Près de trois ans après la mort de huit personnes dans l'effondrement d'un immeuble rue d'Aubagne, la question de l'habitat est toujours aussi brulante dans la cité phocéenne. Les investissements pour la réhabilitation des logements insalubres sont au menu de la visite présidentielle.
"Vivre en face du trou laissé par l'effondrement est insupportable : je ne reconnais plus ma rue, il n'y a presque plus personne qui vit ici. " Isabelle (prénom modifié) habite rue d'Aubagne, en face de la "dent creuse", le nom donné à l'emplacement où se trouvaient les deux immeubles qui se sont écroulés le 5 novembre 2018.
Trois ans après, ce drame continue d'empoisonner le quotidien de cette enseignante de 51 ans. Avec sa famille, ils sont les derniers habitants de son immeuble. "J'ai passé une année à l'hôtel et depuis deux ans je me bats pour les réparations de mon logement."
Arrêtés de péril et drogue rue d'Aubagne
La secousse créée par l'effondrement des n°63 et n°65 a fragilisé le bâtiment où vit Isabelle. Depuis, les factures s'accumulent : "On a dû faire retirer la poussière d'amiante des parties communes, puis on a refait faire les escaliers et les caves. Ça a coûté plus de 30.000 euros à la copropriété."
Propriétaire de son appartement, elle n'a pas les moyens de déménager et ne peut pas le revendre. Le bâtiment est soumis à un arrêté de péril.
En revenant de vacances j'ai trouvé un arrêté de sécurisation placardé sur ma porte. Ça m'a fait pleurer.
L'effondrement des immeubles suivi de la fermeture de la rue d'Aubagne à la circulation ont eu une autre conséquence dramatique pour Isabelle. Des trafiquants se sont installés sur son palier. "Le soir je n'ose plus de sortir de chez moi, les dealers m'ont menacé plusieurs fois. J'ai même enlevé mon nom de la sonnette."
Un sentiment d'insécurité, malgré la présence continue de gardiens postés dans la rue pour éviter l'installation de squatteurs dans les bâtiments condamnés. "J'ai déjà vu les gardiens charger les portables des jeunes ou leur laisser accéder aux toilettes", raconte-t-elle. Isabelle est bien décidée à revendre son appartement et partir loin de la rue d'Aubagne.
100.000 personnes logées dans des taudis
Dès 2015, le rapport Nicol dénombrait 40.000 taudis à Marseille, soit 100.000 personnes concernées sur 860.000 habitants. Un parc immobilier délabré dans le centre-ville marseillais, mais aussi dans des grands ensembles des quartiers nord.
La solution pourrait être le rachat par la ville des immeubles en péril. Mais le processus prend du temps. "À Marseille, il y a beaucoup de petits propriétaires", explique Arlette Fructus, ex-adjointe au maire.
En 2020, l'élue au logement de Jean-Claude Gaudin depuis 2008 a choisi de rendre sa délégation au logement, dénonçant l'absence de "volonté politique" de l'équipe municipale.
"Pour détruire un bâtiment insalubre, il faut racheter chaque appartement, reloger des centaines de familles et sécuriser les lieux pour éviter des drames comme celui de juillet."
Le 17 juillet, l'incendie dans un immeuble de la cité des Flamants (13e arrondissement) avait provoqué la mort de trois des migrants nigérians qui squattaient le bâtiment. Un bâtiment qui devait être démoli.
Après le drame de la rue d'Aubagne, l'État et les collectivités ont signé un plan d'action pour répartir les 600 millions d'euros promis contre l'habitat indigne sur 1.000 hectares du centre-ville, soit 200.000 habitants. Mais, la société publique locale d'aménagement d'intérêt national (SPLA-IN) qui doit piloter le plan n'a été formée qu'en juillet 2020.
"Manque de pilotage politique"
Mohamed Laqhila, député des Bouches-du-Rhône rapporteur spécial des politiques de la ville et de la cohésion des territoires, déplore un "manque de pilotage politique" à Marseille. "On est plus qu'à la ramasse. La ville n'a pas proposé de projets pour profiter du plan NPNRU (Nouveau Programme national de Renouvellement urbain, NDLR) qui s'élève aujourd'hui à 12 milliards."
Pour Fathi Bouaroua du Collectif du 5 novembre, la ville peine à tenir sa lutte contre les logements insalubres. "Si vous prenez le nombre de visites de contrôle par la mairie en 2018 il y en avait eu 2.695. Après le drame de la rue d'Aubagne, en 2019 il y en a eu 3.300. Mais en 2020 c'est retombé à 2.400. C'est une gestion par l'émotion qui a été proposée."
Autre problématique marseillaise: le manque de logements sociaux, 41.000 dossiers sont sans réponse. Si Marseille approche du seuil légal des 25% de logements sociaux, ceux-ci sont quasiment absents des quartiers aisés du Sud et du centre.
L'habitat indigne accueille donc la population la plus précaire dans le centre. "Le problème c'est que le foncier prend de plus en plus de valeurs à Marseille, les habitants les plus pauvres pourraient être chassés par la spéculation et non pas par l'habitat indigne."
Pour Fathi Bouaroua, les fonds injectés risquent de ne pas bénéficier aux habitants historiques de ces logements insalubres. Les plus précaires du centre-ville pourraient être forcés à partir vivre dans les quartiers nord.