugues trouvent finalement les locaux de leur restaurant Kin, inauguré en février 2023. La carte change ici toutes les deux semaines. "C’est une cuisine de création. Pas une cuisine africaine", martèle le jeune chef. "Ça n’a pas de sens de parler de cuisine africaine. Au même titre que de parler de cuisine européenne. Les plats varient d’un pays à l’autre, d’un climat à l’autre. Par exemple, au Mali, c’est un climat désertique, alors qu’au Congo, c’est équatorial."

"La nourriture de mon pays est très végétale, décrit le chef avec passion. Il y a beaucoup de racines, un peu comme en Amérique du Sud. Des bananes plantains, beaucoup de feuilles, souvent des plats végétariens. Les viandes, on rajoute ça les jours de fêtes. Beaucoup d’épices, de piment, c’est la base. Du poisson séché."

Avant d’ouvrir Kin, Hugues et Mathilde sont partis en "voyage d’inspiration" en RDC. Le chef évoque notamment l’un de ses coups de cœur culinaires et premier souvenir gustatif : le biteku teku, des feuilles d’amarante avec du poisson séché fumé. "On mange cela avec du lituma, une boule de féculents à base de bananes plantains". Tout naturellement, le plat est mis à la carte de Kin, revisité par le chef Mbenda. Filet de daurade snackée avec une purée d’amarante ultra-verte, un bouillon, des gnocchis de bananes plantains. Les noces de la Méditerranée et du Congo, consommée dans une assiette.

"La cuisine, c’est ce que je suis. Je suis né à Kinshasa, j’ai appris la cuisine en France. Je ne pourrais pas faire une cuisine 100% méditerranéenne, ce n’est pas moi. Je suis obligé de mettre du baobab avec des asperges. C’est vraiment un métissage. Je suis issu de l’Afrique, je veux que les gens qui viennent au restaurant comprennent ce que je suis"

Une expérience immersive

"Pour moi la pédagogie est importante, ajoute-t-il. J’aime faire déguster des choses que les gens ne connaissent pas, explique Hugues. Je considère ma cuisine comme un musée. La gastronomie, c’est un art. Et j’explique à mes clients ce qu’ils mangent".

Chez Kin, tous les détails ont été pensés par Mathilde et Hugues. "Nous voulons que les personnes qui viennent manger ici soient immergées dans une expérience". Il se tourne et nous plante le décor. Les murs peints en vert, mais pas n’importe quel vert, le vert malachite. "La forêt du Congo, le deuxième poumon de la planète". Sur le mur vert, des lettres comme des dessins, "l’alphabet Bassa", mais aussi du bois. Des plantes sont suspendues au plafond. L'expérience aussi par l’ouïe. De la rumba congolaise des années 1960 rythme discrètement notre discussion. "C'est la playlist du soir, Franco, Tabu Ley Rochereau, Madilu… Je n’écoutais pas quand j’étais plus jeune. Et maintenant j’apprécie".

"Je déteste crier, avoir à hausser le ton"

Tandis que nous parlons, un jeune de l’équipe salue poliment Hugues. Il vient de finir son shift, retire son tablier et quitte le restaurant. "Il a fait un CAP et je l’ai embauché par la suite. Sa mère est venue me voir pour me demander ce que j’avais fait à son fils. Il se lève à l’heure désormais (rire). Ça me plaît, cet état d’esprit."

Chez Kin, la cuisine est ouverte sur le restaurant. "J’ai travaillé dans des cuisines où ça gueulait. Moi je ne crie jamais. Pendant le service, chacun sait ce qu’il a à faire. Je déteste crier, avoir à hausser le ton. Le travail avec l’équipe doit être fait en amont. Si tu cries, c’est que tu n’es pas compris par tes cuisiniers. Si tu veux que les gens te respectent, commence à les respecter", déclare le cuisinier. Un conseil de sa mère Jeanne, gardé comme un trésor par le chef. "Et ça marche. Si quelqu’un me respecte en voyant ce que je fais, en voyant mon parcours, c’est ça le vrai respect. Pas en craignant la personne."

