Ce lundi 17 mai, le procès du travail détaché va débuter devant le tribunal correctionnel de Marseille. Une enquête de plus de 10 ans a permis de mettre en lumière les relations entre des exploitations agricoles du sud de la France et la société d'intérim espagnole Terra Fecundis.
Terra Fecundis, cette société d'intérim espagnole travaille avec de nombreuses exploitations agricoles françaises, notamment dans le sud de la France, pour fournir des travailleurs détachés, principalement d'origine marocaine ou sud-américaine.
Lundi 17 mai, cette entreprise et ses trois dirigeants seront jugés pour "travail dissimulé en bande organisée et marchandage de main-d'œuvre".
"Il s’agit du plus important dossier de fraude à la Sécurité sociale jamais jugé en France", estime Me Jean-Victor Borel, avocat de l’Urssaf Provence-Alpes-Côte d’Azur, organisme collectant les contributions finançant le système social, qui s’est constituée partie civile.
Selon le Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture provençale (Codetras), c'est "le plus grand procès de l’histoire du travail détaché dans l’agriculture française".
Qui est Terra Fecundis ?
Fondée il y a 20 ans à Murcia en Espagne, Terra Fecundis se spécialise dans l'intérim et plus particulièrement dans le monde agricole. Petit à petit, cette entreprise devient l'intermédiaire principal des exploitations agricoles du sud de la France, en Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et PACA.
Le Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture provençale estime que "Chaque année entre 3000 et 5000 travailleurs domiciliés en Espagne sont acheminés par cette boîte d’intérim espagnole pour venir travailler dans près de 500 entreprises françaises de l’agro-alimentaire, implantées dans 35 départements".
De grandes exploitations maraîchères dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et horticoles dans le Var sont notamment concernées.
En 2014, la justice s'était saisie de la question et une enquête avait été ouverte par le parquet de Marseille sur des suspicions de "fraude aux prestations de service internationales" à l'encontre de Terra Fecundis.
"Non-paiement des heures supplémentaires, logement indigne et harcèlement moral", dénonce le CODESTRAS.
Le parquet de Marseille a lui retenu les charges de "travail dissimulé par dissimulation d’activité et de salariés, mais aussi de marchandage, des délits commis en bande organisée".
Selon les défenseurs des travailleurs détachés "ces faits ne sont reprochés qu’aux gérants et salariés de Terra Fecundis et omettent l’intégralité des entreprises utilisatrices".
Selon le collectif, ce serait près de "89 entreprises françaises qui sont impliquées et qui ne seront pas sur le banc des accusés". (Ndlr banc des prévenus)
Point de départ : un mort sur une exploitation
Le 7 juillet 2011, Elio Maldonado Granda, un saisonnier équatorien, détaché par l’entreprise Terra Fecundis, fait un malaise sur l’exploitation "Les sources ", où il est placé.
Rapidement après son malaise, il tombe dans le coma et décède trois jours plus tard.
Une information judiciaire a été ouverte devant le Tribunal de grande instance de Tarascon pour le chef "d’homicide involontaire".
L'expertise médicale a établie les causes du décès, comme étant liées à « de très fortes chaleurs, un manque d’hydratation et un effort trop prolongé dans ces conditions».
Une plainte est alors déposée en 2012 par la famille Maldonado Granda pour comprendre les circonstances de la mort d’Elio.
Deux enquêtes simultanées
Une première enquête préliminaire est dirigée par le procureur de la République de Marseille, pour manquement au droit du travail, concernant la société espagnole Terra Fecundis, après de nombreux signalements et témoignages, suite au décès d’Elio Maldonado Granda.
Cette enquête est ensuite confiée à l’Office Central de Lutte contre le Travail Illégal (OCLTI) en janvier 2013.
Cette première enquête est clôturée en mai 2013.
"Après une étude approfondie de celle-ci, la Juridiction Inter Régionale Spécialisée (JIRS) du Parquet du Tribunal judiciaire de Marseille saisissait de nouveau l’OCLTI le 23 janvier 2015 afin d’actualiser et de matérialiser les infractions de travail dissimulé, commises par l’entreprise de travail temporaire espagnole à l’échelle nationale", détaille maître Prévost, avocat des parties civiles.
En parallèle, une autre enquête est menée par le juge d’instruction de Tarascon sur les conditions du décès d’Elio Maldonado Granda.
Le jugement rendu le 21 janvier 2020 par le Tribunal correctionnel de Tarascon prononcera la relaxe des dirigeants de l’exploitation "Les sources".
"La décision a été frappée d’appel car il est apparu, après le délibéré, que l’information judiciaire n’avait pas intégré au dossier les éléments intéressant la mort de Monsieur Elio Maldonado Granda, disponibles dans l’enquête menée par l’OCLTI, pour l’infraction de travail dissimulé en bande organisée ", détaille Maître Prévost, avocat des parties civiles dans cette affaire.
Au terme des deux enquêtes, il ressortira que le propriétaire de l’exploitation "Les sources", Julien Perez, est le mari d’Anne Perez, représentante française de Terra Fecundis, basée à Châteaurenard, dans les Bouches-du-Rhône.
Autre point troublant pour l’avocat des parties civiles, "la non-assistance à personne en danger", supposée du frère du propriétaire, Marc Perez, présent sur place le jour du malaise d’Elio Maldonado Granda.
"Alerté par les autres saisonniers, il n’aurait pas porté secours au saisonnier, et aurait ordonné aux travailleurs présents, de contacter Terra Fecundis directement".
Ce qui aurait considérablement rallongé le temps de prise en charge par les secours d’Elio Maldonado Granda.
Autre information que va tenter de mettre en évidence l’avocat des parties civiles, "les tentatives d’intimidations à l’encontre de certains salariés et la volonté d’influer sur leurs témoignages de la part de la famille Perez".
Les peines encourues sont 10 ans de prison et 100 000 euros d'amende.
Lors de la crise du Covid en 2020, Terra Fecundis avait aussi été pointée du doigt pour sa mauvaise gestion des protocoles sanitaires et l'apparition d'un cluster au sein de ses travailleurs détachés avec 258 cas de Covid positifs détectés.
Le vendredi 21 mai, lors du dernier jour de procès, le CODETRAS organise un rassemblement "pour une égalité des droits entre travailleurs", sous l'ombrière du Vieux-Port.