À Marseille, la liquidation judiciaire de l'Institut national de plongée professionnelle, ce mardi 18 juin, laisse les acteurs économiques de la filière en plein désarroi. Ils se mobilisent en urgence pour sauver des eaux l'héritage de cette institution marseillaise unique au monde pour la certification des plongeurs professionnels.
Qui va pouvoir désormais former les plongeurs scaphandriers professionnels ? Après le plan de sauvegarde initié en 2018, c'est la liquidation pure et simple de l'INPP que le tribunal a prononcé mardi 18 juin. Laboratoire d'essai, référent dans le domaine de l'hyperbarie médicale, l'Institut national de plongée professionnelle formait surtout depuis 1982 à Marseille, des scaphandriers du monde entier. Cet organisme certifié était le seul au monde à dispenser la formation de plongée en saturation, dans son équipement hyperbare de la Pointe Rouge à Marseille. Sa fermeture définitive plonge les professionnels dans l'inquiétude.
Une référence mondiale
Tout s'est arrêté le 15 juin, mais le rideau des formations est tombé fin mai sur Géraldine Parodi, l'une des rares femmes au monde à pratiquer le métier de scaphandrière. Sur le site mythique de l'INPP, la plongeuse se souvient d'avoir brillamment décroché le Graal, le diplôme "Classe III mention A" certifié par l'instance internationale (IMCA), devenant ainsi la première scaphandrière en saturation en France.
La fermeture de l'INPP, elle n'y croyait pas et espérait que l'association soit "récupérée avant d'en arriver là". Pour elle, "perdre ce savoir-faire historique est une catastrophe, l'histoire de la plongée en saturation a commencé là, elle ne peut pas s'arrêter là ". Un point de vue que partagent de nombreux professionnels de la filière hyperbare en France.
De la formation d'experts à la certification d’équipements de plongée industriels ou de loisirs, l’Institut était devenu au fil des années une référence mondiale, seul organisme en France à délivrer le titre professionnel de "scaphandrier travaux publics", mais surtout le seul à former les scaphandriers à la plongée à saturation, permettant de travailler à des profondeurs supérieures à 50 mètres. Cette technique hyperbare d'intervention en milieu aquatique profond, développée historiquement par la Comex, est utilisée dans de nombreux domaines du génie civil, industriels et pétroliers, mais aussi dans l'archéologie sous-marine ou le secteur militaire.
L'héritage immatériel en questions
La fermeture de l'Institut plonge les professionnels de la filière dans l’inquiétude : qui va prendre le relais ? Pierre Peyrou et Axel Disgand, tous deux entrepreneurs dans les travaux sous-marins, ont créé au pied levé le Groupement des acteurs économiques du monde l'hyperbarie pour alerter les pouvoirs publics sur la gravité de la situation. "On ne peut pas liquider l'INPP comme une simple entreprise", explique Pierre Peyrou," il faut assurer la continuité des missions régaliennes qui lui sont confiées par l’État".
Pour faire un parallèle" simple à comprendre" sur le rôle de l'INPP, Pierre Peyrou prend pour exemple l’ANTS dans le monde de la conduite automobile, outil de contrôle pour les chefs d'entreprise qui permet de vérifier la validité des permis des chauffeurs postulant chez eux. "Aujourd'hui auprès de quel organisme pourrons-nous contrôler que les scaphandriers ont bien leur diplôme ?", interroge-t-il.
Il est certain qu'aucun ministère, ni la Direction générale du travail n'a été à l'encontre de la liquidation, tout le monde a mis des œillères et on s'est tous rendus à l'enterrement de l'INPP au tribunal.
Axel Disgand, Groupement des acteurs economiques de l'hyperbarieFrance 3 Provence Alpes
Son homologue, Axel Disgand, se demande comment sera désormais assurée dans l'Hexagone, la certification des équipements de plongée professionnelle et loisir, "cela va jusqu'au masque, à la combinaison ou au détendeur". Mais le problème crucial est surtout, selon lui, la validation de la réglementation des marchés publics dans le domaine des travaux sous-marins : "qui va nous garantir que tout est conforme ? Il ne faut jamais oublier que nous avons une responsabilité en matière de sécurité, au bout du tuyau, il a une vie humaine".
Se pose alors en urgence pour les professionnels la question de cet "héritage immatériel" et de sa transmission.
Le fond du dossier
Le président de l'INPP, Frédéric Ronal, lui, ne décolère pas. Après l'annonce de la liquidation et des 28 licenciements, une autre mauvaise nouvelle est tombée. La Métropole a obtenu jeudi 20 juin un arrêté d'expulsion à l'encontre de l'Institut, pour défaut de paiement de loyer. Si le liquidateur dispose de 18 mois pour épurer le dossier, il est devenu impératif de vider le site de la Pointe Rouge au plus vite.
Aujourd'hui dépossédé de ses fonctions par le liquidateur, il voit mal comment récupérer ce patrimoine immatériel dans l'urgence : "l'INPP a commencé à constituer tous ses registres en 1982, donc il y a des tonnes d'archives papier, on a deux pièces entières de stocks d'archives dont très peu ont été numérisées ", s'indigne Frédéric Ronal, "moi, je veux bien sauver le patrimoine, mais avec qui ? Les salariés sont licenciés !".
L'INPP est la mémoire de toute l'hyperbarie française depuis 50 ans puisqu'il détient tous les registres de diplômes et de certifications pour le compte de l'État
Frédéric Ronal, président de l'INPPFrance 3 Provence Alpes
Le président de l'institut déplore par ailleurs le réveil tardif des professionnels alors que les déboires judiciaires et financiers de l'INPP remontent à plusieurs années. "La profession est en train de se rendre compte des risques qu'elle encourt sans l'INPP, puisque nous sommes le bras armé de l'État", confie-t-il mais "la mort de cet organisme unique au monde a été organisée, à coups d’attaques incessantes, injustes et injustifiées."
Les scaphandriers remontés
Les scaphandriers professionnels, eux aussi, sont montés sur le pont au côté des entrepreneurs pour dire leur inquiétude. Parmi eux, "l'homme le plus profond du monde", détenteur du record de plongée profonde à -701 mètres en caisson hyperbare et instructeur à l'INPP durant quatorze ans. "Théo Mavrostomos est l'éternel ballon d’or de la plongée et sa voix porte dans le milieu", explique Pierre Peyrou, "c'est pourquoi nous l'avons désigné comme ambassadeur de cette cause".
Théo Mavrostomos a formé des centaines de scaphandriers du monde entier et participé à des expériences scientifiques comme celle de Laurent Ballesta, nécessitant le recours à la saturation.
Le plongeur, aujourd'hui retraité, déplore la fermeture de l'INPP, "ce fleuron national dont Marseille pouvait s'enorgueillir" et regrette l'absence de réaction des pouvoirs publics. "La plongée en saturation est associée historiquement à l'extraction pétrolière des fonds marins qui a mauvaise presse aujourd'hui avec la remise en cause des énergies fossiles", explique-t-il, "mais on peut aussi se rappeler qu'elle est utilisée dans l'implantation des éoliennes en mer".
Signataire, comme de nombreux scaphandriers, de la Charte du Groupement des acteurs économiques de l'hyperbarie, il espère beaucoup de la mobilisation des professionnels pour réveiller l'État et le mettre face à ses responsabilités, dans les meilleurs délais.