C'est ce que Hugues et Mathilde veulent inculquer à leur fils, Eden, qui va bientôt souffler sa quatrième bougie. "Il vient souvent au restaurant, à cette même table où nous sommes", s’amuse Hugues. Un endroit parfait pour observer son papa cuisiner. A la maison, il met parfois la main à la pâte. "Il est très minutieux, il a envie de bien faire. Comme la dernière fois, il s’est appliqué pour éplucher une patate douce".

Malgré des emplois du temps chargés, le couple tient à passer des moments de qualité avec leur fils. "La chance qu’on a, c’est de vivre à Marseille, d’habiter à côté du restaurant, témoigne Mathilde. Nous faisons tout à pied. Nous avons une qualité de vie incroyable". Une autre respiration pour le chef, le sport et surtout le basket. "Tous les matins je regarde les scores de la NBA. Victor Wembanyama est impressionnant. Il me fait penser à mon fils (rire). Il croit en ses capacités, il a confiance en lui, sa différence de taille ne l’a pas perturbé. Il utilise ça comme une force".

Le vivre ensemble en étendard

Depuis cinq ans, le couple et leur projet ont réussi à trouver leur place au soleil. "Je suis content parce qu’avec le temps, les gens comprennent ce qu’on fait ici, note le chef. Au début, ça n’a pas forcément été évident." Et pour ceux qui n'ont toujours pas compris, Hugues Mbenda a su en faire une force (comme Wemby). Le chef marseillais évoque Marc-Aurèle, l'empereur romain stoïcien. "Ce gars-là, c’est moi. J’essaie d'appliquer sa philosophie : on ne peut pas contrôler les choses extérieures. Je laisse ce que je ne peux pas maîtriser, les choses annexes, je me concentre sur les gens autour de moi."

Faire fi, donc, des voix contraires, comme celles entendues sur certaines chaînes de télévision. "Ce genre de discours divise. Je suis plus congolais que français, par rapport à ce que les gens me renvoient. C’est triste, mais c’est ainsi. C’est gens-là, on leur donne la parole tout le temps".

"Notre démarche, c’est le vivre ensemble". Tout un symbole, ici, à Marseille. "On s’enrichit en se mélangeant, en comprenant les cultures". Se mélanger, faire sauter les barrières. Hugues Mbenda et Mathilde Godart en ont pris le pari en ouvrant un restaurant gastronomique à Marseille. "Je suis issu d’un milieu où les gens ne savent même pas que ce genre de restaurants existent. Alors j’essaie de casser les codes, à mon niveau."

"L’étoile n’est pas une recherche, c’est un bonus"

Une démarche récompensée par ses pairs. En 2023, dans la foulée de l’ouverture de Kin, Hugues Mbenda a été élu parmi les quatre "nouveaux talents de l’année" dans le monde, selon "La Liste". L’assiette symbolisant cette récompense ne trône pas dans le restaurant. Elle est accrochée, un peu cachée derrière le bar.

Quant aux si précieuses étoiles décernées par le guide Michelin, Hugues Mbenda n’en fait pas une obsession. "Oui, ça me faisait rêver, mas je suis plus mature, comme un fruit (rire). Depuis que j’ai ouvert mon restaurant, depuis que j’ai ce contact avec le client, et que je vois que j’aime faire plaisir aux gens, ça a changé ma perception. L’étoile ce n’est pas une recherche, c’est un bonus. Je veux juste faire ce que j’aime, m’éclater avec mes cuisiniers, mes serveurs."

Hugues et Mathilde prévoient de retourner tous les ans en République démocratique du Congo, source d’inspiration. Plus tard, Hugues nourrit l’idée d’y ouvrir une école, "pour apprendre des choses manuelles, comme la cuisine, le travail du bois". Quant à la suite immédiate de leur histoire, le chef Mbenda voit les choses simplement : "Progresser, s’améliorer tous les jours, créer, réfléchir. Continuer à travailler et que ça se passe bien"

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