Selon l'agence de la biomédecine, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur est l'une des régions à s'opposer le plus aux prélèvements d'organes avec l'Île-de-France et les Hauts-de-France. On vous explique quelles sont les réticences auprès des familles, tributaires de la décision.
Ce samedi 22 juin, la France célèbre la journée nationale de réflexion sur le don d'organes et de tissus. Alors que 80 % de la population est favorable à donner ses organes après leur mort, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur compte parmi les trois régions françaises où le taux d'opposition au prélèvement est le plus élevé.
On a essayé de comprendre avec des médecins et une association quels sont encore les blocages au don d'organes.
Plus d'une famille sur deux refuse le don d'organes
Pour les spécialistes, la situation est particulièrement préoccupante en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Plus d'une famille sur deux s'oppose à donner les organes de leurs proches après leur mort. Selon Sandrine Wiramus, médecin en charge de la coordination de prélèvement d'organes et tissus à l'hôpital public de Marseille, il y a 54 % d'opposition à l'APHM (hôpitaux universitaires de Marseille). L'an passé, ils étaient encore plus nombreux, à plus de 60 %. Le taux d'opposition pour le reste de la région est bien plus faible, de 15 à 20 % à Toulon, et 24 % à Avignon.
La situation s'est encore plus accentuée pendant la crise sanitaire. Le nombre de greffes a diminué de 25 à 40 %, passant de 6 000 greffes par an à presque 4 000. Et pour cause, toutes les salles d'opération ont été prises.
Pour Benoit Averland, directeur adjoint à l'agence de la biomédecine, si les chiffres sont élevés à Marseille, et encore plus dans les quartiers défavorisés, c'est parce que la population à laquelle s'adressent les professionnels de santé "est moins prête à discuter". "Le message ne va pas jusqu'à eux quand on leur demande de témoigner."
Il n'y a jamais eu aussi peu de greffes pédiatriques
Sandrine Wiramus, médecinà France 3 Provence-Alpes.
Sandrine Wiramus insiste sur la situation extrêmement critique en pédiatrie, chez les enfants. Alors que le taux d'opposition est de plus de 50 % en France chez les enfants, il est encore plus élevé à Marseille. Sur les quatre jeunes donneurs potentiels décédés depuis le début de l'année à Marseille, il y a eu 100 % de refus.
Un temps d'attente trop long engendrant des décès
La greffe la plus recherchée en pédiatrie, c'est le cœur, selon Sandrine Wiramus. Dix à vingt enfants sont actuellement en attente de greffe en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Pour la spécialiste, le temps d'attente est trop long, entraînant des décès. Entre 800 et 1 000 adultes et enfants meurent chaque année dans la France entière pour cette raison.
"Ils attendent à leur domicile avec un cœur artificiel. Les petits vont mourir, ils ne vont pas attendre avec un cœur artificiel", poursuit-elle. L'année dernière, des enfants de trois et quatre ans sont décédés en raison de cette longue attente. Cette année, c'est un enfant de treize ans qui a perdu la vie, alors qu'il attendait un cœur.
Le don d'organes, c'est une question qui dérange.
Sandrine Wiramus, médecinà France 3 Provence-Alpes.
L'émotion et la religion, des raisons d'opposition
Plusieurs motifs expliquent l'opposition de la famille pour donner les organes de leurs proches. Sandrine Wiramus nous indique que pour 40 % des cas, c'est à cause de l'émotion. "Au moment de la mort, il y a trop d'émotion. Ils préfèrent dire non dans le doute." "La disparition brutale génère de la colère. La famille vit une période de sidération", rajoute Benoit Averland.
Dans 30 % des cas, c'est la religion qui explique le refus. En particulier à Marseille dans les quartiers, d'après les spécialistes rencontrés. "Selon les prêtres, les curés, les religieux, l'interprétation des textes est différente", précise Jean-Marie Balland, président de l'Adot 13, la fédération des Associations pour le don d'organes et de tissus humains. "Il faut faire un travail sur les cultes. Les religions monothéistes ont dit qu'il fallait donner. Une sourate du Coran dit : 'Qui sauve une vie sauve l'humanité'", poursuit Benoit Averland.
Pour le reste des raisons, c'est une question de "culture" et de "méconnaissance et mésinformation". Pour certaines familles, le don d'organes est un tabou. Même si certains sont d'accord pour les donner après leur mort, "ils n'en ont jamais parlé entre eux".
Certains organes posent également plus de problèmes que d'autres. "Là où il y a le plus d'opposition, c'est pour les tissus. Par exemple, la corne de l'œil, la famille pense qu'on va prélever le globe, mais c'est juste le cristallin, la lentille optique", explique Sandrine Wiramus.
Les familles ont peur pour les cicatrices sur le corps de leurs proches défunts. La médecin veut rassurer sur ce sujet : "On fait en sorte que le tibia ou le fémur se referment avec la même cicatrice. On veille que le corps rendu soit le plus beau possible." Pour elle, les reconstructions sont de mieux en mieux réalisées après prélèvement grâce aux os artificiels.
Dons d'organes possibles dans 1 % des morts
La principale difficulté pour le don d'organes, c'est que l'on peut prélever dans très peu de cas après la mort. Uniquement lors des morts cérébrales ou encéphaliques. Cela concerne seulement 1 % des morts en France. Il s'agit, par exemple, des accidents cardiovasculaires, des traumatismes crâniens, des morts par noyade ou pendaison, qui sont irréversibles. "Le cerveau ne fonctionne plus. Les autres organes fonctionnent et le sang circule", explique Jean-Marie Balland. Le corps est alors mis sous respirateur artificiel et repose sur un matelas chauffant à 35 degrés.
Tous les organes et tissus peuvent être prélevés à ce moment-là, et selon les spécialistes, "il n'y a pas d'âge pour donner ses organes". En revanche, il faut prélever les organes au plus vite. "C'est une course contre la montre, il faut faire très vite, développe Jean-Marie Balland. Par exemple, pour une transplantation d'organes entre Marseille et Bordeaux, il ne faut pas plus de 4 h. Les pilotes de ligne et brancardiers sont prêts à partir."
La famille a le dernier mot
Depuis 1976, la loi Cavaillet prévoit que "toute personne qui, de son vivant, n'a pas fait connaître son opposition au prélèvement d'organes est considérée comme un donneur potentiel." Nous sommes donc tous donneurs présumés. Et contrairement à ce que l'on peut imaginer, la carte donneur n'a aucune valeur juridique.
Et pourtant, selon les spécialistes rencontrés, c'est la famille qui a le dernier mot pour ses proches à leur mort. Elle doit donner son avis auprès du corps médical à l'hôpital. Les professionnels de santé ont conscience de la difficulté de prendre une décision pareille. "On ne peut pas aller contre eux. Ils ont le dernier mot", ajoute Sandrine Wiramus. C'est pour cette raison que la sensibilisation est aussi importante.
Parlez-en à vos proches, positionnez-vous.
Jean-Marie Balland, président de l'Adot 13à France 3 Provence-Alpes.
"Il faut en parler un maximum avec ses proches et ses enfants. Trop de gens attendent et meurent, alarme Sandrine Wiramus. La population vieillit ici, on augmente le nombre de patients sur la liste. On n'arrive pas à suivre en termes de donneurs."
L'association France Adot 13 intervient toute l'année auprès des établissements publics et privés, des collèges, lycées, mais aussi des ehpad pour sensibiliser aux dons d'organes. "On leur explique comment ça va se passer. L'information et la communication, c'est très important."